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LETTRE MISSIVE. - § 1.

traction, la remise a dû en être faite, non pas à l'auteur, mais

au destinataire (même arrêt). ·

Toutefois, un arrêt a ordonné la

comme constituant un titre commun au destinataire et à toutes les
parties qu'elles intéressent. Telle est celle par laquelle l'adminis-

en faveur d'un cessionnaire : par suite, tout autre que le desti-
nataire peut invoquer en justice cette lettre dont la possession lui
lation du droit de propriété, alors que le destinataire n'a pas
est advenue d'une manière licite, sans qu'un tel fait emporte vio-
conclu à ce qu'elle fût écartée du procès (Req. 19 juill. 1843, aff.
Massiat, V. Obligat.).

remise de la lettre à la personne qui l'avait écrite (Paris, 5 ch.,tration refuse d'agréer la démission donnée par l'un de ses agents 15 mai 1826, M. Dupaty, pr., aff. Lebon C. Wildy); mais, dans l'espèce, la lettre était adressée par un mari à sa femme; -2° Que l'avoué qui a occupé dans une instance pour un client, n'est pas obligé de rendre, lorsqu'il remet les pièces de l'affaire, les lettres que ce dernier lui a écrites (Limoges, 19 avril 1844, aff. Chamblant, D. P. 43. 4. 53);—3o Que de même, en matière d'état civil, les lettres, étant la propriété de celui à qui elles ont été adressées, ne peuvent être produites en justice que de son consentement (Req. 12 juin 1825, aff Bellengreville, V. Patern.filiat.). Mais il ne s'ensuit pas, suivant Merlin, vo Lettre, que, dans les questions d'état, des lettres confidentielles, écrites à des tiers, doivent être dépourvues de toute force probante, alors qu'elles émanent d'une partie qui est ou qui serait, si elle n'était pas dérédée, intéressée dans la contestation (V. Paternité-filiation). Il ne s'ensuit pas non plus que la partie à qui il importe que de telles lettres soient produites, n'ait aucun moyen pour arriver à ce but, lorsque, par exemple, elles se trouvent ou entre les mains d'un tiers et que la notoriété publique signale cette existence, ou dans un dépôt public, ou lorsqu'elles sont consignées dans les registres d'un commerçant, lequel, on le sait, peut être forcé de les produire en justice (V. Commerçant, nos 258 et s.; Compulsoire, nos 55 et s.).—Mais, à l'égard des titres purement privés, V. v° Compulsoire, n° 9 et suiv.

8. Néanmoins, ce principe cesse d'être applicable, alors que la lettre présente un caractère confidentiel: propriété de celui qui l'écrit, elle n'est, dans ce cas, qu'un dépôt entre les mains de celui qui la reçoit (V. nos 24 s.).-Elle ne peut, dès lors, être rendue publique sans le consentement de celui qui l'a écrite (circ. min. 18 fév. 1816; Dict. not., vo Lettres missives, no 6), bien qu'elle ait déjà reçu une publicité partielle (Arg., aff. Andrieu, no 3).- Si la personne à qui elle a été adressée la mettait au jour, elle manquerait à la bonne foi et pourrait encourir des dommages-intérêts. On verra, nos 17 et suiv., quel est l'effet civil d'une lettre semblable. Dans cette catégorie, on doit placer les lettres écrites par un mandant à son mandataire, et il a été jugé en ce sens que les lettres écrites à un commis voyageur ne cessent pas d'être la propriété du commettant, lequel est fondé à en exiger la remise (Bordeaux, 12 mars 1842, aff. Maubourgnet, V. Mandat). Mais il n'est pas douteux que le voyageur pourra, en cas de contestation, s'aider de ce qui, dans ces lettres, sera justificatif de l'espèce de mandat ou commission qu'il aura rempli, y eût-il dans les instructions un caractère confidentiel. En cas semblable, la lecture doit être restreinte à la partie justificative de la conduite du voyageur.-V. no 18.

9. Le principe reçoit encore exception, lorsque celui qui a écrit la lettre ne l'a adressée à un ami, ou à une personne quelconque, qu'en vue de l'intéresser ou de la récréer. C'est ce qui a lieu, par exemple, lorsque la lettre fait partie d'un ouvrage que l'auteur se propose de publier, présomption qui, d'après les occupations auxquelles il se livre, doit être admise sans difficulté. En cas pareil, le droit de publication n'appartient qu'à lui seul (V. Propriété litt.).—Enfin, il a été jugé, en ce sens, que celui à qui des copies de lettres, confidentielles ont été remises par la personne à qui elles avaient été adressées pour les publier, après le décès de celle-ci, doit, sur l'opposition à la publication de la part des héritiers de l'auteur et de ceux du mandant, et alors que la publication est ainsi devenue impossible, en faire la remise aux héritiers de la personne de qui il les tient (Paris, 10 déc. 1850, aff. Collet, D. P. 51. 2. 1).

1. Une lettre missive pouvant contenir, de la part de celui qui l'écrit, la manifestation de son consentement, peut, par cela ger, quoique non signée (V. vis Obligat,, Vente; MM. Toubeau, mêine, donner naissance à une obligation; elle peut même l'oblip. 81).Inst. comm., p. 359; Gauthier, Étud. de jur. comm., D'après le droit naturel et le droit romain, les obligations synallagmatiques pouvaient également être contractées par lettres misDe sives (L. 31, ff., Negot. gest.; 62, ff., Mandati; 34, ff, n'est pas moins lié par une lettre que par un acte passé devant pign. act.; 7, C., Mandati). V. aussi Mornac, qui enseigne qu'on un tabellion, nec minùs quàm si conscriptum à tabellione instrumentum fuisset (Conf. Merlin, Répert., vo Lettre, no 5; Pothier, de la Vente, no 32; Toullier, t. 6, no 28), bien que cela puisse donner lieu à contestation, en présence de l'art. 1525 c. civ. Assurément la lettre missive de l'une des parties qui contient des proposi qu'il ne saurait rester de doute sur l'acceptation de ces propositions ne suffit pas pour la lier; mais lorsqu'il y a eu réponse telle avaient stipulé en présence l'une de l'autre (V. Merlin, Rép., v• tions, le contrat est formé de la même manière que si les parties Lettre, p. 791; Duranton, t. 6, no 373, et t. 13, n° 109; et Troplong, Vente, nos 23 et s.).—Décidé, en ce sens, que la preuve des conventions synallagmatiques peut résulter de la correspondance des parties (Req. 14 frim. an 14, aff. Libert, V. Obligat.).-D'après ces idées, une vente peut aussi être opérée par lettres missives (V. Obligat., Vente).-De même, la reconnaissance ou la renonciation d'un droit au profit d'un tiers peut résulter d'une lettre missive. Jugé en ce sens : 1° que l'acceptation de la qualité de légataire universel peut résulter, au profit d'un légataire particulier, d'une lettre dans laquelle le premier reconnaît avoir reçu la lettre du second (Cass. 24 août 1831, aff. Boissel, V. Dispos. entre-vifs);· 2° Qu'une lettre missive a pu être considérée comme emportant renonciation à la prescription de dix ans, sans qu'il apparût d'une acceptation de l'autre partie (Req. 4 mai 1841, aff. Lamessine, V. Prescription).

12. Pareillement on décide: 1° qu'on peut donner un aval par lettre missive (Conf. Req. 4 nov. 1845, aff. Benazel, D. P. 45. 1. 426; Rej. 25 janv. 1847, aff. Dubos, D. P. 47. 1. 103, V. Effets de commerce, nos 506, 519), ou accepter une lettre de 2o Qu'une lettre missive change (V. eod., nos 316 et suiv.); peut servir de commencement de preuve par écrit (Conf. Req. 5 juill. 1850, aff. Circourt, D. P. 50. 1. 209, et les mots Oblig. [preuve testim.], Patern.);-5° Qu'une simple lettre peut suffire 807);-4° Qu'enfin la lettre par laquelle un individu en compte pour constituer un acquiescement (V. Acquiesc., nos 319 et courant avec un banquier le charge de payer des tiers avec les fonds qu'il lui a remis, fait preuve qu'en effet ces fonds ont été reçus par le banquier, bien qu'il n'en existe aucune mention sur ses livres, alors que les tiers ont été payés par le banquier, et que la lettre en question, conservée par celui-ci, a été ultérieurement retrouvée inventoriée parmi les papiers de sa liquidation (Grenoble, 15 juill. 1844) (1).

13. L'aveu, soit judiciaire, soit extrajudiciaire, peut résulter d'une lettre. V. Obligation.

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14. Entre négociants, on présume facilement que le défaut Infirme, en ce

à ce,

ses mains de la lettre par lui écrite à la femme T...; Appel par Cartier. — Il souqu'il a été ordonné que la lettre serait remise à N...;-Émendant quant dit que, par l'avoué de Cartier, la lettre sera déposée au greffe pour être remise dans le délai de trois mois, de ce jour, à la femme T... ou à son fondé de pouvoir spécial et authentique ; ordonne qu'elle sera detruite, si elle n'est point réclamée dans ledit délai. Du 21 fév. 1859.-C. d'Amiens, ch. civ.-M. Boullet, pr. Jugement ainsi conçu : (1) Espèce :-( Boissat C. de Miremont.)

10. Toutefois, il est des lettres qui peuvent être considérées droit pour en conserver la possession. » — tient que l'écrit n'est pas confidentiel et qu'il lui a été remis pour en faire usage; qu'en tous cas, la lettre appartenant exclusivement à la personne à qui elle a été adressée, c'est à cette personne et non à N... que le tribunal de première instance devait en ordonner la remise.-Arrêt. Considérant que Cartier ne justifie pas avoir été autoLA COUR; risé à faire usage de la lettre adressée par N... à la femme T..., ni que cette lettre soit parvenue en sa possession d'une manière loyale;-Considérant que, dès qu'une lettre a été remise à la personne à laquelle elle est adressée, elle cesse d'être la propriété de celle qui l'a écrite ; Qu'il suit de là que N... est sans droit pour réclamer la remise en

-

« Considerant que les termes de la lettre du 14 juill. 1835 ne peuvent laisser de doute sur la réalité du versement de la somme de 2,050 fr fait entre les mains de M. Boissat par M. de Miremont, somme desti

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15. Mais à quel moment existe le lien de droit qui résulte d'une lettre? En matière de vente, il faut, pour qu'il y ait consentement, suivant Pothier, Contr. de vente, no 52, que la volonté de la partie qui a écrit à l'autre, pour lui proposer le marché, ait persévéré jusqu'au temps auquel sa lettre sera parvenue à l'autre partie et auquel l'autre partie aura déclaré qu'elle acceptait le marché. Suivant Toullier, t. 6, p. 52, l'engagement n'est parfait et irrévocable que du moment que l'acceptation est connue de celui qui a fait la promesse jusque-là il demeure libre de révoquer ses offres (V. Obligation). — On peut également former an bail par lettre missive. — V. Louage.

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16. Lorsqu'une convention commerciale a eu lieu par lettres, et qu'elle donne naissance à des contestations, quel est le tribupal compétent? V. Compét. commerc., no 454, 456 et suiv. § 2. — Des effets des lettres missives, soit entre les particuliers, soit à l'égard de la partie publique.

17. 1° Effets des lettres entre les particuliers. On a vu qu'il peut résulter des engagements d'une lettre missive. Mais pour cela, il est nécessaire que l'intention de celui qui s'oblige soit bien certaine; la forme épistolaire, étant peu usitée en dehors des relations commerciales, exige en quelque sorte une constatation plus rigoureuse de l'objet que les parties ont voulu atteindre. Ainsi, une des premières conditions est, ce semble, que la lettre soit adressée à la personne envers laquelle on entend s'obliger, ou à un tiers chargé de la lui remettre. Sans cette sorte de mandat conféré à ce dernier, la lettre resterait étrangère à celui en faveur duquel elle contient un aveu ou preuve d'obligation. Qui peut savoir, en effet, les raisons qui ont déterminé la déclaration ou l'aveu que la lettre renferme, alors surtout qu'elle a été écrite confidentiellement? Son contenu est, à l'égard du prétendu créancier, res inter alios acta; il ne lui est pas permis de s'en prévaloir; alteri nec prodest, nec nocet.

Aussi tant que la lettre n'a pas été reçue par celui à qui elle est adressée, elle peut être modifiée ou rétractée. C'est l'opinion de Merlin, Rép, vo Vente, § 1, art. 5, no 11 bis. En effet, « qu'estce qu'une lettre missive, dit cet auteur, par laquelle je vous annonce que j'accepte le marché que vous m'avez proposé? Rien autre chose qu'un procureur muet que je vous envoie pour vous déclarer mon acceptation, et c'est ainsi que Cujas l'a considéré dans ses notes sur le titre du Code, Si quis alteri vel sibi emerit, lorsqu'il dit: epistola non contrahit, sed nuntiat dominum contrahere. Or c'est une maxime élémentaire que je puis révoquer mon procureur tant qu'il n'a pas rempli son mandat. Je puís donc révoquer la lettre qui yous est adressée, tant qu'elle ne vous est pas parvenue, tant qu'elle ne vous a pas porté les paroles dont je l'avais chargée pour vous. » Merlin ajoute d'après Bartole, sur la loi 4, D., De donat. : « Une lettre est pour l'absent à qui elle a été écrite, ce que sont des paroles adressées à une personne présente. Et celui qui envoie une lettre à un autre est censé lui parler comme s'il était présent. Or, il est certain que les paroles adressées à une personne présente ne peuvent obliger celui qui les a proférées, qu'autant que la personne à qui elles sont adressées les a entendues avant qu'elles eussent été rétractées. Il en est donc de même d'une lettre adressée à un absent. Cette lettre ne peut donc obliger son auteur qu'autant que l'absent à qui elle est écrite la reçoit et la lit, les choses étant ennée à acquitter une partie de sa dette envers la famille Chollier;-Comsidérant aussi que de l'ensemble des termes de cette lettre, que le gérant invoque dans la cause comme titre à l'appui de ses prétentions, il résulte un mandat donné à M. Boissat pour la destination de cette méme somme; que dès lors l'imputation demandée par M. de Miremont doit être admise à son profil;

Considerant qu'il n'en est pas de même du versement de la somme de 380 fr., attendu qu'il n'est pas suffisamment établi par les débats

tières.» Telle est aussi la doctrine professée par M. Troplong, De la vente, no 54.

S'il était constant que celui qui a écrit une lettre ne jouissait pas de sa raison, soit lorsqu'il l'a écrite, soit même lorsqu'il l'a remise, elle ne devrait produire aucun effet contre lui. C'est aussi l'avis de Merlin, Rép., v° Lettre de change, § 4, et de M. Troplong, De la vente, no 24.

18. Il est enseigné par Merlin, Rep., vo Lettre, no 6, Favard, eod., et Rolland de Villargues, Lettre missive, no 6, que lorsqu'une lettre renferme quelque confidence, et que la personne à qui elle a été écrite ne pouvait la mettre au jour sans manquer à la bonne foi, celle personne ne peut s'en prévaloir en justice et que les juges doivent, ainsi qu'ils sont dans l'usage de le faire, en ordonner la restitution, quelque rapport qu'elle ait avec l'affaire. Mais cela est trop général, et il ne suffirait pas que celui qui a consigné dans une lettre la cause d'une obligation l'eût accompagnée d'énonciations purement confidentielles pour que l'obligation ne pût être exigée en justice. Il est bien vrai que l'aveu judiciaire est indivisible; mais une lettre est autre chose qu'un aveu fait en justice, et quand la cause d'une obligation qu'elle énonce est libre, spontanée, qu'elle n'a rien de contraire à l'ordre public, et qu'elle n'est pas soumise à la condition que les énonciations confidentielles seront tenues secrètes, il serait rigoureux, souvent même injuste, de déclarer que nulle exécution

judiciaire de cette obligation ne pourrait être exigée. — V. no 8.

19. Quelque sacré que puisse être le secret des lettres, il est cependant encore un cas où le législateur a cru pouvoir y admettre une exception: c'est en matière de faillite. La connaissance de la correspondance du failli peut contribuer à diminuer le préjudice qui atteint la masse des créanciers, et, dans ce but, l'art. 471 c. comm. a donné pouvoir aux syndics d'ouvrir les lettres qui lui sont adressées; toutefois, le failli peut assister à leur ouverture.-V. Faillite, nos 445 et suiv.

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20. Dans les affaires civiles, la fraude et la violence ont parfois déterminé le juge à ordonner des mesures susceptibles de pénétrer jusque dans la correspondance privée, fût-elle confidentielle. Des faits de cette nature échappent, on le sait, aux règles ordinaires, et l'on a induit de là que s'il apparaissait au magistrat qu'une lettre déposée, même entre les mains d'un tiers, contînt la preuve des faits articulés, il pourrait ordonner ou son apport au tribunal ou un compulsoire. Il a été jugé en ce sens : 1° que, quoiqu'en thèse générale des lettres confidentielles soient la propriété de ceux qui les ont reçues, cependant la production en justice civile peut en être ordonnée, alors que celui qui la demande allègue qu'elles contiennent la preuve d'une spoliation consommée à son préjudice par son auteur, et en faveur d'un cohéritier..., surtout lorsque ces pièces ont été déjà produites dans une autre procédure (Riom, 8 janv. 1849, aff. Thélidon C. Brosson, D. P. 49. 2. 145);— 2o Que, quand des lettres ont été produites dans une première procédure, des parties, bien que ces lettres ne leur aient pas été adressées à elles-mêmes, peuvent être admises à en demander la communication par la voie du compulsoire (même arrêt). Mais cela nous paraît s'écarter des principes (V. no 7, et v° Compulsoire, nos 9 et suiv.). 21. A plus forte raison, le principe dont on a critiqué la trop grande généralité (V. no 18) ne serait-il pas admis, si la lettre était injurieuse pour la personne à laquelle elle est adressée. Et c'est à tort qu'on soutiendrait que celle-ci ne peut s'en servir pour prouver qu'elle a été injuriée. En effet, outre que le caractère confidentiel disparaît ici, des injures consignées dans une lettre ne peuvent, d'après Merlin, Rép., vo Lettre, être plus à l'abri d'une demande en réparation, que des injures proférées verbalement dans un tèteà-tête contre la personne qui en est l'objet.

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22. C'est ainsi que des lettres de cette espèce écrites par un époux à son conjoint, et contenant des expressions outrageantes

et les pièces produites qu'il ait été effectué par M. de Miremont; que la promesse de le faire ne saurait être considérée comme un fait qui se serait accompli;-En conséquence le tribunal, faisant droit à cette partie de la demande de M. de Miremont, admet la compensation des 2,050 fr. mentionnés dans la lettre du 14 juill. 1855 comme ayant été remis quelques mois auparavant à M. Boissat. » Appel. Arrêt. Adoptant les motifs des premiers juges;- Confirme. Du 15 juill. 1844.-C. de Grenoble, 2e ch.-M. de Noaille, pr.

LA COUR;

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LETTRE MISSIVE.-§ 2.

pour lui, peuvent, suivant les circonstances, être considérées, sur
sa demande, comme des injures graves, de nature à motiver la sé-
An 9, les époux
(Dame de Montal C. son mari.)
(1) Espèce:
Montal souscrivirent un acte de séparation volontaire. — M. de Montal
plaça le fils issu de ce mariage dans un collège de Paris, où ce jeune
- Au sortir du collège, il lui fit faire
homme acheva toutes ses études.
son droit, et lui donna une pension annuelle de 1,400 fr. pour le mettre
Ces 1,400 fr. joints aux 800 fr. de la
en état de fréquenter l'école.
mère, car celle-ci ne tarda pas à vivre avec son fils, formaient une
Les choses se passaient ainsi, sans réclamation
somme de 2,200 fr.
de part ni d'autre les époux entretenaient même une correspondance
assez suivie, dans laquelle M. de Montal témoignait toujours de l'inté-
rêt pour sa femme, lorsqu'après vingt-cinq ans, celle-ci et son fils re-
fusèrent tout à coup la pension qui leur était faite, sous prétexte de son
insuffisance, et menacérent d'aller s'installer chez M. de Montal de vive
force. Alors naquit une correspondance qui est devenue le sujet du
procès, et dans le cours de laquelle on trouve des injures et des outrages
envers le sieur Montal père celui-ci forma contre sa femme une de-
Le 17 juill., jugement qui prononce
mande en séparation de corps.
la séparation de corps en ces termes : « Attendu que si jusque-là
(jusqu'au moment où commença la correspondance incriminée), on n'a
pu voir dans la dame de Montal qu'une personne impétueuse, qui aurait
voulu obliger son mari à expulser de sa maison tous ses parents les plus
proches et les plus chéris; plus tard, et, dès le commencement de l'an-
née dernière, elle a poussé les choses à un point où son mari a cru que
Attendu, en effet,
la demande en séparation devenait indispensable;
que la correspondance produits au procès, loin de faire oublier que lá
cause de sa séparation de fait d'avec son mari, provenait de son an-
cienne antipathie avec son beau-frère et ses belles-sœurs, restant avec
celui-ci, elle lui attribue de se laisser toujours dominer et dévorer par
eux; de mal faire ses affaires; lui dit qu'il mérite le mépris général, et
met le comble à ses outrages en lui supposant, par sa lettre du 22 mai
1828, qu'il est capable de l'empoisonner elle-même et son fils; elle per-
ciste enfin à toujours vouloir que son mari chasse tous ses parents, tan-
dis qu'il n'est d'aucune sorte justifié qu'elle ait été fondée jamais à se
plaindre de la conduite ni des égards d'aucun de ceux-ci envers elle;
Attendu que, quoique cette correspondance paraisse n'avoir été excitée
que par la prétention de la dame de Montal que son mari devait lui payer
annuellement, au lieu de 800 fr. de pension, dont elle s'était contentée
jusqu'à l'année dernière, une somme de 6,000 fr., c'est-à-dire plus que
son mari n'a de revenu en totalité, soit en partant de l'extrait de ses
contributions, qui ne sont que de 1,100 fr., soit d'après la notoriété
publique, qui n'a jamais assigné au sieur de Montal d'autres revenus
n'autorisait
que ceux provenant de ses biens-fonds, pouvant donner 5 ou 6,000 fr.;
néanmoins cette prétention, tout extraordinaire qu'elle est,
pas ladite dame à adresser à son mari des lettres conçues dans des termes
outrageants, et capables, comme elle ne pouvait en douter, de rendre
Attendu que le ca-
pour toujours une réunion impossible entre eux;
ractère, les sentiments et la conduite personnelle, reprochés au sieur de
Montal par sa femme dans sa correspondance, ne sont établis par aucun
document du procès, et sont, au contraire, authentiquement démentis
par tout ce qui est connu de tout le public, c'est-à-dire qu'il a toujours
passé comme faisant bien ses affaires, sans les conseils ni l'assistance de
personne; qu'il a constamment joui de l'estime publique et de la con-
fiance du gouvernement, puisqu'il a occupé et qu'il occupe encore des
places qui ne sont confiées qu'aux personnes les plus notables et les plus
recommandables, comme celle de juge de paix, dont il s'est démis vo-
lontairement, de maire de sa commune et de membre du conseil général
du département, qu'il remplit encore;

» Attendu que la dame de Montal ne s'est pas contentée d'écrire à son mari, et de baser ses lettres et ses expressions uniquement sur ce qui pouvait le regarder personnellement; qu'elle a non-seulement pris le parti d'un fils rebelle envers son père, et qui méconnaissait avec ingratitude tout ce que ce père avait fait pour lui jusqu'à ces derniers moments, puisqu'il ne l'avait jamais laissé manquer de rien; qu'il lui avait fait donner toute l'instruction possible dans les colléges de Paris; lui avait fait prendre le grade d'avocat, et l'avait toujours voulu avoir auprès de lui comme un fils chéri de lui et de toute la famille, jusqu'au moment où il a voulu s'éloigner de son père; mais encore elle a fait servir celui-ci de secrétaire dans tout ce qu'elle a écrit à son mari; étant reconnu que toutes les lettres sont écrites de la main du sieur de Montal fils, et signées seulement par sa mère; qu'elle a ainsi fait voir qu'elle et son fils partageaient les mêmes sentiments envers le sieur de Montal père ;Attendu qu'elle a dit dans ses lettres, son fils écrivant, que leurs intérêts étaient inséparables; qu'ils étaient décidés à rester toujours ensemble; qu'il avait eu le dessein de faire périr ce fils; qu'il pouvait, en allant chez son père, et malgré lui, le garotter, lui ôter ia vie même, au besoin; qu'il ne pouvait pas empêcher son fils de mettre son oncle à la porte; qu'enfin, son fils et elle, arrivant chez lui, à Lamothe, si SOE père ne voulait pas leur donner la pension dont elle parle, il casserait son secrétaire, et lui arracherait, s'il le faut, l'argent des mains, ajoute-t-elle ; — Attendu qu'en maintenant de cette maniese un fils qui

paration de corps (Crim, cass. 9 nov. 1830 (1); Dijon, 30 pluv.
an 13, aff. Benon, V. no 29; Poitiers, 29 juill. 1806, aff. Gar-
sans doute, doit l'intéresser comme fils, mais dont la conduite envers
son père, loin d'ètre justifiée, est hautement blåmée de tout le monde;
et en déclarant qu'elle veut être toujours comme lui, et veut être avec
lui chez son père, elle a fait voir elle-même, par la manifestation de
cette résolution, la nécessité de sa séparation d'avec son mari, puisque
celui-ci ne saurait, sans l'avilissement de ses droits paternels, sans se
soumettre à l'esclavage inouï de son fils, et sans danger peut-être pour
lui et sa famille, le recevoir dans la situation présente où il s'est volen-
tairement mis vis-à-vis de son père, situation établie par la correspon-
dance elle-même de la dame de Montal; - Attendu, enfin, qu'il est de
l'intérêt de la dame de Montal elle-même que la séparation soit prononcée;
que, si elle n'etait pas admise, elle irait sans doute, accompagnée de
son fils, d'après les intentions qu'elle a montrées dans ses lettres, chez
son mari; se servirait de sondit fils pour se mettre en possession de vive
force de la maison maritale, ou pour s'y mettre tous deux et en chasser
toutes les personnes qui ne lui conviendraient pas, quels que fussent leurs
liens avec eux; qu'elle exposerait ainsi son fils, et peut-être elle-même,
à des scènes affligeantes, et qui pourraient être funestes; ce que la justice
doit prévenir et éviter, etc,, etc.>>

Appel. Le 16 déc. 1829, un arrêt confirmatif, qui vise expressément dans ses qualités les lettres de la dame de Montal, fut rendu en ces termes.« Sur la demande en séparation de corps :-Attendu que la lettre écrite par la dame de Montal à M. Perrié (le procureur du roi), fut une lettre confidentielle, qui n'a pas dû être transmise au mari pour en pouvoir tirer avantage contre son épouse; qu'il y a donc lieu de la rejeter du procès; et attendu, neanmoins, que la personne à laquelle la lettre a été adressée n'a pas cessé d'en être propriétaire; qu'il ne peut y avoir lieu, dès lors, à en ordonner la remise à la dame de Montal; Attendu, au fond, que les lettres écrites par la dame de Montal à son mari, renferment les injures les plus graves et les outrages les plus offensants; qu'elle lui suppose gratuitement les desseins les plus pervers, et (ici une lacune qu'il faut nécessairement remplir par ces mots : le représente comme) ayant encouru le mépris et la haine des gens de bien; Attendu qu'aux termes de l'art. 231 c. civ., des injures de cette espèce sont suffisantes pour faire prononcer la séparation de corps, puisqu'elles prouvent que désormais la vie commune est devenue insuppor table; que la loi n'ayant pas exigé que les injures fussent publiques pour faire opérer la séparation, la justice ne saurait imposer cette condition; Attendu que le sieur de Montal n'a jamais, par ses actes ni par ses écrits, provoqué ces injures de la part de son épouse; qu'ainsi, il ne saurait être proposé aucune excuse à cet égard; d'où suit qu'il y a lieu de confirmer le jugement sous ce rapport;

>> Attendu, quant à la pension alimentaire demandée par l'épouse, que le sieur de Montal ne se refuse pas à lui fournir des moyens d'existence; que tel est aussi le vœu de la loi; mais qu'il faut, à cet égard, considérer les facultés du mari, ainsi que les ressources personnelles de l'épouse; que la dame de Montal possède déjà une valeur de 2,800 fr., qui se trouve dans les mains de son mari, et une valeur de 8,000 fr. dans celles de son frère; qu'en ordonnant que le sieur de Montal lui fournira annuellement une pension alimentaire de la somme de 800 fr., indépendamment de ses propres ressources, la justice pourvoit suffisamment à ses besoins, suivant son état et la fortune de son mari; - Attendu que le père consent aussi à fournir des aliments à son fils; que la somme de 1,000 fr. parait suffisante et est en proportion avec les facultés du père; Attendu que, des principes ci-dessus émis, il résulte que toute preuve devient inutile et frustratoire. >>

Pourvoi de la dame Montal: 1° violation du principe relatif à l'inviolabilité des lettres confidentielles, principe d'autant plus applicable dans l'espèce que ces lettres, effet de l'irritation, émanent d'une femme, ce qui, suivant l'opinion du célèbre Talon (aff. d'Effiat), doit les faire rejeter du procès avec plus de facilité encore que si elles émanaient du mari; 20 Violation de l'art. 7 de la loi du 20 avr. 1810, sous un double rapport: 1o en ce que l'arrêt attaqué n'a pas indiqué les faits d'outrage reprochés à la demanderesse; 2o en ce que le chef relatif à la délation de serment au sieur Montal sur la consistance de sa fortune, avait été rejeté sans motif.

Me Dallez a répondu dans l'intérêt du sieur Montal, défendeur: Il y a, pour le respect absolu du secret des lettres, un préjudice qui, comme tous les autres, prend sa source dans une idée juste, devenue fausse seulement par trop d'extension. Vouloir que le contenu d'une missive ne puisse jamais être divulgué par celui à qui elle a été adressée, est une pensée toute naturelle. Mais à peine a-t-on cherché à se rendre compte Sur quoi repose-t-elle, en effet? Sur le dene saurait être genérale. du motif qui la suggère, qu'on reconnaît que l'obligation de la discrétion voir de ne pas commettre un abus de confiance. On trouve, avec raison, qu'il est indigne d'un homme d'honneur de trabir la foi qui a eté mise en lui on condamne, à juste titre, la déloyauté de celui qui se saisit d'une confidence, comme d'un moyen de nuire à son auteur, et on ne veut pas que cette déloyauté lui profite. C'est en ce sens que Cicéron disait: Et etiam litteras quas me scripsisse diceret, revelavit, in senatu homo

MM. Merlin, Rép., v° Lettre, no 6, et Favard de l'Anglade, vo Séparation entre époux, § 1, no 4.

reau, V. Sép. de corps). Et c'est aussi ce que nous avons soutenu dans l'affaire Montal qui précède, suivant l'opinion de humanitatis expers: quid est hoc enim quàm tollere in vitá vila societatem? Quam multa jora solent esse in epistolis quæ prolata si sint, inepta esse videantur; quàm multa seriò. neque tamen ullo modo divulganda! (Cicéron, 2e Philipp.) Mais il est évident, par cela même, que cette décision doit se restreindre au cas où la lettre écrite était une marque de confiance, au cas où le souscripteur avait le droit de compter sur la foi de son correspondant, parce qu'il se livrait à lui, en lui donnant un témoignage d'estime. Ainsi, dans l'épanchement de l'intimité, un bomme s'ouvre à son ami sur une position délicate; il lui fait quelques révélations sur un intérêt souffrant; ou bien même, à l'occasion d'une simple relation de connaissance, on se laisse aller avec un indifférent des détails que l'on croit sans conséquence; on entre avec lui dans des explications dont la divulgation peut être nuisible. Si l'un ou l'autre abuBaient d'une lettre écrite en ces circonstances, s'ils voulaient l'utiliser our eux-mêmes ou pour des tiers, au préjudice de celui dont il l'auraient reçue, il n'est pas douteux qu'ils ne se rendissent coupables d'une trahison, et que la justice ne dût détourner les yeux d'un document qui ne serait arrivé devant elle que par le résultat d'un grave délit moral.

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Mais où donc serait le manque de foi, où donc, par conséquent, est l'engagement d'honneur à se taire sur une lettre, quand elle ne vous est écrite que pour vous injurier? Quoi! il vous a donné un gage d'estime, il s'est acquis des droits à un bon procédé de votre part, il a gagné votre silence, celui qui ne vous a envoyé dans le papier qu'on voudrait vous faire sceller d'un sceau mystérieux, qu'un message de baine et d'insulte? Il y a dans ce rapprochement quelque chose qui fait sortir une absurdité. Non, la confiance fait une loi de la discrétion; mais l'offense fait un droit de la plainte. Voyez autrement où l'on serait conduit, à l'impunité de l'injure écrite, quand l'injure orale a toujours un châtiment à craindre, quoique moins coupable pourtant, puisqu'elle est moins réfléchie. Ainsi, profitant de l'étrange latitude qu'on voudrait donner au principe, un homme s'acharnerait sur un autre; mu d'une de ces baines vivaces et actives que l'on rencontre quelquefois, il le persécuterait d'une attaque journaliere; chaque matin, il empoisonnerait son réveil de l'aspect d'un billet où l'insulte aurait revêtu une forme nouvelle; et il faudrait que l'objet de cet incessant outrage dévorât en silence l'irritation que cette blessure, toujours rouverte, allumerait nécessairement dans son âme ! Mais un pareil état serait un vrai supplice, et le législateur qui aurait permis de l'infliger aurait été aussi insensé qu'inhumain.

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ment une précaution contre l'avenir. Il vient prier les tribunaux de ne pas le laisser exposé aux tourments qui le déchireraient, s'il devait demeurer dans les liens d'une union sans cesse troublée. En un mot, il ne présente point les lettres comme un corps de délit, mais uniquement comme les preuves d'un état auquel il est indispensable d'apporter remode. A quel titre donc voudrait-on qu'il les supprimât? Il ne s'agirait plus pour lui d'être assez calme, assez maitre de soi, pour dévorer une offense; il lui faudrait se résigner à toute une vie de contrariétés et de misères. On ne lui imposerait plus l'obligation d'oublier des fautes passées, on le condamnerait à souffrir chaque jour de son existence, et, tant qu'elle durerait, tous les chagrins qui désolent un ménage divise. -Or, nous demandons comment on pourrait le vouloir, et s'il y aurait à cela quelque raison?- Il y en aurait d'autant moins que très-souvent on réduirait un époux à l'impossibilité de justifier la demande d'une séparation, pourtant indispensable; car, par la nature même des relations qui existent entre deux conjoints, les torts de l'un envers l'autre sont presque toujours secrets, et se dérobent en général aux regards étrangers. Cette vérité a été si bien sentie qu'elle a précisément amené une dérogation aux principes généraux en matière de preuve, et qu'elle a fail autoriser, pour les cas de demandes en séparation, l'admission des dépositions des serviteurs des parties, exclue partout ailleurs.-On trouve dans le procès lui-même un exemple frappant de l'impossibilité qui vient d'être signalée. Certes, il serait difficile de rencontrer deux époux plus dangereux à réunir que M. et madame de Montal. Le retour de la femme dans la maison du mari serait le signal des désordres les plus pénibles, et peut-être des accidents les plus graves; on en peut juger par la violence des sentiments exprimés et des projets annoncés dans les lettres. Cependant, ces lettres écartées, où trouver la preuve des périls du rapprochement? On trouverait bien, dans la longue séparation commencée en l'an 9, la marque nécessaire d'une extrême froideur, mais voilà tout; et rien n'établirait que le terme imposé par la justice à cette séparation serait le renouvellement d'une ère de dissensions et de calamités dans le ménage.-Disons-le donc le principe de l'inviolabilité des lettres n'est point fait pour le cas du procès actuel; la raison et l'humanité se réunissent pour l'en repousser.

Examinons les arrêts invoqués par la demanderesse; le défenseur fait observer, quant à celui de la cour de cassation (Req. 12 juin 1823, aff. Bellengreville, V. Paternité-filiation), qu'il consacre formellement le principe qu'une lettre est la propriété de celui à qui elle est adressée; que l'une des parties à laquelle ces lettres avaient été remises par cette personne, n'avait pu en faire un usage contraire à l'intention de celle-ci, qu'ainsi, cet arrêt est favorable plus qu'il n'est opposé au système de la cour d'Agen. -L'arrêt de la cour de Bourges n'est d'aucune influence, car il se borne à reconnaître, qu'eu égard à la condition des parties, l'imputation d'adultère contenue dans une lettre adressée par un mari à une tante, n'était pas suffisante pour constituer l'injure grave nécessaire pour faire prononcer une séparation de corps. Le troisième arrêt invoqué n'est pas moins inapplicable. Cet arrêt, rendu aussi par la cour de Bourges, le 17 juin 1824, a jugé qu'une lettre écrite par un mari au père de sa femme, ne pouvait être produite par celle-ci à l'appui d'une demande en séparation de corps. Cela se comprend très-bien. Un mari, qui croit avoir des torts à reprocher à son épouse, s'adresse au père de cette dernière, pour lui faire la confidence de ses chagrins, et probablement aussi pour obtenir de lui qu'il interpose son autorité, afin de faire cesser les causes de plainte. Tel était, nous lo supposons, l'objet de la lettre écrite dans l'espèce citée, et dont l'arrêt ne fait connaître ni n'indique même la teneur. Il est clair qu'une pareille lettre ne devait pas sortir des mains de celui à qui elle avait été adrese sée, pour être invoquée contre son auteur. C'est la conséquence natu→ relle des principes que nous avons émis naguère en discutant la théorie de l'inviolabilité des lettres. Car, donner la lettre à la femme, afin de la mettre à même d'intenter une demande en séparation de corps, c'est évidemment commettre un abus de confiance, puisque le mari, en écri vant à son beau-père, s'était livré à sa foi, et avait eu le droit de compter sur la discrétion d'une personne à qui il ne faisait aucune offense. Cette doctrine se trouve implicitement consacrée par un dernier précédent que la dame de Montal cite aussi mal à propos que tous les au tres c'est un jugement rendu par le tribunal de Charleville, le 17 therm. an 10. - En fait, un mari ayant cru voir du déréglement dans la conduite de sa femme, écrivit pour s'en plaindre, d'abord à son beau

Il y a, du reste, sur une question parfaitement identique à celle du procès, un précédent dont nous nous étonnons qu'on n'ait pas encore été frappé. Mille fois, chaque année, les tribunaux prennent une lettre en considération au profit. de celui qui l'a reçue, contre celui qui l'a écrite. Ce sont, par exemple, deux personnes dont l'une est obligée envers l'autre. Le débiteur écrit à son créancier pour lui demander du temps, des facilites, une remise partielle de la dette, etc. Vient ensuite une contestation entre eux. Le créancier produit la lettre, soit pour prévenir une prescription, soit même pour prouver l'obligation: car souvent il n'a pas d'autre titre écrit. Jamais cette production n'est repoussée comme attentatoire au secret des lettres; et jamais les tribunaux ne manquent d'y faire droit. Et pourtant, dans cette occurrence et dans les autres cas semblables, la lettre n'avait pas été adressée par le souscripteur avec l'intention de fournir un titre au destinataire. Certes, l'usage qu'on en fait alors est bien loin d'être une conséquence de l'intention qui la dicta. — Il faut donc le reconnaître. Une lettre est la propriété de celui à qui on l'envoie, et il a le droit de la montrer en justice, quand il ne résulte point des circonstances qu'elle était confidentielle, et que la délicatesse lui fasse un devoir de la garder renfermée. Mais si cette doctrine est vraie en général, à combien plus forte raison ne l'est-elle pas dans le cas particulier d'une demande en séparation de corps? Qu'il fût interdit entre étrangers de demander devant les tribunaux raison d'une correspondance injuricuse, cela serait injuste et vexatoire, sans doute cette prohibition serait déjà une anomalie en droit, non moins qu'une erreur en bonne police. Cependant elle pourrait à toute rigueur se comprendre. L'insulte renfermée dans une lettre n'entraînant pas de publicité, il ne faudrait que du sang-froid et de la raison pour s'en venger par le mépris; et si tous les hommes, à beaucoup près, ne sont pas capables de l'eflort philosophique nécessaire à cette impassibilité, la souffrance morale résultant pour eux de l'impunité accordée à l'offenseur, pourrait peut-être, à de certains yeux, ne pas paraitre dépasser les limites en deçà desquelles la justice peut se dispenser d'exercer son pouvoir réparateur. On aurait fort certainement de se ranger à cette opinion. Cependant elle serait peut-père, et puis à sa femme elle-même. Celle-ci voulut se faire un titre être discutable, et nous comprenons, par exemple, qu'elle occupât un moment l'esprit des rédacteurs d'un code criminel.

des deux lettres pour obtenir le divorce. Le tribunal de Charleville, à qui l'affaire arriva par appel, rejeta l'action, at'endu que les injures, pour motiver le prononcé du divorce, auraient dù être publiques. Ce te decision était tout à fait erronée; car il suffit de lire l'art. 251 c. civ., pour voir que l'injure articulée à l'appui d'une demande en divorce ou séparation, sufit à les faire prononcer, encore bien qu'elle ait été se➡ crète, si elle a eté grave: l'adversaire elle-même ne le conteste pas; et, pour cette raison, il est inutile de s'occuper de cette question.

Mais il serait, à coup sûr, impossible qu'elle se présentât à la pensée d'un législateur éclairé, quand on envisagerait la question spéciale du procès; quand il s'agirait de savoir si une lettre offensante peut être produite à l'appui d'une demande en séparation - Remarquons bien, en effet, qu'alors l'époux outragé ne vient point demander la vengeance de ses outrages; ce n'est point un châtiment qu'il soilicite contre l'autre époux; il ne demande point une peine pour le passé, il implore seule-Mais, ce qui est intéressant à remarquer, c'est que le tribunal sut très

23. Toutefois, il a été décidé que des lettres écrites par une femme à un procureur du roi, bien que contenant des injures contre son mari, peuvent être déclarées confidentielles et écartées du procès, nonobstant la demande du mari tendante à ce qu'elles soient produites (Agen, 16 déc. 1829, aff. Montal, sous l'arrêt du 9 nov. 1830 qui précède). Cela est bien général; mais combien de motifs peuvent justifier la consécration d'une telle règle? La paix à conserver dans la famille, le cri du désespoir parti du cœur d'une mère et qui va solliciter l'intérêt de l'organe de la puissance publique : il peut y avoir dans ses accents un tel caractère de confidence, que le juge a dù en défendre la communication aux parties. C'est dans cette matière que les règles ab-❘ solues peuvent conduire facilement à l'erreur.

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bien faire une distinction entre la lettre écrite au beau-père et celle qui avait été adressée a la femme elle-même. Quant à la première, il déclara qu'elle était confidentielle, qu'elle n'avait pas dû être produite, et, en conséquence, il la rejeta du procès.-Mais, quant à la seconde, il se garda bien de la traiter de la même manière; il ne l'écarta point, il se borna seulement à déclarer qu'elle n'avait été écrite que pour la femme scule; qu'elle n'avait point été rendue publique par le mari, qu'ainsi elle ne pouvait servir de preuve à l'injure grave articulée ce qui voulait seulement dire que, conformément à la doctrine p.ofessée, en commençant, par le tribunal sur la nécessité d'une injure publique pour donner lieu au divorce, l'injure secrète contenue dans une lettre etait indifférente. Au surplus, on sent très-bien que, dans tous les cas, une décision unique, émanée d'un simple tribunal de première instance, et à une date déjà aussi lointaine, ne saurait être que d'un poids bien léger. Que si on veut une décision plus grave, et rendue plus précisément sur un fait semblable à celui qui a occasionné la contestation en ce moment soumise à la cour, on la trouve dans l'arrêt de la cour de Poitiers, du 29 juill. 1806.- · Aussi l'adversaire, qui n'a pu méconnaître la force d'un tel précédent, essaye-t-elle de l'atténuer en disant que, malgré la rédaction de ses motifs, il est rendu dans une espèce particulière; qu'il a été déterminé par la considération des excès et des sévices qui avaient été articulés, et que c'est là une distinction qu'il faut admettre. Si des violences sont à craindre de la part d'un époux contre l'autre, dit la demanderesse, on peut admettre les lettres en preuve; hors ce cas, on ne le peut point. - On sent toute la frivolité de cette distinction. D'abord voulûl-on l'admettre, M. de Montal pourrait s'en prevaloir lui-même contre sa femme. Des violences à craindre, dit cette dernière, donnent à l'époux menacé le droit de produire les lettres de l'autre époux. Eh bien! ce triste droit est acquis à l'exposant. Madame de Montal parle de violence! ah! qu'elle aurait fait prudemment de ne pas prononcer ce mot! Des violences, mais qu'annonce-t-elle donc autre chose dans ces lettres où, à chaque ligne, là menace marche avec l'injure? Des violences, mais qu'a-t-elle done promis à son mari, quand elle lui montre son fils, son propre fils, arrivant dans sa maison comme un soldat ennemi, la fureur dans l'âme et le bras déjà levé, prêt à jeter ses parents à la rue, à briser son secrétaire, et à lui arracher, s'il le faut, l'argent des mains.....

Le défenseur répond ensuite à deux autres aperçus indiqués pour la dame de Montal, et consistant à dire, l'un qu'au moins les lettres auraient dû être rendues publiques par leur auteur pour pouvoir être admises; l'autre que, dans tous les cas, ce serait seulement à la femme, et non au mari, qu'il devrait être permis de faire valoir un semblable moyen. - Quant au premier, répond-il, c'est un véritable paralogisme, puisque toute la question du procès est justement de savoir si on peut, ou non, au cas particulier, produire une lettre secrète; et que cette lettre ne serait plus secrète si son auteur l'avait déjà rendue publique.

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A l'égard du second, il tendrait vraiment à constituer un singulier privilege. La femme aurait le droit d'empoisonner impunément l'existence de son mari, et le mari seul pourrait redouter un juste châtiment, s'il se rendait coupable d'une pareille faute! On nous permettra de croire que l'idée de cette difference de condition n'est pas sérieuse.Ainsi la doctrine soutenue par la dame de Montal n'est appuyée ni sur des considérations rationnelles, ni sur des raisons de droit, ni sur des précédents en jurisprudence. · - Elle ne l'est pas non plus sur l'autorité des auteurs. Les jurisconsultes les plus recommandables de notre époque l'ont proscrite. Voici comment M. Merlin s'exprime sur cette matière (V. no 17). M. Favard de Langlade professe absolument les mêmes principes que M. Merlin. -« Il n'est pas même nécessaire, dit-il, que les injures aient acquis le caractère de la publicité pour motiver l'action en séparation. Ainsi des lettres écrites par le mari femme, quoiqu'il ne les ait pas publiées, peuvent contenir des injures assez graves pour determiner la séparation de corps, ainsi que l'a décidé la cour d'appel de Poitiers, par arrêt du 29 juill. 1806 » (Rép., mot Separat. entre époux, § 1, no 4).

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Bien mieux, quand ce principe serait moins constant, quand il serait susceptible de controverse, l'arrêt qui s'y est conformé n'en serait pas plus caposé à la critique de la cour suprême. — Où serait, en effet, le

TOME XXX.

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24. On a dit, qu'en général, une personne ne peut se prévaloir de la lettre confidentielle écrite à un tiers, pas plus que celuici ne peut l'invoquer contre celui de qui elle émane. — Jugé en ce sens : 1o que des lettres missives et confidentielles, remis par abus de confiance à celui contre qui elles étaient écrites, ne peuvent être la base d'une action en dommages-intérêts (Riom, 5 mai 1815) (1); — 2° Que le mandataire qui a excédé son mandat, ne peut exciper d'une lettre confidentielle, écrite par le mandant à un tiers et approbative de sa gestion, pour échapper à la responsabilité qui le menace (Req. 4 avril 1821) (2);-5° Que la lettre missive contenant les conditions d'une vente, qui est adressée par l'une des parties à un tiers, ne peut faire preuve de la vente (Agen, 17 janv. 1824, aff. Fouis, V. Vente); texte de loi qui le contredirait? où serait la disposition que l'on pourrait citer à l'appui de sa réprobation? Vainement chercherait-on dans nos codes d'aujourd'hui ou dans nos ordonnances d'autrefois un article pour motiver un arrêt qui lui fût contraire. Or, comment la cour régulatrice, instituée pour réprimer les seules atteintes portées à la loi, pourrait-elle sévir, là où évidemment aucune loi n'a été ni violée ni touchée même ? C'est aussi ce que dit très-bien M. Merlin à l'endroit déjà cité. Après avoir établi la nécessité de respecter le secret des lettres, excepté dans les cas semblables à celui de l'espèce, il finit en disant : « Ce principe n'est écrit dans aucune loi, et c'en est assez pour que les tribunaux puissent s'en écarter sans donner prise à la cassation; mais i n'en est pas moins vrai que la morale leur fait un devoir de s'y conforSous tous les rapports, le premier et le principal moyen présenté par la dame de Montal est donc dénué de toute espèce de force. M. Nicod a conclu au rejet sur tous les moyens.

mer. »

LA COUR; Attendu, sur le premier moyen, que des lettres écrites par une femme à son mari peuvent, selon les circonstances, constituer une de ces injures graves qui autorisent les juges à prononcer la séparation de corps, et qu'aucune loi ne leur défend de prendre de telles lettres en considération; - Attendu, sur le deuxième moyen, que la cour royale d'Agen a suffisamment justifié le caractère d'injures graves qu'elle déclare résulter, dans la cause, des lettres écrites par la dame de Montal à son mari, par les diverses impu ations qu'elle en a extraites ; Attendu, sur les quatrième et cinquième moyens, que la demanderesse n'a invoqué à leur appui aucune loi qu'elle prétendait avoir été violée; — Rejette ces quatre moyens; Mais attendu, sur le troisième moyen, que la cour royale d'Agen n'a pas donné de motifs du refus qu'elle a fait d'admettre la preuve offerte par la demanderesse de la consistance de la fortune de son mari, à l'effet d'établir la base d'après laquelle devait être fixée la pension à laquelle elle avait droit ;-Vu l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, qui veut que les jugements soient motivės sous peine de nullité; Casse.

Du 9 nov. 1850.-C. C., ch. civ.-MM. Portalis, 1er pr.-Carnot, rap. (1) Espèce: (Lafont C. Gazard.)-Gazard, après avoir vendu son fonds de commerce à Lafont et être resté quelque temps avec lui pour le faire connaître de ses correspondants, écrit à ceux-ci pour rétracter les renseignements favorables qu'il avait donnés sur son successeur. Quelques-unes de ces lettres ayant éte remises à Lafont, celui-ci forme contre Gazard une action en dommages-intérêts pour avoir détruit son crédit par les lettres écrites à ses correspondants.

19 août 1814, jugement du tribunal civil d'Aurillac qui le déboute de sa demande : — «Attendu, 1o, etc.;-2° Qu'on ne trouve dans les lois aucune disposition qui prononce des peines pour avoir écrit des imputations calomnieuses dans des lettres confidentielles; -3° Que ces lettres ne contiennent d'ailleurs rien contre l'honneur et la réputation de Pierre Lafont fils;-4° Que la seule disposition applicable à l'espèce, paraîtrait être celle de l'art. 1382 c. civ., qui porte que tout fait quelconque de l'homme qui porte à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer; mais que l'on voit par le développement donné par les articles suivants, que cet article n'a, pas entendu comprendre dans sa disposition les lettres missives et confidentielles; 5° Qu'il n'est pas établi que ces lettres aient porté préjudice à la confiance, au crédit, ni aux affaires de Pierre Lafont, puisqu'elles n'ont donné lieu à aucun jugement, pas même à aucun protêt de la part des fournisseurs; -6° Que si l'on prononçait des dommages-intérêts pour des lettres missives et confidentielles, personne n'oserait donner les renseignements demandés par les maisons de commerce sur la moralité et la solvabilité de ceux avec lesquels elles font des affaires, dans la crainte que par un abus de confiance, comme dans l'espèce, ces lettres ne fussent remises à ceux contre lesquels ils avaient donné de mauvaises notes, et qu'ils ne fussent par là exposés à des procès, et par suite à des condamnations de dommages-intérêts, ce qui serait très-nuisible à l'intérêt du commerce. »Appel. — Arrêt.

LA COUR-Adoptant les motifs des premiers juges, confirme. Du 5 mai 1815.-C. de Riom, 1re ch.-M. Redon, 1er pr. (2) Espece:-(Vincent C. Damichon.)- Damichon, nomme exécutour testamentaire, donne procuration à Vincent, notaire, pour recevoir

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