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paisible d'une ville par leurs incursions avec des exigences auxquelles elle n'est pas tenue de se soumettre, il y a là une attaque ou provocation légitimant la résistance. Que si la lutte se produit au dehors, ce fait de guerre peut bien permettre toutes hostilités entre les combattants respectifs, mais il ne pourrait légitimer le bombardement de la ville ellemême, dont les habitations ne sont pas coupables ou responsables et ne sauraient en tout cas être atteintes par un tel moyen, admissible seulement contre des fortifications. C'était donc exactement que la circulaire de M. de Chaudordy, du 29 novembre 1870, qualifiant de « procédé unique dans l'histoire le bombardement des villes ouvertes par les armées allemandes », ajoutait que « jamais l'idée n'était entrée jusqu'à présent dans aucun esprit que cet épouvantable moyen de guerre pût être employé d'une manière préventive ». Seulement il n'y avait pas assez de précision dans ces autres passages de la circulaire : « Se prévalant de ces cruautés mêmes, on s'en fait une arme. On a osé prétendre que toute ville qui se défend est une place de guerre et que, puisqu'on la bombarde, on a ensuite le droit de la traiter en forteresse prise d'assaut. On y met le feu, après avoir inondé de pétrole les portes et les boiseries. des maisons. Si on a épargné le pillage, on n'en exploite pas moins contre la cité la guerre, qu'elle doit payer en se laissant rançonner à merci. Et même, lorsqu'une ville ouverte ne se défend pas, on a pratiqué le système du bombardement sans explication préalable, et avoué que c'était le moyen de la traiter comme si elle s'était défendue. » Ce qu'il y avait de contestable, dans cette circulaire, a fourni aux défenseurs officieux de l'Allemagne l'occasion d'une discussion, en droit comme en fait, dont nous devons ici relever quelques points pour fixer les principes et tout au moins indiquer notre opinion.

Sur la question de savoir ce qu'on doit entendre par les mots villes ouvertes, nous admettons la double condition que la ville soit non fortifiée et non défendue; mais, hors le cas de nécessité pour combattre des troupes réfugiées ou pour avoir des logements indispensables, nous ne pouvons concéder à une armée ennemie le droit d'y exercer sans obstacle des rigueurs telles que réquisitions excessives et de la bombarder dès qu'elle résiste. Sur la question de résistance autorisant l'emploi de projectiles destructeurs, nous prenons acte de la reconnaissance ainsi formulée : « Ce que l'on peut réellement exiger d'une armée envahissante, c'est qu'elle ne bombarde des places, fortifiées ou non, qu'après avoir acquis la certitude de leur intention de se défendre. Si les Allemands ont violé cette loi, s'ils se sont servis des bombes et des obus pour atteindre les résultats militaires qu'ils auraient peut-être pu obtenir à l'aide d'une simple sommation ou de tout autre moyen moins rigoureux, ils ont incontestablement commis un grave abus contre le droit des gens et de l'humanité 12 ». Or c'est ce qui a eu lieu de fait contre plusieurs villes, ainsi que nous l'expliquerons. Pour essayer de soutenir que le contraire est vraisemblable, il ne suffit pas de dire qu'avant d'entrer pour la seconde fois à Saint-Quentin, le général, commandant un détachement pour l'occupation, a écrit qu'il avait eu « d'abord l'intention d'entrer sans intention hostile », et qu'il fixait un rendez-vous à la commission municipale en ajoutant : « Au cas où elle ne paraîtrait pas à l'heure indiquée, le bombardement de la ville commencera à onze heures et demie ». C'est déjà un procédé très-rigoureux que celui-ci, quand on sait comment l'enlèvement d'otages et le bombardement se faisaient par les envahisseurs. De plus, le défenseur officieux

12 Revue de droit international, publiée à Gand, 2e cab. de 1871, p. 299.

lui-même est obligé de reconnaître et blâmer ce qu'ils ont fait dans une ville voisine. Ainsi que l'a constaté un rapport officiel, l'attaque de la Fère a eu lieu par bombardement « sans avertissement ni sommation préalables. Cette malheureuse petite ville a été écrasée sous une pluie de bombes et d'obus 13 ».

10. Deux conditions sont imposées, par les lois de la guerre civilisée, au commandant de siége qui veut recourir à l'extrémité du bombardement. L'une est celle d'une sommation, au commandant de la place assiégée, d'avoir à se rendre, pour éviter les rigueurs extrêmes. C'est au moins un avertissement, d'autant plus exigé que les lois militaires, dans la plupart des pays, veulent que le gouverneur ou commandant consulte les officiers généraux, ou supérieurs, composant le conseil de défense; mais ce n'est ordinairement qu'une formalité, parce que l'honneur et les lois militaires font un devoir au commandant en chef de résister autant que possible, sous des conditions que nous expliquerons au chapitre des « capitulations » capitulations », ce qui fait que la sommation est presque toujours repoussée d'un mot et qu'elle est souvent réputée inutile ou de pure forme. C'est pourquoi des publicistes ont confondu la simple sommation au commandant avec la dénonciation publique dont nous allons parler. De Martens confondait aussi lorsqu'il disait, dans le paragraphe concernant la prise par capitulation ou assaut : « Il est conforme aux lois de la guerre de sommer, au moins une fois, la forteresse ou la place forte assiégée, avant de commencer le bombardement ; souvent ces sommations se répètent, ou la forteresse donne un signal qu'elle désire capituler » ; à quoi il ajoute en note: «< plaintes

13 Ibid. Rapport du capitaine de frégate Planche, commandant supérieur de la Fère, au ministre de la guerre à Tours et au général commandant à Lille, daté de Saint-Quentin, 27 novembre 1870.

amères du roi de Prusse à l'égard du bombardement de Custrin par les Russes, en 1758, dans Moser, Versuch, t. ix, p. 137 ».

L'importante condition du droit des gens est une noti fication, qui avertisse même la population civile y compris les résidents neutres. Elle était sous-entendue dans les œuvres des anciens publicistes, admettant le bombardement pour les cas de nécessité, sauf avertissement; et elle l'est à plus forte raison dans les œuvres modernes, qui tendent davantage à restreindre un tel procédé de guerre. Cette condition est même exprimée dans le règlement américain et dans le Code tout récent de M. Bluntschli; seulement ils y mettent une exception qui détruirait la règle, si l'on ne maintenait pas strictement les limites sans lesquelles des prétextes feraient trop facilement violer le principe. Dans les instructions américaines il est dit, art. 19: a Le commandant des assiégeants, toutes les fois qu'il le peut, informe les assiégés de son intention de bombarder la place, afin que les non-combattants, et surtout les femmes et les enfants, puissent chercher un abri avant l'ouverture du bombardement. Toutefois, ce n'est pas enfreindre les lois de la guerre que d'omettre cette formalité. La surprise peut être commandée par la nécessité. » M. Bluntschli pose ainsi la règle « Il est d'usage que l'assiégeant annonce, lorsque cela lui est possible, son intention de bombarder la place, afin que les non-combattants, et spécialement les femmes et les enfants, puissent s'éloigner ou pourvoir à leur sûreté. Il peut cependant être nécessaire de surprendre l'ennemi afin d'enlever rapidement sa position; et dans ce cas, la non-dénonciation du bombardement ne constituera pas une violation des lois de la guerre (règle 554)». Puis, le jurisconsulte allemand ajoute en note: « Cet usage se rattache à l'idée même de la guerre civilisée, qui est une lutte entre deux

États et non une lutte entre des particuliers. User d'autant de ménagements que possible envers ces derniers, tel est le caractère distinctif de la guerre civilisée. Même s'il s'agit de places fortes, l'humanité exige que les habitants soient prévenus du moment de l'ouverture du feu, toutes les fois que les opérations militaires le permettront. >>

Le principe paraît certain et reconnu. Son motif fondamental est que la guerre ne se fait pas contre les particuliers, ne doit atteindre individuellement ni les habitants inoffensifs ni encore moins les neutres, qui seraient seulement en résidence dans la ville que renferme la place menacée. La raison spéciale sera que, les bombes ou obus pouvant, même sans tir intentionnel, parvenir jusqu'aux habitations voisines des points fortifiés, il faut aux habitants un avertissement préalable qui leur donne le temps de mettre en lieu de sûreté leurs familles avec mobilier nécessaire, et aux résidents neutres une dénonciation comme au cas de blocus pour qu'ils puissent obtenir et utiliser la permission de sortir avant le bombardement meurtrier. Le cas d'exception serait celui d'impossibilité pour un tel avertissement; mais avec les facilités de communication que donnent l'usage des parlementaires et les moyens actuels de correspondance, il serait extraordinaire que l'assiégeant fût absolument empêché de faire parvenir dans la place une déclaration au commandant et aux habitants de son intention de bombardement prochain. Quant à la nécessité supposée d'employer la surprise pour une telle extrémité, nous ne voyons pas où elle pourrait être si ce n'est dans une ruse de guerre, peutêtre permise en d'autres cas, mais inadmissible pour infraction à une règle spéciale. Il y a donc eu violation du principe, sans impossibilité ni nécessité justificatives, dans le bombardement non notifié de plusieurs places ou villes françaises. Cela justifiait les protestations émanées tout à la fois

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