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une atrocité multiple, que ne pourra jamais pallier aucun subterfuge.

11. Parmi les ruses de guerre, comme au nombre des engins de destruction, il en est qu'interdisent des principes acquis ou des conventions dont le maintien importe à la civilisation elle-même : l'usage illicite par un belligérant autorise-t-il la réciprocité, par droit de représailles? Nous ne saurions l'admettre. Au-dessus de tout se trouvent les principes, qui doivent avoir une sanction, et les traités, qui ne se rompent pas arbitrairement. Prenons des exemples.

La convention de Genève a voulu préserver du feu de l'ennemi les hôpitaux et ambulances, au moyen de drapeaux d'une couleur particulière. Quelles seront la sanction et les facultés d'un belligérant, si l'autre arbore frauduleusement ces drapeaux ailleurs ou s'il fait feu sur des hôpitaux ainsi protégés? Le règlement américain dit, art. 117: « L'usage mensonger de ces drapeaux ou signaux est considéré avec justice comme un acte de mauvaise foi, comme un procédé des plus condamnables. Cet acte peut autoriser l'adversaire à ne tenir aucun compte de ces drapeaux ». M. Bluntschli ajoute: « On regarde en tout cas comme déshonorant pour une armée de chercher à tromper l'ennemi, en arborant le drapeau blanc pour s'assurer une meilleur position d'attaque ou de défense. L'ennemi peut, en pareil cas, ne pas tenir compte des drapeaux arborés sur les hôpitaux et user de représailles (n° 685) ». C'est bien vague et fort insuffisant. Nous nous associons à l'indignation flétrissant un belligérant qui, pour tromper l'autre et se fortifier sûrement, pousse sa fraude jusqu'à l'emploi d'un signe qui suppose des blessés ou malades devant être protégés. Nous concédons aussi que, la fraude étant reconnue, le belligérant qui en a été dupe pourra présumer qu'elle existe encore ailleurs et ne pas s'arrêter devant l'exhibition vraisemblablement frauduleuse. Mais il

ne nous paraît pas possible d'admettre que, par cela seul qu'en un lieu le signe protecteur aura été frauduleusement arboré, l'adversaire ait le droit de tirer sur des bâtiments qu'il saurait être des hôpitaux ou des ambulances, renfermant des malades ou des blessés; et nous trouverions une fraude aussi condamnable dans le fait du belligérant qui, à raison de celle dont serait coupable l'adversaire, irait par l'usage des représailles jusqu'à couvrir ses fortifications ou ses convois du drapeau protecteur, ce qui lui enlèverait désormais toute confiance, tandis que la convention doit être maintenue et la fraude signalée pour répression.

Suivant la convention de Saint-Pétersbourg, érigeant en règle obligatoire et appliquant strictement à certains engins un usage qu'avait développé la civilisation, il est interdit aux belligérants et à tous combattants d'employer des engins que réprouve l'humanité, spécialement des balles explosibles, qui feraient cruellement souffrir les hommes atteints. S'il arrive qu'un belligérant élude la prohibition en imaginant des engins ou balles explosibles qui produiraient le même effet, sans être précisément dans les dimensions spécifiées par la convention, ou que quelques combattants emploient avec dissimulation l'un des engins prohibés, l'autre belligérant ou ses soldats pourront-ils, par droit de réciprocité ou de représailles, agir de même, et davantage encore éluder la prohibition conventionnelle ? Nous disons que l'infraction première appelle une protestation énergique et publique, qui devra faire condamner au moins par la réprobation universelle une fraude aussi scandaleuse et inhumaine; mais nous ne pouvons admettre ici la réciprocité, par représailles ou comme punition: ce serait la destruction de la convention et un moyen de revenir aux usages barbares qui ont été réprouvés.

L'honneur militaire, qui est un des fondements de cer

taines règles prohibitives, est gravement compromis par des fraudes, dont il y a eu récemment de déplorables exemples: serait-il permis à l'adversaire d'employer des moyens frauduleux, semblables ou analogues, qui aboutiraient à une sorte de massacre par guet-apens? Non; avec le système de la réciprocité ou des représailles, la fraude de l'un deviendrait un motif ou prétexte de fraudes plus graves encore, on détruirait tous les principes et tous les progrès de la civilisation, il n'y aurait plus que déloyauté et perfidie, la guerre deviendrait une tuerie et il y aurait trop souvent massacre. Prenons pour exemple une fraude facile et trop connue, celle d'un groupe de soldats qui feint de se rendre en levant la << crosse en l'air », et qui, dès que l'autre parti s'est approché, tue beaucoup de soldats à bout portant. Si l'on admettait que le droit de réciprocité ou de représailles permet la même fraude aux troupes dont quelques hommes ont été victimes, il n'y aurait plus désormais loyauté ni confiance, au lieu de combats dirigés par l'art militaire on verrait partout des meurtres avec perfidie.

Trop souvent aussi on a tiré sur des parlementaires, en feignant de ne pas voir le drapeau protecteur, ou continué le feu après suspension d'armes ou armistice, sous prétexte d'ignorance. Si l'on admettait ici la réciprocité ou les représailles, aucun parlementaire n'oserait plus se présenter et les armistices conclus seraient sans effet, aucune convention ne pourrait plus avoir lieu sûrement et les combats seraient continuels. Tout cela prouve combien sont dangereuses les représailles dans la guerre engagée, combien il serait imprudent de les admettre comme un droit et quelles doivent être les conditions pour l'admission de l'excuse justificative des excès.

12. Laissons aux Allemands ou Prussiens la honte du système de représailles, si souvent pratiqué par eux, au

moyen duquel, en supposant illicite ce qui était pourtant conforme aux lois, ou en imaginant une infraction qui n'a pas été commise ou à laquelle étaient étrangères les victimes choisies pour expiation, on commet des violences excessives et jusqu'à des meurtres, sous prétexte qu'il y a droit de réciprocité et qu'on ne fait que rendre la pareille, on arrive au meurtre d'innocents et jusqu'à une sorte de massacre, avec multiplication, comme si la réciprocité ou le talion étaient sans aucunes limites. C'est leur système de représailles, appuyé d'artifices mensongers pour dissimuler leur but de terreur, que les Allemands et les Prussiens surtout ont appliqué, puis invoqué comme justification, pour des cruautés continuelles envers des combattants auxquels il leur convenait de dénier la qualité d'où dérivent les immunités des belligérants, envers des francs-tireurs ou autres volontaires qu'ils disaient n'être pas militaires ou organisés, envers des habitants inoffensifs et même envers des notables, arbitrairement enlevés comme otages et quelquefois tués quoique innocents. Il y en a de nombreux exemples, incomplétement indiqués dans notre chapitre concernant les homicides et autres violences corporelles (ch. xi, n° 13 et 14). Nous en rappelons seulement quelques-uns, pour montrer quelles ont été les ruses et cruautés, même au point de vue du prétendu droit de représailles.

Supposant inexactement qu'il y a infraction aux lois de la guerre dans l'internement des hommes de l'équipage d'un navire de commerce capturé sur mer, on enlève comme otages les notables de trois villes, qui n'étaient pour rien dans l'infraction imaginée. Si l'on observe ici quant au nombre la proportionnalité, on la viole manifestement en prenant pour victimes les hommes les plus considérables, des banquiers, des fonctionnaires, un membre de l'Institut.

Dans d'autres villes et des villages, ayant réquisitionné

des sommes considérables et voyant une infraction dans l'impossibilité déclarée de tout payer immédiatement, on enlève comme otages les notables du lieu. A Orléans, pour un soldat tué dans une rixe, on exige le paiement immédiat de six cent mille francs avec garantie d'un otage de la ville au besoin. Ailleurs, parce qu'un soldat mort est supposé tué par un franc-tireur ou autre, on choisit trois habitants du lieu et on les fusille. Ailleurs encore, les ouvriers requis pour un travail utile à l'ennemi de leur pays n'ayant pas obtempéré, on menace de faire fusiller tous ceux qu'on aura saisis et même le chef de gare du lieu où l'on veut que 500 ouvriers se trouvent réunis avant telle heure. De véritables cruautés sont commises dans plusieurs villes et villages, comme représailles sous prétexte que les habitants ne devaient pas se défendre, ou qu'ils auraient dû empêcher les francs-tireurs de résister pour eux. Partout et toujours des cruautés, les unes allant jusqu'à la mort, d'autres consistant en traitements ignominieux, sans autre motif que le prétexte d'exercice du droit de réciprocité ou du talion. Dans la plupart des cas, il n'y avait pas même eu infraction quelconque; dans tous, les représailles s'exerçaient sur des innocents; dans presque tous, la cruauté allait jusqu'à multiplier le nombre, sans aucun égard pour le principe de la proportionnalité, qui domine même l'exercice du droit de punir un coupable.

Voici encore un exemple du système allemand, quant aux représailles par multiplication. Le général Vogel von Falckeinstein a ordonné que « chaque fois qu'un prisonnier français s'évaderait, dix de ses collègues habitant avec lui seraient choisis au sort pour être enfermés et étroitement survei!lés dans une forteresse, jusqu'à ce que le prisonnier soit ramené ». Cependant la liberté est un bien si précieux et l'évasion d'un prisonnier est tellement naturelle, que l'ordonnance criminelle de 1670 elle-même n'y voyait rien de punissable,

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