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jeunes gens, artistes et artisans, furent comme saisis par la sublime fièvre de la charité. Les théâtres étaient des hôtelsDieu. Le foyer de la Comédie-Française se changea en ambulance. Les femmes riches ouvraient leurs hôtels aux malades, et s'y faisaient infirmières. Celles qui n'avaient pas d'argent à elles donnaient... l'argent des autres, c'est-à-dire quêtaient, soignaient, travaillaient. En vérité, il y eut des jours où Paris ressemblait à un chapitre de l'Évangile "».

Ainsi, bloquée ou investie plus longtemps qu'on ne l'avait supposé possible, soumise à toutes sortes de souffrances et menacée d'une famine qui aurait fait périr des innocents par milliers et centaines de mille, la capitale, privée de secours, a fini par céder... Comment doit-on qualifier l'action allemande et le résultat? Si l'on emploie les expressions «< siége de Paris », c'est qu'il y a eu des tentatives d'attaque et un bombardement dirigé sur l'intérieur même; mais cela ne constitue pas un véritable siége, ainsi que l'expliquera le chapitre suivant. La place n'a pas été prise, puisque l'ennemi a échoué même dans ses attaques contre les forts avancés; on ne pourrait non plus dire justement qu'elle a été livrée : ce serait employer le langage de ceux qui voient partout la trahison, pour satisfaire leurs passions politiques. Y avait-il reddition ou capitulation? Il faut s'entendre sur le sens des mots. Ce qui est incontestable, c'est qu'il y a eu convention, discutée et conclue; cette convention est complexe et participe des caractères de plusieurs pactes, qui ont leur nom dans la langue des lois de la guerre ou du droit des gens. Il y avait armistice, avec préliminaires de paix (voy. notre chap. xviii); s'il y eut aussi capitulation, c'était seulement au point de vue spécial de la population parisienne, réduite par famine, et encore avec des conditions autres que celles d'une

29 Discours de M. Legouvé, à l'Institut, séance de l'Académie française du 24 novembre 1871. (Journ. off. du 25.)

capitulation proprement dite (voy. nos chap. xvi et xxi); en réalité, le but et les moyens tendaient à un traité de paix, qui n'aurait pas été onéreux à l'excès, sans les stratagèmes et complications dont nous parlerons au dernier chapitre. La proclamation disait : « L'ennemi n'entrera pas dans l'enceinte de Paris ». A la vérité, on est convenu que quelques détachements viendraient aux Champs-Elysées; mais ils y sont restés à peine 36 heures, sans même pouvoir satisfaire leur curiosité, et l'accueil reçu a été plus ignominieux encore que celui des troupes passées en revue à Rouen et à Amiens. En retour, le diplomate prussien a obtenu que Paris payât deux cents millions... Pourquoi? parce que la population s'était laissé affamer! C'est un contraste frappant avec la conduite généreuse de ces pays, nullement allemands, qui ont multiplié les efforts pour envoyer au plus tôt des vivres aux victimes de la cupidité prussienne, générosité nous imposant des devoirs de reconnaissance auxquels nous ne faillirons pas.

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1. Siége. Opérations militaires. Distinctions premières.

2. Places de guerre. Fortifications de Paris. Législation nationale. Historique. État actuel.

3. État de siége effectif. Déclaration d'état de siége. Effets légaux. 4. Non-combattants. Sortie cu expulsion. Droits et devoirs.

5. Droit de sortie, pour les agents diplomatiques et résidents neutres. 6. Opérations du siége. Assaut. Pillage réprouvé.

7. Bombardement. Engins actuels. Enormités à proscrire.

8. Places fortes. Villes intérieures. Préservation nécessaire.

9. Villes ouvertes. Distinctions. Bombardement illicite.

10. Sommation. Notification publique. Conditions et protestations. 11. Pratiques des Allemands en France, pour le bombardement des villes. Intentions coupables.

12. Bombardement de Strasbourg. Destructions barbares.

13. Bombardement de Paris. But de terreur. Tir sur hôpitaux, musées, édifices religieux, etc.

14. Violation du droit des gens. Protestations multiples. Précédents réprouvés.

I

1. Le siége d'une place, nécessité par ses fortifications et autres moyens de résistance, consiste en une série d'opérations militaires, ouvrages ou travaux d'approche, comme tranchées ou parallèles, attaque avec brèche aux remparts et assauts pour pénétrer dans la place, afin de la prendre de vive force s'il n'y a pas capitulation avant cette extrémité. Assez ordinairement et suivant un système qui date de trèsloin, le siége proprement dit est préparé et facilité par un blocus ou investissement, interceptant, autant que possible,

toutes communications entre la place et le dehors, pour empêcher surtout qu'elle n'en reçoive des renforts ou des vivres ; c'est ce qui fait que, dans les anciens dictionnaires et même dans le langage usuel, le blocus ou investissement est confondu avec l'attaque dans son ensemble, qui s'appelle alors siége. Mais, ainsi que l'a prouvé le chapitre précédent, un blocus hermétique ou investissement complet, en réduisant la place à l'état de famine au moins imminente, peut faire obtenir la reddition sans qu'il faille accomplir les attaques difficiles et périlleuses d'un véritable siége, la canonnade ou le bombardement n'étant utiles que pour augmenter la terreur. D'un autre côté, le siége proprement dit lui-même, si la situation du port ou de la place ne permet pas de réaliser un blocus complet, ainsi que l'exige le droit des gens actuel, pour son efficacité même vis-à-vis des neutres, peut s'effectuer dans les règles, encore bien que l'investissement n'ait lieu que là où il faut surtout empêcher le passage. Cela explique déjà la division faite par nous, en deux chapitres, l'un pour le blocus et l'investissement, avec leurs règles, l'autre pour le siége proprement dit avec un paragraphe distinct pour le bombardement, ces deux opérations militaires ayant des points de contact et aussi des règles différentes.

Les opérations de siége, pour l'attaque, comme les moyens de défense, d'ailleurs plus favorables, appartiennent à l'art militaire en tout ce qui concerne le choix du moment et du lieu, des combattants et des travailleurs, du mode préférable et des moyens d'éviter de trop grandes pertes, selon l'expérience et les progrès. Mais il y a aussi des règles de droit, qui doivent être obligatoires et suivies ou respectées. Les unes appartiennent au droit public du pays: il en existe notamment pour les défenseurs de la place assiégée; et nous citerons spécialement les dispositions de la législation française, sur des points importants, qui nous paraissent devoir

être les mêmes dans les autres pays civilisés. Le commandant de place a d'ailleurs des devoirs d'honneur, que la loi militaire, qui le régit, l'oblige, sous des peines sévères, à accomplir strictement, pour que la défense soit prolongée jusqu'à l'extrême limite du possible ils sont expliqués, avec les développements qu'exige la gravité du sujet, au chapitre concernant les capitulations (chap. xxii). Du droit d'attaque et du devoir de résistance, qui rendent inévitable une lutte meurtrière, ont dû dériver certaines règles du droit des gens, spéciales pour ce genre de guerre, qui diffère des combats ordinaires. Ce sont surtout celles que nous aurons à exposer ici.

2. Toute place de guerre, plus ou moins forte, est susceptible d'un siége régulier, avec attaque de vive force même par bombardement. Comment distingue-t-on une telle place d'une ville ouverte ? Elle a nécessairement, avec des fortifications autorisées, une administration et un service militaires, qui ont dû être réglés par des lois : c'est donc dans la législation du pays qu'on doit trouver la distinction caractéristique, comme le classement selon le degré d'importance. La législation française, à cet égard, contient de nombreuses dispositions, émises par la loi du 8 juillet 1791, par le décret impérial du 24 décembre 1811, par deux lois des 10 juillet 1851 et 10 août 1853, enfin par un règlement d'administration publique de cette dernière date; les places de guerre ou postes militaires y sont divisés en trois classes; le classement pour chaque place ou poste se trouve dans les tableaux qui, annexés successivement aux premières lois y compris celle du 17 juillet 1819, ont été refondus et font corps avec la loi de 1851 et le décret de 1853.

A quelle catégorie appartient la ville de Paris, fortifiée, mais non classée parmi les places de guerre, une loi spéciale l'ayant ainsi voulu? La question demande des explications,

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