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qui concourront aux enseignements de l'histoire et aux explications pour le droit des gens.

Arrivant à marches forcées vers Paris, où la capitulation de Sedan avait motivé une révolution, les chefs allemands disaient avec leurs journaux qu'il leur suffirait de « pousser du pied les portes », pour y entrer «comme dans du beurre ». Ayant rencontré une résistance qu'ils n'avaient pas prévue, leur premier soin a été d'opérer très-habilement le blocus sans siège de cette immense cité, en l'investissant aussi vite et complétement que possible, si bien que dès le 19 septembre ils occupaient tous les chemins de fer qui conduisent à Paris; en prenant aux alentours de nombreuses et excellentes positions, que reliaient entre elles des troupes de cavalerie légère; puis en établissant sur les hauteurs environnantes beaucoup de retranchements et fortifications, avec des batteries d'une puissance formidable et en grand nombre, sous la direction constante de l'état-major installé à Versailles, qui avait pour chefs le roi de Prusse, commandant général des armées allemandes, le comte de Moltke, ordonnateur de toutes les opérations militaires, et le chancelier fédéral de Bismarck, directeur habile des tactiques politiques. De la sorte, l'envahisseur, ne craignant aucune armée de secours et fortifié contre les attaques qui résulteraient de sorties audacieuses, attendait tout de la famine qu'amènerait inévitablement l'investissement prolongé, avec l'espoir de quelque trahison provoquée ou d'une sédition favorisée 21.

21 Un officier de l'état-major prussien avait pressenti les difficultés et les moyens d'y parer, dans son écrit publié en 1867 sous le titre : Considérations sur les défenses naturelles et artificielles de la France en cas d'invasion allemande. Il y disait, p. 151, après avoir montré les armées allemandes se dirigeant du Rhin vers Paris : « Pourront-elles jamais briser la résistance qu'on leur opposera dans l'attaque de ces immenses camps retranchés dont le siége sera au moins aussi pénible que celui de Sébastopol? Des secours de toute

Cette habile tactique trompait toutes les prévisions. On avait pensé, en France, que les envahisseurs si nombreux, profitant du désastre de Sedan et des dissensions qu'ils espéraient de la révolution s'ensuivant, tenteraient d'abord la prise d'assaut d'un des forts détachés, pour commander l'un des côtés les plus faibles de la place, ce qui serait un siége à subir, et on se préparait à y résister par toutes sortes de travaux défensifs : nul ne croyait possible un blocus hermétique ou investissement complet, à raison de l'immense étendue de l'enceinte et de la distance des forts la protégeant; les Allemands eux-mêmes étaient loin de croire que leur blocus dût se prolonger plusieurs mois, selon ce qu'ont révélé les lettres saisies de soldats allemands et de leurs parents ou amis. Or, l'investissement enfermait étroitement au moins deux millions d'individus, dont le plus grand nombre était ce qu'on appelle des «bouches inutiles ». L'enceinte, déterminée par les remparts, comprenait, outre la ville et les faubourgs, des communes suburbaines très-populeuses, dont l'annexion avait été une conséquence des fortifications sans que cela rejetât au dehors une grande partie de la population ouvrière. En cet état, la capitale avait environ dix huit cent mille habitants, dont un dixième à peine était au dehors par suite des événements. De plus, elle dut servir de refuge à deux catégories de voisins d'une part, à ceux qui peuplaient les habitations à démolir dans la zone des fortifications, où il fallait faire le vide pour ne pas faciliter l'attaque; d'autre part, aux habitants des villes et communes environnantes allant être envahies, qui fuyaient nature pourront être dirigés de l'intérieur sur la capitale, et à moins d'une écrasante supériorité du nombre il paraît presque impossible de s'en emparer par la force des armes et de se rendre ainsi maître de la France. Paris ne sera jamais en hotre pouvoir, à moins que des circonstances politiques ou des raisons d'un ordre moral n'obligent les défenseurs à nous en ouvrir les portes. »

devant les horreurs annoncées. En outre, il était arrivé au secours de Paris, avec quelques débris des armées et de braves marins, des bataillons nombreux de gardes mobiles organisés à la hâte. Tout cela donnait de fait une population d'environ deux millions d'individus à nourrir; et tout ce monde a été enfermé pendant 19 semaines ou 135 jours, avec toutes les rigueurs d'un hiver précoce et des privations diverses allant parfois jusqu'à une sorte de supplice.

Les sorties en armes, plusieurs fois tentées, ont été paralysées de différentes manières et par des causes diverses. Nous n'avons pas ici à expliquer les événements politiques et les opérations militaires : ce sera l'œuvre des historiens. Citons seulement les obstacles que nous avons pu connaître personnellement. Par ses espions nombreux, jusque dans l'intérieur, outre les indiscrétions de certains journaux, dont plusieurs sacrifiaient tout à leurs passions politiques, l'envahisseur savait toujours d'avance de quel côté une sortie se préparait et quelle force il aurait à repousser: possédant les lignes de chemins de fer, il avait toutes facilités pour réunir et opposer des forces supérieures, sans le moindre retard. Par ses positions sur les hauteurs, fortifiées en tous sens, il était de tous côtés sur la défensive, soit qu'il eût à combattre des bataillons de marche tentant une sortie, soit qu'il dût être menacé par quelque armée de secours, pouvant d'autant moins arriver à temps que l'investissement complet empêchait un concert efficace entre Paris et la province. Aux Bombreux bataillons qui se formaient à l'intérieur, il aurait fallu des canons dont le nombre et la qualité égalassent ceux des armées d'investissement, qui en avaient et en recevaient encore d'Allemagne par les voies ferrées qu'elles occupatient: or, la fabrication de tels canons, dans Paris même, demandait un temps et des soins considérables, tellement qu'ils ne purent être éprouvés et livrés que trop tard à raison des

complications survenues; et elle a fait consommer ainsi presque tout le combustible, dont l'absence a été très-sensible lorsqu'il a fallu en outre combattre un froid très-rigoureux, ce qui ne pouvait plus se faire qu'avec du bois vert et des bois de charpente pleins de clous.

10. L'interception des communications, permanente et rigoureuse, justifiait les essais contraires et se fortifiait par de nouvelles rigueurs. Des messagers s'étant hasardés, leur capture les faisait traiter avec cruauté. Un jeune magistrat de Versailles, fils du premier avocat général à la Cour de cassation, ayant voulu rassurer sa mère par une carte de visite avec un mot lui disant qu'il se portait bien, les Prussiens l'ont enlevé en Allemagne, et menacé de le faire condamner par un conseil de guerre pour crime d'espionnage ou d'intelligence avec l'ennemi. On a essayé l'usage de ballons libres, portant au hasard de petits bulletins ouverts; mais ils étaient souvent perdus, et il ne pouvait y avoir aucune réponse par un tel moyen. Une invention merveilleuse fut celle des correspondances en caractères microscopiques, par expédition de ballons montés avec des pigeons voyageurs qui, en retour, apportaient ces dépêches dans un tuyau de plume sous une aile on espérait beaucoup de ce système ingénieux, mais il y avait aussi de grands périls. La science n'ayant encore pu découvrir un moyen sûr de diriger les ballons vers tel point, et les vents étant souvent contraires, des aéronautes improvisés et même les plus exercés étaient parfois conduits, soit sur le territoire occupé par l'ennemi, soit en pays étranger, soit même au-dessus de la mer et fort loin 22. On sait que M. Gambetta, quittant Paris en ballon pour organiser au dehors des moyens de défense, fut ballotté par les vents et tomba en Belgique. L'univers entier a dû

22 Les Prussiens ont tiré sur le ballon où se trouvait M. Tixandier, agent de la poste aérienne (Mon, univ., 11 nov. 1870). Ils ont ainsi capturé le Galilée (Pet.

connaître, par un récit des plus dramatiques, le voyage vertigineux, avec accidents extraordinaires, de deux aéronautes français, qui ont été emportés et conduits en quelques heures, au-dessus des mers, et sans aucun secours possible des équipages de navires les voyant avec effroi, jusque dans des contrées incultes de la Norwége, où ils ont d'abord subi toutes sortes de souffrances, puis ont été recueillis par d'honnêtes habitants, conduits dans plusieurs villes et jusqu'à Christiania, aux acclamations des populations, étonnées de ce qu'elles apprenaient et criant: vive la France I vive la belle France!

D'autres périls se trouvaient dans les cruautés de l'ennemi. Le moindre était de tomber, par une sorte de naufrage, dans l'une de ses lignes: alors il y avait capture et du ballon et des aéronautes, avec leurs dépêches et les pigeons voyageurs, qu'une ruse moins habile que perfide faisait renvoyer avec des dépêches fausses, pour tromper les Parisiens sur l'état du dehors. Bien plus, dès qu'ils voyaient un ballon monté passer à la portée de leurs meilleurs fusils, les soldats allemands fusillaient le ballon et sa nacelle pour les faire tomber n'importe où et capturer les aéronautes, morts ou vivants. Ce n'est pas tout encore : la politique prussienne voyait dans l'essai manqué un crime à punir, et faisait conduire les malheureux voyageurs dans une forteresse allemande, avec menace de condamnation et exécution militaires. Le système allemand a été indiqué, sinon expliqué pour justification, dans une dépêche du chancelier fédéral

monit. univ., 16 nov,), un autre ballon (ibid., 17 nov.), et le Daguerre, avec pigeons (ibid., 18 déc.).

Le diplomate allemand a fait traiter rigoureusement les aéronautes capturés (Voy. Journ. off., 25 nov. 1870, et notre chap. vi, no 4).

Le ballon la Ville-d'Orléans a conduit ses aéronautes, à travers les mers et avec périls extrêmes, jusqu'en Norwége (Voy. Monit. univ., 6 déc. 1870, 15, 16, 17, 18 et 19 fév. 1871).

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