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La proposition avait été sérieusement amendée. La Commission n'allait pas, comme la rédaction de MM. de Broglie et Guizot, jusqu'à donner la double abdication pour cause du changement de dynastie; mais tout en proclamant la vacance du trône comme un droit né de la violation de la Charte, elle la constatait comme un fait résultant du départ de tous les membres de la branche aînée de la maison royale. De cette manière, la Commission faisait la part du droit de la nation, sans mettre à 'néant le droit monarchique. Son préambule était ainsi rédigé :

« La Chambre des députés, prenant en considération « l'impérieuse nécessité qui résulte des événements des « 26, 27, 28 et 29 juillet dernier et jours suivants et de la << situation générale où la France s'est trouvée placée à la « suite de la violation de la Charte constitutionnelle;

« Considérant en outre que, par suite de cette violation « et de la résistance héroïque des citoyens de Paris, le << roi Charles X, S. A. R. Louis-Antoine, Dauphin, et tous « les membres de la branche aînée de la maison royale, « sortent en ce moment du territoire français;

« Déclare que le trône est vacant en fait et en droit, et « qu'il est indispensable d'y pourvoir. »

On serait tenté, en restreignant la question aux rapports de la France avec ses rois, de voir, dans ces nuances de rédaction, des futilités peu dignes de l'attention du législateur. Mais si l'on considère que l'attitude des puissances monarchiques à l'égard du nouveau gouvernement français dépendait de la manière dont serait présentée la substitution de la branche cadette à la branche aînée, on ne s'étonnera pas de l'importance qu'y attachaient le duc d'Orléans et les hommes d'État dont il recherchait les conseils.

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Quant à la conclusion, la Commission adopta en son entier la formule de MM. de Broglie et Guizot, qui s'adaptait parfaitement à son préambule. En voici les termes : Moyennant l'acceptation de ces dispositions et propo<<sitions, la Chambre des députés déclare enfin que l'ina térêt universel et pressant du peuple français appelle au « trône S. A. R. Louis-Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, « lieutenant général du royaume, et ses descendants à << perpétuité, de mâle en mâle, par ordre de primogéni« ture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur « descendance.

« En conséquence, S. A. R. Louis-Philippe d'Orléans, « duc d'Orléans, lieutenant général du royaume, sera « invité à accepter et à jurer les clauses et engagements a ci-dessus énoncés, l'observation de la Charte constitu<tionnelle et des modifications indiquées, et, après l'avoir << fait devant les Chambres assemblées, à prendre le titre de Roi des Français. >>

Ainsi la Révolution, justifiée par la violation de la Charte, avait rendu le trône vacant, et la France invitait à y monter, à des conditions librement consenties, le prince que sa naissance seule y eût porté, en cas d'extinction naturelle de la branche expulsée : voilà toute la pensée du projet.

La Commission avait aussi fait subir, aux nouveaux articles proposés pour la Charte, plusieurs changements destinés à en compléter ou à en limiter le sens. On les feral connaître plus loin.

Malgré l'heure avancée, quelques députés voulaient que la discussion s'ouvrît immédiatement, afin que le vote pût avoir lieu séance tenante. Mais la majorité décida que le rapport serait imprimé et distribué dans la nuit. La discussion fut renvoyée au lendemain, à dix heures du matin.

CHAPITRE XII

LOUIS-PHILIPPE 1er, ROI DES FRANÇAIS

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Discussion de la proposition de M. Bérard à la Chambre des députés.-Attitude du parti légitimiste: MM. de Conny, Hyde de Neuville, de Lézardières, Fas de Beaulieu, de Labourdonnaye, Berryer, de Martignac. —La Chambre adopte le préambule de la proposition, et supprime celui de la Charte.-Elle modifie ou supprime successivement plusieurs articles de la Charte.-Elle adopte une disposition qui confie la garde de la Charte au patriotisme et au courage des gardes nationales et des citoyens. -Elle renvoie à la session suivante la révi. sion de l'article relatif à l'organisation de la pairie.-Elle maintient le principe de l'inamovibilité de la magistrature. Adoption de la disposition qui appelle le duc d'Orléans à monter sur le trône.- La Chambre des députés se rend en masse au Palais-Royal pour faire connaître cette décision au duc d'Orléans.-Joie que cet événement fait éclater dans Paris.-La Chambre des pairs est saisie de la proposition par un message.- Discours de M. de Chateaubriand. La Chambre des pairs adopte la proposition, et se rend au Palais-Royal. Il est décidé que le nouveau roi prendra le nom de LouisPhilippe Ier.-Adhésion du prince de Condé à la révolution de Juillet. - Seance du 9 août à la Chambre des députés. Le duc d'Orléans accepte la Charte modifiée et lui prête serment.-11 est proclamé Roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Le 7 août, de grand matin, des rassemblements considérables se formèrent autour du Palais-Bourbon. Ils étaient composés, en majorité, de citoyens avides de connaître plus promptement les détails de la délibération qui allait fixer les destinées de la France. Mais il s'y trouvait aussi bon nombre de ces hommes, amoureux d'agitation, qui s'indignaient à la pensée de voir la France se replacer sous l'égide d'un gouvernement légal. Quelques étudiants

furent même envoyés près de M. de Lafayette et des députés de la gauche, pour protester de nouveau contre ce qui allait se faire. Mais, cette fois, la garde nationale veillait en force à la sûreté de la Chambre.

Bien que la séance eût été indiquée pour dix heures, les députés avaient reçu, dans la nuit, des lettres qui les invitaient à se réunir à huit heures du matin. Le Gouvernement avait voulu abréger, autant que possible, les délais, afin de mettre un terme à l'anxiété que causait partout l'attente de ce grand événement.

En arrivant, les députés se forment par groupes, et s'entretiennent avec animation. Ils sont inquiets. Mille bruits circulent. On assure que des agents de désordre parcourent les faubourgs, pour les lancer en masse contre la Chambre. On s'exhorte réciproquement à éviter tout ce qui pourrait devenir un prétexte aux violences du dehors. Quelques légitimistes ont reparu au Palais-Bourbon; ils sont bien clairsemés. Des anciens amis de la Restauration, qui, au nombre de deux cents environ, occupaient les bancs du centre droit et de la droite, trente à peine sont venus, à son heure suprême, lui donner un dernier témoignage de fidélité; et ceux-là n'étaient pas les plus engagés dans la politique du coup d'État. Quant aux autres, le sentiment de leur impuissance, peut-être celui-ci de la faute commise, avait glacé leurs cœurs. Absents pendant le combat des rues; absents quand leur roi, partant pour l'exil, attendait de leur dévouement un retour de fortune; absents encore quand il ne leur restait plus qu'à déposer leur vote, comme un pieux hommage, sur le tombeau d'une dynastie : voilà comment ils soutenaient les imprudentes bravades qui avaient précédé les Ordonnances.

Deux cent cinquante députés étaient dans la salle, quand

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