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tout le monde est debout, et le lieutenant général prononce d'une voix ferme le serment dans la forme suivante :

«En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement la << Charte constitutionnelle avec les modifications expri<<mées dans la déclaration, de ne gouverner que par les «lois et selon les lois, de rendre bonne et exacte justice à « chacun selon son droit, et d'agir en toutes choses dans « la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du << peuple français. >>

Les maréchaux s'approchent du prince et lui présentent les insignes royaux; puis le prince signe les actes dont il a été donné lecture. Pendant ce temps, l'assemblée s'abandonnait aux transports d'un inexprimable enthousiasme. Les cris de Vive le Roi! Vive la Reine! Vive la famille royale! se succédaient sans interruption. Dans les tribunes, les hommes élevaient leurs chapeaux, les femmes agitaient leurs mouchoirs. La Reine, dont l'émotion était extrême, répondait en s'inclinant aux acclamations et aux vœux dont elle était l'objet.

Les signatures données, le pliant du nilieu est enlevé. S. M. Louis-Philippe Ier, roi des Français, s'assied sur le trône dont la vacance vient de cesser, et adresse aux deux Chambres ces paroles :

« Messieurs les pairs, Messieurs les députés,

<< Je viens de consommer un grand acte; je sens pro« fondément toute l'étendue des devoirs qu'il m'impose; <«< j'ai la conscience que je les remplirai. C'est avec pleine « conviction que j'ai accepté le pacte d'alliance qui m'était << proposé.

« J'aurais vivement désiré ne jamais occuper le trône, « auquel le vœu national vient de m'appeler; mais la « France, attaquée dans ses libertés, voyait l'ordre public

<< en péril; la violation de la Charte avait tout ébranlé; il « fallait rétablir l'action des lois, et c'était aux Chambres « qu'il appartenait d'y pourvoir. Vous l'avez fait, Mes<< sieurs; les sages modifications que nous venons de faire « à la Charte garantissent la sécurité de l'avenir, et la << France, je l'espère, sera heureuse au-dedans, respectée « au-dehors, et la paix de l'Europe de plus en plus affer« mie. »

Au moment où le Roi va quitter la salle, les pairs et les députés se précipitent en foule sur son passage; les plus rapprochés s'emparent de ses mains, qu'ils pressent avec transport, et le Roi est reconduit jusqu'à la porte du palais, où il remonte à cheval.

Cette cérémonie, si simple et si grande à la fois, avait produit sur tous ceux qui en avaient été témoins une indicible impression. Quoi de plus imposant et de plus touchant, en effet, que de voir une grande nation disposer librement et volontairement du pouvoir suprême, en faveur d'un prince appelé par elle à l'honneur de la commander? Quoi de plus auguste que ce contrat réellement débattu, réellement accepté, réellement signé, entre un peuple stipulant pour ses libertés et un Roi affirmant les obligations et les garanties de sa couronne?

Mais en perdant son caractère mystique et divin, pour rentrer dans les conditions d'une institution purement humaine, la monarchie restait-elle, comme on l'a dit, livrée aux caprices et aux inconstances du peuple? Est-il vrai que le peuple français, qui avait eu aujourd'hui le droit de faire un roi, aurait, au même titre, demain, le droit d'en faire un autre, et que le principe de la souveraineté nationale soit incompatible avec la monarchie héréditaire?

Nullement.

L'hérédité avait, dans la monarchie de 1830, les mêmes garanties que dans la monarchie de 1814. Cette garantie, c'était la foi jurée. Le 9 août 1830, la nation française s'est engagée explicitement à respecter la transmission de la couronne dans la famille du roi Louis-Philippe, « à perpétuité, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, » comme elle s'était engagée implicitement, par la Charte du 14 juin 1844, à la respecter dans la maison de Bourbon. Pour avoir été transporté de la descendance de Charles X à la descendance de Louis-Philippe, le principe d'hérédité n'a pas été détruit, pas plus que, pour avoir été transporté, dans des circonstances identiques, de la descendance de Jacques II à celle de Guillaume III, il ne cessa d'être une des lois fondamentales de la monarchie britannique? Est-ce que le peuple anglais a jamais élevé, depuis, la prétention d'élire ses rois ou de changer l'ordre de succession?

La monarchie de 1830, établie d'un consentement réciproque entre la nation et le Roi, était légitime, constitutionnelle et héréditaire. Elle ne faisait pas remonter jusqu'à Dieu son origine; mais elle avait pour base un contrat solennel et synallagmatique, c'est-à-dire le plus sacré et le plus indissoluble des engagements.

CHAPITRE XIII

ÉTAT DES PARTIS APRÈS L'AVÉNEMENT.

Le parti libéral se partage en deux grandes divisions, destinées à devenir le Parti du mouvement et le Parti de la résistance. - Formation du premier ministère.-M. Dupont (de l'Eure); M. Laffitte; M. le baron Bignon. M. le comte Molé; M. Guizot; M. le duc de Broglie; M. le baron Louis; M. le général comte Gérard; M. le général Sébastiani. - Union de MM. de Lafayette, Odilon Barrot et Dupont (de l'Eure).-Agitation des classes ouvrières. -Création de la garde municipale.- Tactique du parti ultrà-légitimiste; ses avances au parti républicain.-Mort du prince de Condé; son testament; circonstances qui ont marqué ses derniers jours.-L'enquête établit que sa mort a été le résultat d'un suicide.

La France avait un gouvernement; et ce gouvernement, acclamé par l'immense majorité comme donnant satisfaction aux vœux du pays, accepté par d'autres comme une sauvegarde de l'ordre social, subi par quelques-uns comme marquant une halte nécessaire dans le développement des idées démocratiques, reposait sur l'assentiment libre et général de la population. Pendant quelques jours, aucun nuage ne vint troubler la joie publique. On se réjouissait à la fois et des libertés reconquises, et des périls conjurés. On eût pu croire que tout souvenir des anciennes divisions avait disparu, avec ce vieux roi qui quittait en ce moment le sol de la France. Mais ce n'était là qu'une de ces trèves qui succèdent aux grandes crises politiques.

En réalité, sous ces apparences d'accord presque unanime, il existait de grandes divergences dans la manière d'envisager les événements, et surtout les conséquences que ces événements devaient produire.

Pour le Roi, pour les hommes qui comprenaient les conditions d'un gouvernement régulier, la révolution avait dit son dernier mot et posé ses dernières limites dans la Charte modifiée. Rendre à la nation le calme et la paix intérieure, sous l'égide de ses institutions élargies; donner la sécurité aux intérêts industriels et financiers, qui avaient pris, sous la Restauration, un si large déve loppement; rassurer l'Europe sans la craindre, mais aussi sans la défier; affermir en France la liberté, de manière à en faire un objet d'émulation pour les peuples, sans en faire un épouvantail pour les rois : telle était la tâche imposée au nouveau pouvoir. Son œuvre était de contenir la révolution pour la rendre féconde, de lui résister pour la sauver.

Une fraction considérable de l'opinion monarchique voyait les choses tout autrement. Dans sa pensée, loin que la révolution dût être close, elle ne faisait que commencer. Elle avait désormais à étendre ses conquêtes en France, et à rayonner, comme un foyer de liberté, sur tous les peuples de l'Europe. Les efforts du Gouvernement ne devaient donc pas tendre à la limiter ou à entraver sa marche, mais seulement à la diriger.

Cet antagonisme qu'on vit poindre dès les premiers jours, parmi les acteurs et les partisans les plus sincères de la révolution, ne tarda pas à les séparer en deux grands partis qui furent désignés, d'après leurs doctrines, sous les noms de Parti du mouvement et de Parti de la résistance. Toutefois, ils ne se révélèrent d'abord que comme deux nuances de la grande opinion nationale, qui

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