Page images
PDF
EPUB

l'Italie, l'Espagne, ont été décrites d'après des relations et des documens précis et récens. Les faits marchent de notre temps avec une telle rapidité qu'un ouvrage publié aujourd'hui risque, lorsqu'il s'arrête aux lieux où se débat la politique et où s'agite l'activité contemporaine, de n'être plus entièrement exact demain : c'est ce qui est arrivé ici pour l'Italie et même pour la France; mais l'auteur et les éditeurs ont manifesté l'intention de tenir, à l'aide de cartons et de supplémens, leur public au courant des modifications effectuées et de celles qui pourront survenir. De même, tandis que ce vaste et bel ouvrage complétait lentement ses recherches et sa rédaction, l'activité anglo-saxonne, débordant sans cesse, peuplait de colonies tout un monde, et pour le chiffre de leur population, la somme de leurs importations et de leurs produits, leur importance et leur nombre, les villes de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande ont accompli de bien grands progrès depuis les deux ou trois années qui se sont écoulées entre la rédaction de cette nouvelle géographie et la publication définitive.

Si nous signalons ces sortes de lacunes, ce n'est pas pour faire à l'auteur un reproche qui ne saurait lui être adressé avec justice; c'est plutôt pour avoir encore une occasion de signaler l'importance et l'intérêt que la géographie a pris de nos jours. Quel spectacle en effet plus admirable et quel plus grand récit que celui des conquêtes incessantes de l'homme sur la nature! Qu'on prenne une mappemonde : l'histoire entière de l'humanité s'y trouve inscrite avec les vicissitudes du passé et les grandes perspectives de l'avenir; c'est autour de cette mer enfermée de toutes parts, semée d'îles, dont les baies et les golfes pénètrent au sein des terres, et sur laquelle s'allongent de l'orient à l'occident trois péninsules destinées à un si glorieux avenir, que naissent et se développent les premières civilisations de la moitié du monde. Cependant les temps ont marché; les sociétés se sont transmis de l'une à l'autre le flambeau civilisateur; de nouveau-venus, curieux, avides, intelligens, sont descendus des froides contrées de l'est et du nord; il faut que le foyer s'élargisse : la Méditerranée ne suffit plus, avec son riche littoral, au déploiement de l'activité humaine. A l'Atlantique maintenant; de même que la mer qui leur sert de bassin, les régions civilisées s'élargissent et s'accroissent; heureuses alors les nations qui peuplent les rivages prédestinés par leur situation à la grandeur: l'Espagne, la France, l'Angleterre et ses grandes colonies de l'Amérique! Mais la civilisation marche et s'étend toujours; les deux bouts du monde se rejoignent; voici que de nouvelles régions se peuplent, que l'extrême Orient, si longtemps silencieux, s'habitue à nous renvoyer l'écho de nos bruits, que les deux océans tendent à se rejoindre. Et qui sait, dans ce conflit des hommes, dans ce mélange de toutes choses, si ce n'est pas aux bassins du Pacifique qu'appartient la plus grande part de l'avenir?

ALFRED JACOBS

V. DE MARS.

LE MARQUIS

DE VILLEMER

TROISIÈME PARTIE. 1

XIII.

Malgré la promesse que le duc avait faite à son frère de n'avertir personne, il ne put se résoudre à endosser la périlleuse responsabilité du silence absolu. Il croyait au médecin, quel qu'il fût, tout en disant qu'il ne croyait pas à la médecine, et il résolut d'aller à Chambon pour s'entendre avec un jeune homme qui ne lui avait paru manquer ni de savoir ni de prudence, un jour qu'il l'avait consulté sur une indisposition légère. Il lui confierait sous le sceau du secret la situation du marquis, l'engagerait à venir au château le lendemain sous prétexte de vendre un bout de prairie enclavé dans les terres de Séval, et là il ferait en sorte que le médecin vît le malade, ne fût-ce que pour observer sa physionomie et son allure, sans donner d'avis officiel; on verrait à soumettre cet avis à M. de Villemer, et peut-être consentirait-il à le suivre. Enfin le duc, qui ne savait pas veiller dans le calme et le silence de la nuit, avait besoin d'agir pour secouer son inquiétude. Il calcula qu'en une demi-heure il serait à Chambon, et qu'une heure lui suffirait ensuite pour réveiller le médecin, parler avec lui et revenir. Il pouvait, il devait être

(1) Voyez les livraisons du 15 juillet et du 1er août.

TOME XXVIII.

15 AOUT 1860.

49

de retour avant que son frère, qu'il voyait calme et qui paraissait endormi, fût sorti de son premier sommeil.

Le duc le quitta sans bruit, gagna le dehors par le jardin, afin de n'être entendu de personne, et descendit d'un pas rapide vers le lit de la rivière jusqu'à une passerelle de moulin et à un sentier qui le conduisit à la ville en droite ligne. En prenant un cheval et en suivant la route, il eût fait du bruit et gagné fort peu de temps. Le marquis ne dormait pas si profondément qu'il ne l'eût entendu sortir de sa chambre; mais, ignorant son projet et ne voulant pas l'empêcher d'aller se reposer, il avait feint de ne s'apercevoir de rien.

Il était alors un peu plus de minuit. Me d'Arglade avait suivi Caroline dans sa chambre pour babiller encore, après avoir pris congé de la marquise. - Eh bien! chère belle, lui disait-elle, êtesvous réellement aussi contente de cette maison que vous le dites? Soyez franche avec moi, si quelque chose vous y chagrine. Eh! mon Dieu! il y a toujours et partout quelque petite chose qui cloche!... Profitez de ce que me voilà pour me le confier. J'ai quelque ascendant sur la marquise, sans le chercher, à coup sûr; mais elle aime les têtes folles, et puis moi, qui suis d'un naturel heureux et qui n'ai jamais besoin de rien pour moi-même, j'ai le droit de servir mes amis sans me gêner.

- Vous êtes très bonne, répondit Caroline; mais ici tout le monde aussi est bon pour moi, et si j'avais quelque ennui, je le dirais tout simplement.

A la bonne heure, merci, dit Léonie en prenant la promesse pour elle. Eh bien! et le duc? il ne vous a jamais taquinée, le beau duc?

[blocks in formation]

Bien, vous me faites plaisir de me dire cela. Savez-vous qu'après vous avoir écrit pour vous engager à entrer ici, j'ai eu un remords de conscience? Je ne vous avais point parlé de ce grand vainqueur!

Il est vrai que vous aviez semblé craindre de m'en parler. -Craindre, non, je l'avais complétement oublié; je suis si étourdie! Je me suis dit ensuite: Mon Dieu, pourvu que Mile de SaintGeneix ne soit pas ennuyée de ses manéges! car il en a, des manéges, et avec tout le monde!

Il n'en a pas eu avec moi, Dieu merci.

Alors tout est bien, répondit Léonie, qui n'en crut pas un mot. Elle parla chiffons, et tout à coup :- Ah! mon Dieu! dit-elle, voilà que l'envie de dormir me prend, moi! Ce que c'est que le voyage! A demain, chère Caroline. Êtes-vous matinale?

[blocks in formation]

Moi, hélas! pas trop; mais dès que j'aurai les yeux ouverts,... entre dix et onze, n'est-ce pas? je vous trouverai chez vous.

Elle se retira, décidée à se lever matin, à errer partout, comme au hasard, et à surprendre tous les détails d'intimité de la famille. Caroline la suivit pour l'installer dans son appartement et rentra dans sa petite chambre, qui était assez éloignée de celle du marquis, mais dont les croisées en retour sur le préau se trouvaient à peu près en face des siennes.

Avant de se coucher, elle mit en ordre quelques cahiers, car elle étudiait beaucoup et aimait à s'instruire; elle entendit sonner une heure du matin, et alla fermer sa persienne avant de se déshabiller. En ce moment, elle saisit un coup sec frappé sur les vitres d'en face; et, ses yeux se portant dans la direction du bruit, elle vit tomber en éclats une glace de la fenêtre éclairée du marquis. Étonnée de cet accident et du silence qui suivit, Caroline prêta l'oreille. Personne ne bougeait, personne n'avait entendu. Peu à peu des sons confus lui parvinrent, d'abord de faibles plaintes, puis des cris étouffés et une sorte de râle. On assassine le marquis! fut sa première pensée, car les murmures sinistres partaient évidemment de chez lui. Que faire? appeler, chercher, avertir le duc, qui demeurait encore plus loin?... Tout cela était trop long, et d'ailleurs, sous l'oppression de pareils avertissemens, l'indécision n'est pas permise. Caroline mesura de l'œil la distance : c'étaient vingt pas de gazon à parcourir. Si des malfaiteurs avaient pénétré chez M. de Villemer, c'était par l'escalier de la tourelle du Griffon, qui faisait face à celle du Renard. Ces deux cages à degrés portaient le nom des emblèmes grossièrement sculptés sur le tympan des portes. L'escalier du Renard desservait de ce côté l'appartement de Caroline. Nul autre qu'elle ne pouvait arriver aussi vite, et sa seule approche pouvait faire lâcher prise aux égorgeurs. Dans la tourelle du Griffon se trouvait d'ailleurs la corde d'un petit beffroi. Elle se dit tout cela en courant, et elle avait fini de se le dire en arrivant à cette porte, qu'elle trouva ouverte. Le duc était sorti par là, se promettant de rentrer par là au jour sans faire crier les gonds, et ne croyant nullement aux brigands, race inconnue dans le pays.

Pourtant Caroline, confirmée d'autant plus dans cette imagination, monta d'un trait l'escalier de pierre en spirale. Là, elle n'entendit plus rien, avança dans le couloir et s'arrêta hésitante devant l'entrée de l'appartement du marquis. Elle se hasarda à frapper, on ne lui répondit pas. Il n'y avait certes pas d'assassins autour d'elle; mais alors qu'était-ce donc que ces cris entendus? Un accident quelconque, mais grave à coup sûr et qui réclamait de prompts secours. Elle poussa la porte, qui n'était mème pas refermée au loquet, et

1

trouva M. de Villemer étendu sur le carreau, près de la fenêtre qu'il n'avait pas eu la force d'ouvrir, et dont il avait brisé la vitre pour respirer, se sentant comme foudroyé par un étouffement subit.

Le marquis n'était pas évanoui. Il avait eu les affres de la mort, mais il sentait revenir la respiration et la vie. Comme il avait le visage tourné vers la fenêtre, il ne vit pas entrer Caroline, mais il l'entendit, et croyant que c'était le duc : - N'aie pas peur, lui dit-il d'une voix faible, ça se passe. Aide-moi à me relever, je n'en ai pas encore la force.

Caroline s'élança et le releva avec l'énergie d'une volonté surexcitée. Ce fut seulement en se retrouvant assis qu'il la reconnut ou crut la reconnaître, car sa vue, encore voilée, était traversée par des ondes bleues, et ses membres avaient contracté une demi-rigidité qui les rendait insensibles au toucher des bras et des vêtemens de Caroline.

Mon Dieu!... est-ce un rêve? dit-il en la regardant avec une sorte d'égarement; vous! est-ce vous?

- Mais oui, c'est moi, répondit-elle; je vous ai entendu gémir... Qu'y a-t-il donc? mon Dieu! que faut-il faire? Appeler votre frère. n'est-ce pas? Mais je n'ose encore vous quitter. Que sentez-vous? qu'avez-vous?

- Mon frère! reprit le marquis en se ranimant jusqu'à recouvrer la mémoire; ah! c'est lui qui vous amène ici! Où est-il?

[ocr errors]

Il n'est pas là, il ne sait rien.

Vous ne l'avez pas vu?
Non! je vais le faire appeler.
Ah! ne me quittez pas!

Eh bien! non; mais vous secourir!...

Rien, rien! Je sais ce que c'est, ce n'est rien. N'ayez pas peur, me voilà tranquille. Et... vous êtes là! et vous ne saviez rien?

Rien au monde! Depuis quelques jours, je vous trouvais changé... Je pensais bien que vous étiez malade, mais je n'osais pas 'm'en inquiéter...

- Et tout à l'heure,... j'ai donc appelé?... Quoi? qu'ai-je dit? - Rien! Vous avez brisé cette vitre, en tombant peut-être! Ne vous a-t-elle pas blessé ?

Et Caroline, approchant la lumière, regarda et toucha les mains du marquis. La droite était assez fortement coupée : elle lava le sang, et, retirant adroitement les parcelles de verre, elle pansa la blessure. Urbain la laissa faire en la regardant avec l'étonnement attendri d'un homme qui, ramassé sur le champ de bataille, se sent dans des mains amies. Il répétait faiblement :- Mon frère ne vous a donc rien dit, vrai?

« PreviousContinue »