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d'art. Les jurisconsultes, malgré toute leur logique, ne seraient pas capables de remplacer un seul des chefs-d'œuvre qu'ils ont laissé anéantir» (r. 649, et note). Voilà où en est le progrès, dans la civilisation et dans les principes ou règles de la guerre civilisée, pour les tempéraments à la dévastation.

4. Les enseignements rappelés concourent à fixer le droit des gens moderne, quant aux dévastations par l'ennemi envahisseur. Mais, outre le principe général qu'on peut en déduire, il faudrait des règles plus positives et explicites, pour protéger les propriétés étrangères à la guerre et spécialement certaines propriétés privées ou publiques, soit à raison de ce que la soldatesque et certains chefs eux-mêmes sont naturellement portés ou trop facilement entraînés aux destructions ou dégradations sur le territoire envahi, soit par suite d'inventions récentes qui mettent à la disposition d'une armée de nouveaux engins et moyens de destruction ou dégradation considérable, parmi lesquels même il en est qui devraient être interdits comme contraires aux exigences de l'honneur militaire.

A la différence des violences contre les personnes, qui sont réputées licites entre combattants comme conséquence nécessaire de la lutte, mais d'ailleurs avec conditions (voy. notre chap. xii), la dévastation des propriétés territoriales en pays ennemi ne saurait être toujours admise comme but ou moyen, par cela seul que la guerre autorise l'emploi d'engins destructeurs et qu'il y aura nécessité présumée. Une première condition, que nous tenons pour essentielle, est qu'il y ait un ordre du chef d'armée ayant pouvoir pour la destruction, totale ou partielle. Cela va de soi, lorsqu'il s'agit d'un ensemble d'opérations, tel que le bombardement d'une place ou d'une ville, lequel même devrait n'être permis que contre les points fortifiés (voy. notre chap. xvi). Il faut

aussi un ordre spécial du chef aux inférieurs, pour la destruction ou dévastation qui aurait lieu par un autre moyen, tel que l'incendie: car celui-ci n'est pas de droit dans les facultés du combattant, dans les pratiques de la guerre civilisée; encore moins est-il admissible, si ce doit être par la main des soldats transformés en incendiaires. C'est pourquoi une loi militaire française, relativement à l'incendie par des militaires, même en pays ennemi, a émis cette disposition pénale, plus large et rigoureuse que celles du Code actuel qui protégent spécialement les choses utiles à l'armée « Tout militaire ou autre individu, attaché à l'armée et à sa suite, qui sera convaincu d'avoir mis le feu aux magasins, arsenaux, maisons rurales ou d'habitation, ou à toute autre propriété publique ou particulière, en quelque pays que ce soit, sans ordre par écrit du général ou autre commandant, sera puni de mort» (L. 21 brum. an v, tit. 5, art. 3). Nous voyons là, non-seulement une règle de discipline, mais aussi une protection pour les propriétés, même pour celles du pays ennemi dans lequel serait le théâtre de la guerre. Si la disposition pénale ne se trouve pas reproduite en ce point dans le Code de justice militaire de 1857, il y en a plusieurs raisons, dont aucune n'exclut le principe protecteur. L'incendie ici prévu est un crime commun, que punit suffisamment le Code pénal ordinaire (infrà, no 9), dont les dispositions générales atteignent même les militaires lorsqu'il n'y a pas dérogation par une disposition spéciale. La loi pénale d'un État n'a pas à indiquer ce qui sera réputé son territoire dans le cas d'occupation par ses armées en pays ennemi, question appartenant surtout aux lois de la guerre ou au droit international. Quant à la responsabilité du chef et à l'imputabilité vis-à-vis de l'inférieur ayant agi sans ordre, elles sont régies par des principes dont l'application, en pareil cas, demande la combinaison des lois de la guerre avec

le droit public et les lois pénales du pays auquel appartiennent l'armée, en général, et les militaires coupables, individuellement. La règle ici posée est tellement impérieuse, qu'il y en eut une application remarquable au début de la guerre franco-prussienne : les Prussiens étant en nombre considérable dans un bois où l'on ne pouvait les voir, et d'où ils lançaient des projectiles meurtriers, sa destruction par des obus incendiaires eût été une nécessité de guerre et même de défense; mais il fallait l'autorisation du commandant en chef: elle ne fut pas donnée, et l'on s'abstint du moyen par respect pour la propriété, quoique la défense en souffrit.

L'ordre d'un chef est lui-même soumis à des conditions et limitations, qui doivent se trouver dans le droit des gens moderne, ayant fixé les lois de la guerre et limité les facultés du belligérant quant aux dévastations en pays ennemi. Si la loi martiale, entrant en vigueur par l'occupation militaire et proclamée par le commandant en chef, lui permet d'édicter une loi pénale pour la sanction de ses injonctions ou défenses, les peines ainsi établies doivent être conformes aux principes fondamentaux sur le droit de punir et sur l'exercice de ce droit si considérable : la punition ne doit être que contre les coupables et ne s'étendre tout au plus qu'aux personnes qui auront encouru même la responsabilité pénale; dût-elle aller jusqu'aux plus extrêmes sévérités contre ces personnes individuellement, cela n'autoriserait pas à créer une peine collective, aussi extraordinaire que la destruction des habitations du pays par l'incendie; et l'exécution serait encore plus antipathique aux principes de la guerre civilisée, comme aux exigences de l'honneur militaire, si le feu était mis aux maisons, non par des projectiles qui sont les véritables instruments de guerre, mais par des moyens manuels, avec torche ou substance nouvelle, qui ne s'emploient que par les incendiaires.

On ne trouve donc pas les conditions fondamentales d'une loi pénale, ou de l'exercice du droit de punir, dans des proclamations telles que celles qui ont été citées aux chapitres concernant les réquisitions de service, les interdictions et les violences contre les personnes (chap. x, xI et XII). Spécialement, c'est par un abus excessif de la force qu'il y a eu menace de destruction des habitations, de bombardement et même d'incendie d'une autre manière, contre les villes ou villages qui résisteraient, et même contre les communes dont quelques habitants ou défenseurs volontaires seraient en contravention aux prohibitions de l'envahisseur (Ibid.). Il y a plus encore, et l'on doit voir des crimes condamnables, dans les incendies d'habitations ayant eu lieu, en dehors de tout combat, par la main de soldats avec une substance qui n'avait jamais jusqu'ici été employée comme instrument de guerre (voy. ch. ix, no 12, et infrà, no 6).

5. C'est seulement aux combattants, à ceux qui ont droit au titre et à l'immunité du belligérant, qu'il peut être permis, en certains cas, de détruire ou dégrader les propriétés de l'ennemi ou les choses qu'il possède, comme utiles à son attaque ou à sa défense (supra); et si des destructions ou dégradations sont aussi dans les droits des défenseurs du pays envahi, elles ne peuvent être opérées que par ordre ou avec autorisation d'une autorité compétente, dans les cas et conditions prévus et réglés par la loi nationale (infrà, § 3). Pourtant il arrive trop souvent, dans une guerre où l'invasion à combattre semble autoriser tous moyens, que de tels dégâts sont commis par des individus quelconques, suivant une armée ou pénétrant dans ses lignes, sous prétexte d'entraver sa marche ou ses projets, et de fait dans des vues inspirées plutôt par de mauvaises passions. Ces intrus agissant contrairement aux règles de la guerre civilisée, leurs actions tombent sous le coup, non-seulement des lois de la

guerre ou de la loi martiale, mais aussi de dispositions pénales particulières; et comme ce sont souvent des gens sans patrie, s'abattant sur une contrée en malfaiteurs, la législation de chaque pays doit avoir des dispositions pénales contre eux, surtout dans les lois militaires.

On lit à cet égard dans le règlement américain de 1856, art. 84: « Les rodeurs armés, quel que soit le nom qu'on leur donne, ou les habitants du territoire envahi qui pénètrent furtivement dans les lignes de l'armée, avec le dessein d'y commettre des vols ou des meurtres, d'y détruire les ponts, les routes ou les canaux, de s'emparer des mallesposte ou de les détruire, de couper les fils télégraphiques, ne peuvent réclamer les priviléges des prisonniers de guerre. » Et M. Bluntschli puise dans cette sorte d'application de la loi martiale une règle du droit international pour la guerre, ainsi formulée (r. 641): « Les brigands et autres malfaiteurs qui, se faisant passer pour une troupe régulière, parcourent une contrée et y assassinent, blessent, volent, pillent, incendient, détruisent les ponts, canaux et chemins de fer, coupent les fils télégraphiques, etc., pour nuire aux armées ou satisfaire leurs passions brutales, peuvent, s'ils tombent entre les mains des troupes, être punis militairement et même être condamnés à mort. »

Il appartient à tout commandant en chef, sur le territoire qu'il possède militairement et jusqu'à l'extrême limite de ses lignes, d'appliquer avec plus ou moins de rigueur ces règles tenant à la fois aux lois de la guerre et au droit pénal ou criminel. Son pouvoir va même jusqu'à l'institution de tribunaux de guerre spéciaux, pour la prompte répression des attentats ainsi prévus, qui nuisent à l'armée comme à la propriété : c'est ce qui justifierait l'arrêté et le décret par lesquels, en 1870, le gouverneur de Paris et le Gouvernement de la défense nationale ont institué, sous le nom de

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