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divers vins légers. Les produits les meilleurs qu'on rencontre dans cette province, après une très longue fermentation en tonneaux et en bouteilles, deviennent généreux et secs; ils sont alors renommés sous la dénomination de rancios.

L'Isère aussi possède un vin justement recherché que l'on désigne sous le nom de Côte-Saint-André, et produit des vins durables propres à l'exportation. Parmi les vignes de la Drôme, on cite les nombreux quartiers appelés mas, dont l'ensemble constitue le magnifique vignoble de l'Ermitage. Le département de Vaucluse est en possession d'approvisionner la France et l'étranger du vin célèbre de Château-Neuf-du-Pape, dont le meilleur provient du vignoble de La Nerthe, et qui figure sur les tables opulentes. Parmi les produits les plus estimés du Gard, on doit compter les vins de Saint-Gilles, de Langlade et le Tokai-Princesse. Les progrès de la vinification dans les Bouches-du-Rhône promettent un plus grand essor aux exportations des produits bien connus de Saint-Louis et Sainte-Marthe, des vins blancs de La Ciotat, enfin des vins de liqueur qui concourent, avec les raisins desséchés, à développer un commerce déjà très étendu. Le Var, la Loire et la Loire-Inférieure promettent des résultats non moins satisfaisans. Dans le Haut et le Bas-Rhin, on fabrique d'excellens vins dits de paille avec des raisins desséchés, suivant une méthode analogue à celle qui produit le vin de Tokai. Quelques vins blancs justement appréciés donnaient lieu autrefois à un commerce d'exportation avec l'Allemagne que raviveront un jour les fécondes relations ouvertes entre la France et tous les peuples commerçans du monde. Déjà en effet, sur plusieurs points, les exportations de nos vins se sont accrues sous l'influence de quelques mesures favorables.

Les importations de vins français dans la Grande-Bretagne se sont depuis quatre mois accrues du double, si on les compare aux importations de 1859. Alors les quantités s'étaient élevées seulement à 1,003,500 litres, tandis qu'en 1860 elles atteignent 2,376,000 litres, et cependant l'attente certaine d'un nouveau dégrèvement au 1er janvier 1861 a nécessairement restreint les commandes aux quantités que les marchands anglais ont la certitude d'écouler avant cette époque (1). Pour se faire une idée de l'importance de cet accroissement dans nos relations commerciales, il suffit de rappeler que, sur les 2,109,647 hectares de vignes cultivés dans soixante-seize de nos départemens, sans y comprendre l'Algérie (2), on récolte,

(1) Pendant la même période, la valeur des objets de l'industrie parisienne expédiés à Londres a signalé un plus grand progrès encore, car elle a dépassé de 3,775,000 fr. la valeur constatée en 1859 par la douane de Paris.

(2) En 1859, le commerce des vins avec les nations étrangères a présenté les résultats suivans: Les quantités importées de diverses contrées du monde en vins ordinaires et de

année commune, au-delà de 45 à 50 millions d'hectolitres de vins. Or les prix du vin en France varient, suivant les crus, les années et les circonstances commerciales, entre 10 et 200 francs, et s'élèvent même jusqu'à 600 francs l'hectolitre; si l'on en estime la valeur moyenne à 25 francs, on trouvera qu'une somme de 1 milliard 250 millions représente l'importance actuelle du commerce intérieur et extérieur en ce genre. Cette importance ne peut manquer de s'accroître, si rien n'entrave la marche ascendante de notre commerce : grâce à de plus larges débouchés pour nos vins de table, à la multiplication de nos voies ferrées, on livrera moins de vins à la distillation, et l'on se préoccupera davantage de développer, en les améliorant, la culture des vignes et la vinification. En voyant à quel degré d'importance est parvenu le commerce extérieur de nos vins malgré de fâcheuses entraves, on peut sans hésiter prévoir le développement considérable que lui vaudra un régime plus libéral. Toutefois, pour qu'un tel progrès se maintienne, la viticulture doit satisfaire à bien des conditions. Nous avons indiqué dans quelle mesure elle peut s'aider de la science pour répondre à toutes les exigences d'une situation nouvelle. Les efforts qui se poursuivent dans toutes nos régions viticoles nous assurent que ces exigences seront satisfaites.

PAYEN, de l'Institut.

liqueur, contenus dans des tonneaux et dans des bouteilles, représentaient 11,446,764 litres, évalués à 7,612,310 francs. Les quantités de vins ordinaires et de liqueur exportées, soit en tonneaux, soit en bouteilles, et provenant, pour un tiers environ, du département de la Gironde, se sont élevées à 161,970,000 litres, représentant une valeur vénale de 186,630,021 francs. Si l'on ajoute les importations aux exportations, on arrive au chiffre de 194,242,331 francs, c'est-à-dire à près de 200 millions de francs, représentant le mouvement commercial auquel ont donné lieu en 1858 les divers vins entre la France et les nations étrangères.

Les exportations, année moyenne, représentent 2 millions d'hectolitres sur une récolte totale de 50 millions (en faisant la part des mauvaises années). 8 millions et demi d'hectolitres étant employés dans les distilleries et les vinaigreries, il en reste pour notre consommation intérieure 37 millions et demi, ce qui représente plus de 100 litres de vin pour chaque habitant de la France, autant que les Portugais en consomment et près de cent fois plus que les Anglais n'en gardent pour leur usage sur les quantités importées par leur commerce. Encore, sur les 330,000 hectolitres des vins consommés dans la Grande-Bretagne, la France ne figure-t-elle que pour 55,000 hectolitres.

LA FANTAISIE

AUX ÉTATS-UNIS

I. The Potiphar Papers, illustrated by A. Hoppin, New-York 1854. — II. Fern Leaves from Fanny Portfolio, London 1855. III. The Autocrat of the Breakfast Table, Boston 1859.

Il y a des livres sérieux, il y a des livres frivoles: jusque-là nulle difficulté; mais quels sont les uns et quels sont les autres? Ici l'esprit s'embarrasse, et le doute est permis. Un bien gros volume de niaiseries et de lieux-communs, parce qu'on y traite des questions théologiques ou métaphysiques, est-il ipso jure dans la première catégorie? Un conte parfaitement chimérique d'ailleurs, mais où la raison s'étonne de trouver une saine et profitable pâture, sera-t-il, sur l'étiquette du sac, rangé dans la seconde? Les sermons de l'abbé Cotin, s'ils ont jamais été recueillis, constituent-ils un ouvrage grave? Et Micromégas et Candide sont-ils de pures billevesées, bonnes pour des intelligences puériles et des cerveaux vides? Telles sont les réflexions qui nous encouragent à chercher dans la littérature américaine ce que les dernières années ont produit de moins austère, ou, si l'on veut, de plus aventuré, les plaisanteries qui ont le mieux égayé New-York ou déridé Boston, celles qui pourraient nous donner à la fois les meilleurs renseignemens sur la vie qu'on mène aux États-Unis et sur l'esprit qu'on y goûte. Nous nous arrêterons, comme on le pense bien, aux ouvrages qu'une vogue exceptionnelle recommande à notre attention. Ainsi le pseudonyme sous lequel sont publiés les essays de Fanny Fern est devenu aujourd'hui populaire; il

abrite et laisse entrevoir la sœur d'un écrivain fort connu de toute l'Amérique, M. N.-P. Willis. Les Potiphar Papers avaient atteint déjà, il y a six ans, leur septième édition, et l'Autocrate du déjeuner (The Autocrat of the Breakfast Table, singulier titre, bien républicain surtout!) s'était vendu à vingt-deux mille exemplaires lorsqu'il est arrivé en France dans les premiers mois de la présente année. Tant de succès dégagent en quelque sorte notre responsabilité, et nous permettraient au besoin, si quelques esprits dédaigneux nous reprochaient une curiosité poussée trop baş, de les renvoyer à frère Jonathan. Nous ne sommes pas tellement engoués de notre supériorité nationale que nous ne devions tenir quelque compte des jugemens qu'il porte et des lauriers qu'il décerne.

D'ailleurs, en étudiant les portraits satiriques dont il a proclamé la ressemblance et les épigrammes qu'il se décoche à lui-même, nous apprenons à le mieux connaître. Il est à la fois le sujet très important et le juge très compétent des tableaux de mœurs que nous voulons examiner à notre tour. Nous saurons donc du même coup comment il vit, comment il lit; et si nous trouvions par hasard trop à dire sur la manière dont il apprécie les œuvres de l'esprit, nous serions fort tentés d'en conclure qu'il y a quelque vice caché dans son état social something rotten in Denmark, comme dit Shakspeare. Tout s'enchaîne et se tient dans l'existence complexe de ces grands organismes qu'on appelle nations. Les divers ressorts qui les meuvent sont solidaires les uns des autres. Une lacune que vous signalez sur un point doit vous avertir qu'une lacune correspondante existe ailleurs. Les subtils Athéniens par exemple, qui battaient des mains aux grossièretés d'Aristophane, dénonçaient ainsi à la postérité perspicace les anomalies de leurs mœurs non épurées. Un peuple plus corrompu, mais plus civilisé, où les femmes auraient joué le rôle qui leur appartient désormais, n'eût pas toléré ces énormités. Elles n'accusent donc pas seulement une infirmité de goût littéraire, mais un vice radical dans l'organisation domestique et publique. L'historien en tient compte et en tire profit tout autant pour le moins que le critique. C'est ainsi que, pour apprécier l'état général du corps humain, un médecin habile pose l'extrémité de ses doigts sur une petite veine où vient battre le flot vermeil qui, tantôt précipité, tantôt ralenti, lui dénonce le mal caché dans les plus inscrutables profondeurs.

Depuis quelques années, nous avons eu sur le compte des Américains bien des renseignemens qu'il serait malaisé de faire concorder ensemble. Mettez seulement la médisance superficielle de mistress Trollope en regard des appréciations sympathiques et hautement favorables de M. Ampère : vous allez vous trouver dans une grande

perplexité. Voulez-vous en sortir? Sollicitez le témoignage, non de l'étranger qui a traversé le pays, et qui en parle selon le hasard des rencontres, selon l'état de son humeur particulière, selon les préjugés qu'il y apportait, selon l'accueil qu'il y a trouvé, mais l'habitant lui-même, pour qui rien n'est énigmatique, qui n'en est pas réduit à questionner, à interpréter, à mettre d'accord des renseignemens incomplets avec des impressions plus ou moins trompeuses. Où le voyageur n'a fait que voir, l'indigène a pu savoir; où le premier a rencontré un masque impénétrable, le second n'a pas même besoin de soulever un voile transparent. Le même contraste qui a laissé l'un dans un doute insoluble est pour l'autre l'alliance toute simple, toute naturelle, de deux faits corrélatifs. Son œil exercé en saisit le rapport secret, que mille menus faits épars ont éclairé pour lui d'une lumière toujours plus vive.

Tous nos voyageurs par exemple ont eu à signaler l'un après l'autre cette contradiction flagrante du républicanisme qui s'éprend des distinctions sociales et l'étrange contraste qu'offrent ces fiers citizens ébahis devant un titre nobiliaire souvent fort suspect. Il y a là une inconséquence grave et un ridicule bien complet : la première choque notre logique impérieuse, notre impérieux sentiment d'égalité; le second réveille en nous ce besoin de raillerie qui est une des forces et une des faiblesses de l'esprit français. Étonnonsnous donc et rions! Nous nous trouverons parfaitement d'accord en ceci avec l'auteur des Potiphars Papers, dont un des meilleurs chapitres (our best society) est justement une dénonciation très formelle de cette bévue anti-démocratique. Il faut l'entendre signaler avec amertume l'insolence patricienne de ces jeunes gens qui vont au bal chez un riche négociant, boivent son vin, détériorent ses tapis, rient de son luxe maladroit, et se croient quittes envers euxmêmes de cette dérogeance moyennant le soin qu'ils ont pris de « ne pas se faire présenter. » Et ils prennent, ajoute-t-il, ces façons de lords tout simplement parce qu'ils portent, en le déshonorant, le nom de quelqu'un qui, certain jour, fut utile à son pays, tandis que Potiphar (le négociant en question) est tout bonnement un honnête homme qui a fait fortune.

Cette brillante jeunesse qui croit se devoir à l'oisiveté la plus absolue se trouve bientôt, par le jeu naturel des choses, reléguée au second plan. La fortune due à l'ancêtre se divise, s'émiette et se fond; de là une triste et avilissante nécessité, celle d'un mariage d'argent. C'est comme « chasseurs de dot» que vous les voyez s'entasser dans les salons éclairés et dorés à outrance que leur ouvre la vanité de M. Potiphar. Ils y étalent leurs grands airs blasés, leur condescendance aristocratique. La plupart sont allés à l'étranger

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