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avec les réformes introduites en 1848 par la diète de Presbourg. La Croatie, la Transylvanie, ont donné des signes non équivoques d'un semblable accord. L'empire serait donc menacé d'une scission en deux parties assez fortes pour soutenir l'une contre l'autre une lutte prolongée. Déjà, et sur quelques points isolés, comme dans le comitat de Gomor, l'emploi de la force armée est devenu nécessaire. A Pesth, la tranquillité publique a été plus d'une fois troublée, et tout récemment encore des désordres éclataient, notamment dans les journées du 20 et du 23 juillet; mais si le ressentiment national ne se produit pas encore par des signes sérieusement menaçans, il saisit toutes les occasions pacifiques de donner un libre cours à ses aspirations. Toutes les classes de la société ont repris le costume hongrois; dans chaque circonstance, des rubans aux couleurs nationales sont arborés, des discours non équivoques prononcés, des acclamations enthousiastes répétées. Au théâtre de Pesth, dernièrement, des vivat frénétiques en l'honneur du roi Victor-Emmanuel et du général Garibaldi ont accompagné une distribution de rubans aux couleurs rouge, blanche et verte. Presque le même jour, à l'occasion des funérailles du colonel hongrois Tuckery, mort de blessures reçues au siége de Palerme, on lisait dans une proclamation de Garibaldi : « L'Italie libre est solidaire et responsable de la liberté hongroise; les Italiens le jurent, sur la tombe de cet héroïque martyr, la cause hongroise sera la leur, et ils échangeront avec leurs frères sang pour sang. » L'Autriche saura-t-elle résister à ces ennemis du dedans et du dehors? Nous ne voulons, pour le moment, tirer de ces faits qu'une double conclusion.

Le gouvernement impérial a soumis en 1848 à un régime de centralisation impopulaire la Hongrie et ses annexes: non-seulement il leur a imposé une unité politique nouvelle, mais une unité administrative complète, son système d'impôts et de perceptions de taxes, ses propres dettes et ses embarras financiers; enfin il a privé la Hongrie de la liberté. A toutes ces causes réunies est dû le mécontentement hongrois; mais après la perte de la liberté, l'union financière, si l'on peut ainsi parler, a fourni le plus puissant des griefs, a pesé du poids le plus lourd sur les masses populaires. A quoi d'ailleurs ont servi ces aggravations d'impôts, ces progrès de la dette commune? A soutenir des armemens militaires exagérés, à faire prévaloir une politique extérieure impopulaire, à maintenir en Italie une domination contre laquelle on voit aujourd'hui la Hongrie elle-même se soulever.

Assurément nous pensions émettre un vœu conforme aux vrais intérêts du gouvernement de l'empereur François-Joseph quand nous souhaitions qu'une réforme constitutionnelle sérieuse satisfît à la fois

aux aspirations populaires et aux nécessités de la prépondérance extérieure de l'Autriche. Quelques réformes conçues dans un esprit plus libéral, notamment la réorganisation du conseil de l'empire, ont été tentées récemment : il importe qu'elles se continuent et s'étendent dans le plus bref délai possible; mais il y aurait aussi à exprimer un vœu plus ardent, plus stérile peut-être : il y aurait une seconde conséquence à tirer du parallèle établi entre l'état financier de l'Autriche et celui de l'Italie. Si la situation intolérable qui leur est faite précipitait le choc que des intérêts essentiels leur commanderaient d'éviter, on peut dès à présent apprécier la gravité des blessures qu'elles se porteront l'une à l'autre.

L'armée autrichienne n'a rien à redouter d'une rencontre avec les 200,000 hommes à peine exercés qui composent l'armée de l'Italie; mais, tout obérées qu'elles soient, grâce au dévouement public, les finances italiennes peuvent supporter de nouvelles charges plus aisément que les finances de l'Autriche, sans monnaie, sans crédit ni au dedans ni au dehors. Enfin, dans le cas où non plus deux armées, mais deux nations seraient en présence, l'Autriche ne parviendrait peut-être plus à réunir dans un faisceau compact les races frémissantes qu'elle comprime. Ainsi donc, d'abord dans l'intérêt de l'Italie, que nous voudrions voir respirer sous un gouvernement libéral et fort, puis dans l'intérêt même de l'Autriche,

pour qu'elle cesse de se consumer en dépenses ruineuses, pour qu'elle puisse rendre à ses peuples la liberté et le bien-être, pour qu'en Hongrie la révolution recule devant de sérieuses réformes, Dieu veuille que l'Italie entière recouvre son indépendance, et que l'empereur d'Autriche renonce à être le souverain de Venise!

Mais sans prévoir ce que sera demain l'état qui s'appelait hier encore le Piémont, limitons à l'heure présente l'examen de la situation financière de la Haute-Italie. Des chiffres qui ont été posés, comme des faits qui ont été cités, on peut tirer d'utiles indications sur la conduite que doit tenir le gouvernement piémontais. Avec d'autres limites, sur une plus grande étendue territoriale, les conséquences en tout cas resteraient les mêmes. Déjà, en 1861, le budget des dépenses atteindra près de 500 millions; le budget des recettes ne s'élèvera pas à 400. Pour une population de dix millions et demi d'habitans, pour un état nouvellement né, c'est presque la proportion du budget de dépenses de la France. Un déficit de près d'un cinquième dans les recettes constitue en outre la plus grave de toutes les situations. Précisément parce que le temps a manqué pour remanier le système général des impôts, et afin de ne pas augmenter dans chacune des provinces annexées les taxes antérieures, le gouvernement a re

cours à une mesure qui frappe tout le monde, c'est-à-dire à l'emprunt; mais bien que les souscriptions nationales s'élèvent au triple des sommes émises, malgré le taux favorable de l'adjudication du dernier emprunt de 150 millions, que le ministre des finances n'a pas hésité à porter à 80 fr. 50 cent., l'emprunt n'est pas une ressource dont on puisse user annuellement. Il a été jusqu'ici d'une bonne politique de séparer les dépenses de la guerre de toutes les autres, et non-seulement d'en laisser la plus grande part au budget des dépenses extraordinaires, mais même, comme cela s'est pratiqué pour la Lombardie et l'Émilie, de ne rien comprendre des dépenses de l'armée dans les budgets locaux. Ce qui s'est fait sous la pression de circonstances exceptionnelles peut devenir la loi générale, et aussi bien que les dépenses de la liste civile du roi, les dépenses de l'armée peuvent être considérées comme devant être soldées par une sorte de fonds commun fourni proportionnellement par toutes les provinces. Pour le moment, c'est l'emprunt qui pourvoit à tout, et l'emprunt contracté au nom du Piémont. Il en résulte même une anomalie singulière. Ainsi les titres de dettes locales, ceux de Parme et de Modène même, jouissent de plus de crédit et sont cotés plus haut que les titres de la dette piémontaise. Les sommes empruntées dans les trois derniers exercices se sont élevées de 1 à 3, de 50 à 150 millions. Une semblable progression ne peut être indéfinie, et un jour ou l'autre le Piémont, qui jusqu'ici s'endette pour son propre compte, devra demander aux provinces unies de prendre leur part non-seulement des obligations qui leur sont particulières, mais de celles qui auront été contractées pour la cause nationale.

A l'heure de cette liquidation et de cet apurement de comptes, difficiles pour les états comme pour les individus, que le gouvernement piémontais, digne jusqu'à présent de toutes les sympathies libérales dans ses efforts pour l'affranchissement de l'Italie, n'imite pas la mauvaise conduite qui a rendu le gouvernement autrichien si impopulaire, et qu'il adopte le système d'administration le plus propre à maintenir la paix intérieure! Après être sortie à son honneur de la guerre étrangère, il ne faut pas que l'Italie joue de nouveau ses destinées dans la guerre civile.

BAILLEUX DE MARISY.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

14 août 1860.

On doit commencer à comprendre, non-seulement en France, mais en Italie, les raisons trop réelles de la sérieuse tristesse que nous inspire depuis quelque temps la marche des affaires de la péninsule. Les questions italiennes sont revenues pour le moment au premier plan parmi les périlleux problèmes qui tourmentent l'Europe. Naturellement c'est l'intérêt français engagé dans la question italienne qui nous préoccupe avant tout; mais les intérêts italiens bien entendus nous paraissent se confondre si étroitement dans la circonstance présente avec les intérêts français, que nous ne nous faisons aucun scrupule de nous placer au point de vue même de l'Italie pour appeler l'attention réfléchie des hommes qui ont la responsabilité des destinées italiennes sur l'état vrai des choses et sur les perspectives prochaines vers lesquelles ils ont l'air de marcher les yeux fermés. Certes nous avons le droit de nous inquiéter comme Français de ces perspectives. Les Italiens vont gratuitement, sans nécessité, et l'on peut dire sans préparation, au-devant d'un conflit avec l'Autriche. Engagés dans une lutte aventureuse et prématurée avec une puissance militaire que la France elle-même a trouvée redoutable, s'ils venaient à succomber, comme on est trop fondé à le craindre, ils placeraient la politique française dans la plus triste alternative: ou la France irait à leur secours, ou elle laisserait s'accomplir le triomphe de l'Autriche. Dans le premier cas, la France serait entraînée dans une guerre allumée par une politique qu'elle aurait frappée du blâme le plus formel, provoquée par des idées et des hommes qu'elle aurait ha utement désavoués d'avance; elle assumerait les risques de la lutte contre une coalition européenne, en se mettant à la remorque d'une politique qui aurait rejeté et dédaigné ses conseils! Dans le second cas, nous ne savons si le danger serait moindre, mais l'humiliation serait plus lamentable: deux ans après avoir gagné la bataille de Solferino, un an après

TOMB XXVIII.

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avoir pris Nice et la Savoie comme compensation aux agrandissemens obtenus par le Piémont en dehors et à l'encontre des stipulations de Villafranca, il faudrait donc que la France se résignât à voir l'Autriche se camper à Florence et à Bologne, opérer les armes à la main l'exécution du traité de Zurich, et convoquer un congrès pour prendre l'Europe à témoin de la légitimité de sa défense et de sa modération dans la victoire!

On appelle à Turin, avec une ironie qui ne nous offense point, conseils d'amis les réflexions que nous ont inspirées ces perspectives. Nous n'avons pas eu la fatuité de donner des conseils aux Italiens; nous pensons pourtant nous être assez montrés, et peut-être quelquefois non sans efficacité, leurs amis pour avoir le droit de leur exposer franchement les perplexités que nous ressentons en les voyant s'abandonner, dans la situation actuelle de l'Europe, à un de ces mouvemens dont la raison et le libre arbitre perdent la direction. Nos sympathies, on le sait de reste, sont depuis longtemps acquises à l'Italie, et nous n'avons d'antipathie pour aucun des hommes qui se sont signalés dans la cause de l'indépendance italienne. Peu d'hommes d'état contemporains nous ont inspiré un goût aussi vif que celui que nous avons éprouvé pour l'esprit net et facile, pour le sang-froid audacieux, habile et malin de M. de Cavour. Nous n'avons pas été froids pour les qualités chevaleresques, sévères pour les étourderies passionnées du général Garibaldi. S'il faut même aller jusqu'au bout de notre pensée, nous avons pu déplorer les excès des idées mazziniennes, sans méconnaître ce qu'il y a de foi et de puissance dans l'ardeur et l'opiniâtreté de M. Mazzini, ce qu'il y a de grand dans la figure de cet indomptable et insaisissable conspirateur. Nous n'avons pas d'objection de principes, pas de préjugé diplomatique contre l'unification de l'Italie. Nous allons plus loin, nous connaissons, et nous en tenons grand compte, les énormes difficultés qui embarrassent ceux que nous tenons pour responsables de la direction actuelle de l'Italie. Nous pouvons le dire avec un douloureux orgueil, nous sommes plus savans en révolutions que les Italiens. Nous avons connu, nous aussi, les époques où l'on fait de l'ordre avec le désordre, nous connaissons celles où l'on fait du désordre avec l'ordre, et l'expérience nous a également appris l'issue des deux systèmes. Nous savons que l'Italie est dans une de ces situations où les esprits les plus sagaces et les plus fermes, submergés par le courant, se croient impuissans à contenir le débordement tumultueux de la multitude, et jugent inutile tout effort pour redresser l'erreur d'un peuple. Cet inerte fatalisme enveloppé d'un banal enthousiasme nous est connu; nous savons aussi quelles viles défaillances suivent ces enivremens, avec quelle promptitude les rodomontades enfantent les lâchetés. C'est justement à cause de cela, c'est parce que nous voyons les Italiens livrés à l'un de ces entraînemens où se perd le discernement de la réalité, c'est parce qu'ils nous semblent avoir l'air de croire que nous sommes encore au temps où les murailles de Jéricho tombaient devant une fanfare, c'est parce que personne en Italie ne

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