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1. Biens créés. Garanties légales. Infractions.

2. Ravages par la main des hommes. Responsabilité morale. 3. Droits de l'ennemi. Opinions des publicistes. Tempéraments progressifs.

4. Règles prohibitives. Incendie. Nécessité d'un ordre du chef.

5. Dégâts par rôdeurs ou maraudeurs armés. Répression. Conditions

légales.

6. Dévastations excessives, par Allemands en France.

7. Droits pour la fortification et la défense du pays. Applications. 8. Servitudes militaires, grevant les propriétés.

9. Destructions punissables. Crimes d'incendie.

10. Questions d'applicabilité ou d'atténuation.

11. Dévastations et incendies, dans l'insurrection à Paris.

12. Responsabilité des communes. Législation française.

13. Système de l'ennemi envahisseur contre les communes.

14. Responsabilité de l'État, vis-à vis des victimes de la guerre. 15. Dédommagement promis par une loi. Applications.

16. Questions d'indemnité, entre l'État et les neutres.

I

1. Le Créateur a donné aux hommes, avec des facultés distinctives, les moyens d'ajouter aux merveilles de la nature, en développant les productions de la terre, et même en créant aussi par un travail intelligent beaucoup de choses utiles; les progrès de l'industrie et des arts divers, avec ceux de la science et de la civilisation, ont fait édifier des habita

tions et des monuments, composer ou confectionner des œuvres artistiques et scientifiques, qui sont l'ornement des cités et le témoignage visible ou durable de la puissance humaine; d'accord avec la loi naturelle, les lois civiles et politiques ont consacré le droit de propriété du possesseur légitime, quant aux choses ainsi créées, ont consolidé les droits du propriétaire comme ceux de l'État, par des dispositions diverses donnant de fortes garanties, qui dans certains cas vont jusqu'à l'inaliénabilité; de plus, pour prévenir ou réprimer les atteintes qui seraient portées à ces droits positifs par la cupidité ou la malveillance, la loi criminelle, dans chaque pays et selon le droit public, a émis un ensemble de dispositions qui punissent plus ou moins sévèrement tous vols, toutes dévastations et destructions sans droit, celles notamment qui s'attaquent aux habitations, aux édifices publics, aux bibliothèques et musées devenus dés dépôts pour l'instruction de tous. Tout cela semblerait donner aux possesseurs et au public lui-même une protection suffisante, pour toutes éventualités et contre tous malfaiteurs. Comment donc se fait-il qu'il y ait souvent dévastation et destruction de choses ainsi créées et protégées, que ce soit presque continuel et en tous pays, que des ravages désastreux soient réputés licites ou excusables et qu'il y en ait qui demeurent impunis malgré leur criminalité?

Depuis la création des sociétés et des cités jusqu'à nos jours, on voit constamment ravager les terres ou les produits du sol et de la culture, dévaster et détruire même ce qui avait été laborieusement et artistement édifié. Les ravages ne sont pas seulement causés par des fléaux du ciel, par la foudre ou des éruptions de volcans, par des tremblements de terre ou de fréquentes inondations: la main de l'homme aussi, trop souvent sans aucun droit, vient encore renverser ou incendier des édifices, des monuments même, qui de

vraient au contraire être soigneusement conservés. C'est surtout dans les guerres que se produisent la dévastation et la destruction, sous différents prétextes et par toutes sortes de moyens, au grand détriment de la nation entière et des propriétaires, ou possesseurs, individuellement. Ici, c'est le fait de l'ennemi envahisseur, appuyant ainsi son agression pour affaiblir les défenses de l'adversaire, parfois même pour diminuer sa puissance ou ses ressources dans l'avenir. Là, ce sont des précautions, prises à l'improviste et quelquefois inconsidérées, comme moyens de faciliter la défense du territoire possédé, ou pour empêcher l'ennemi de profiter des choses qu'on est forcé d'abandonner. La guerre civile elle-même, quoiqu'elle ait lieu entre des fractions d'un même peuple qui seraient également intéressées à la conservation, amène des destructions et dévastations très-préjudiciables au pays, avec de nouvelles difficultés pour la réparation des pertes. Les lois de la guerre, fixées par le droit international moderne, autorisent-elles donc des dévastations sans mesure, ou plutôt n'ont-elles pas des règles imposant certaines conditions et limites? Dans les cas de guerre civile et surtout lorsqu'il y a insurrection condamnable, de tels dégâts ne sont-ils pas à punir, quelques-uns même avec la plus grande sévérité?

2. Si les produits du sol ou de la culture sont exposés à des ravages accidentels, par la puissance des éléments, cela tient à des causes que l'intelligence humaine peut difficilement approfondir : la religion a des prières pour demander que ces produits nécessaires soient épargnés, et même protégés; l'État vient parfois au secours des possesseurs ayant éprouvé de graves dommages, et des sociétés civiles ont été formées pour répartir la perte sous forme d'assurance. Il est plus difficile encore de trouver une explication rationnelle, quand la destruction anéantit de nombreux édifices et même

parfois une cité entière, par un bouleversement surnaturel : c'est à l'histoire sacrée qu'il faut demander pourquoi certaines villes ont été condamnées par Dieu à la destruction; elle nous révèle, comme l'ont dit eux-mêmes les premiers publicistes, que c'était une punition de crimes exécrables ou des vices notoires de la population entière, que les prières eussent obtenu miséricorde s'il y eût eu seulement un petit nombre de justes qui dussent être épargnés1.

La main des hommes n'est pas nécessaire à Dieu, lorsqu'il veut exercer sur terre la justice devant aller jusqu'au châtiment des fléaux sont à sa disposition, pour punir une cité ou ses habitants coupables par une destruction totale ou partielle, par la dévastation d'un territoire ou le renversement de quelque édifice. S'il est vrai que la guerre en ellemême soit un fléau du ciel, pour la punition d'un peuple vicieux, et dût-on réputer instruments de la justice divine ceux qui font invasion dans un pays comme Attila, qui se disait « fléau de Dieu» et qu'on appelait « l'infatigable destructeur », cette idée religieuse ne ferait pas qu'ils fussent légalement investis d'un pouvoir suprême, sans responsabilité aucune pour toutes dévastations et destructions, supposées nécessaires au but de leur guerre d'envahisseurs.

Nous l'avons déjà démontré sous différents points de vue, dans plusieurs chapitres du premier volume, dans celui où sont exposées des idées générales sur la guerre, dans un autre comprenant les immunités des combattants, dans le chapitre spécial des instruments de guerre et dans celui des violences envers les personnes tout chef d'armées et les combattants subordonnés eux-mêmes ont, comme êtres moraux doués d'un certain discernement, la responsabilité de leurs actions personnelles, non-seulement devant Dieu

1 Voy. Genèse, chap. xvII; Josué, vi; Victoria, de jure belli; Grotius, de jure belli ac pacis, liv. 3, ch. xii, no iv.

et leur conscience, mais aussi devant l'opinion reine du monde et devant l'histoire ou la postérité; en cas d'excès dans la lutte, ils doivent être responsables même devant la justice des hommes, selon les lois de la guerre civilisée, qui parfois ont une justice expéditive d'après la loi martiale et d'autres fois renvoient pour la répression aux lois pénales proprement dites, militaires ou ordinaires. Il appartient aux lois humaines de fixer les règles à suivre dans les rapports des hommes entre eux, d'interdire même dans une guerre quelconque toutes actions reconnues excessives, et spécialement celles qui iraient jusqu'à la dévastation du territoire ou à la destruction de ses édifices, de sanctionner enfin leurs prohibitions par des moyens de répression appropriés aux intentions et résultats selon l'occurrence. Pour la définition et la répression des excès commis dans une guerre étrangère, ou publique et en forme, il faudra se guider sur les lois de la guerre civilisée telles qu'elles sont fixées par le droit des gens moderne, en consultant seulement pour exemple ce qui est ancien et en s'attachant surtout aux enseignements des publicistes dont les ouvrages sont les plus récents. Relativement aux dévastations et destructions commises dans une guerre civile caractérisée, il serait nécessaire de combiner avec les lois de la guerre proprement dite celles du droit public et du droit criminel existantes dans le pays ainsi affligé. Quant aux attentats contre les propriétés qui sont commis dans une insurrection, à distinguer de la guerre civile, ils devront être jugés et punis sans égard aux licences de la guerre et uniquement d'après la loi pénale du pays où s'est produite l'insurrection vaincue. De plus, comme les dévastations réelles causent de grands dommages aux propriétaires et vont même pour quelques-uns jusqu'à la ruine, il faudra trouver dans des lois fondées notamment sur l'équité quelques règles, pour le dédommagement possible.

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