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du Gouvernement de la défense nationale et, spécialement pour Paris, du gouverneur de la place 1; des agents diplomatiques et consulaires neutres, restés à Paris, qui avaient demandé vainement qu'on les avertît pour eux et leurs nationaux ; enfin, des compagnies savantes, qui ont voulu faire maintenir le principe et veiller à ce que leurs précieux

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14. Nous dénonçons aux cabinets européens, à l'opinion publique du monde, le traitement que l'armée prussienne ne craint pas d'infliger à la ville de Paris... Sans avertissement préalable, l'armée prussienne a dirigé contre la ville des projectiles énormes, dont ses redoutables engins lui permettent de l'accabler à deux lieues de distance. Depuis quatre jours, cette violence est en cours d'exécution. La nuit dernière, plus de 2,000 bombes ont accablé les quartiers de Montrouge, de Grenelle, d'Auteuil, de Passy, de St-Jacques et de St-Germain. Il semble qu'elles aient été dirigées à plaisir sur les hôpitaux, les ambulances, les prisons, les écoles et les églises. Des enfants et des femmes ont été broyés dans leur lit. Au Val-de-Grâce, un malade a été tué sur le coup; plusieurs ont été blessés. Les victimes inoffensives sont nombreuses, et nul moyen ne leur a été donné de se garantir contre cette agression inatlendue... Le bombardement infligé à Paris n'est pas le préliminaire d'une action militaire; il est une dévastation froidement méditée, systématiquement accomplie et n'ayant d'autre but que de jeter l'épouvante dans la population civile au moyen de l'incendie et du meurtre. C'est à la Prusse qu'était réservée cette inqualifiable entreprise sur la capitale qui lui a tant de fois ouvert ses murs hospitaliers. Le Gouvernement de la défense nationale proteste hautement, en face du monde civilisé, contre cet acte d'inutile barbarie et s'associe de cœur aux sentiments de la population indignée... »

15 Dépêche des agents diplomatiques et consulaires des puissances neutres, restés à Paris, au chancelier fédéral : « Depuis plusieurs jours, des obus en grand nombre ont pénétré jusque dans l'intérieur de Paris. Des femmes, des enfants, des malades ont été frappés. Parmi les victimes, plusieurs appartiennent aux États neutres. La vie et la propriété des personnes de toute nationalité établies à Paris se trouvent continuellement mises en péril. Ces faits sont survenus sans que les soussignés, dont la plupart n'ont en ce moment d'autre mission à Paris que de veiller à la sécurité et aux intérêts de leurs nationaux, aient été, par une dénonciation préalable, mis en mesure de prémunir ceux-ci contres les dangers dont ils sont menacés... En présence d'événements d'un caractère aussi grave, les membres du corps diplomatique présents à Paris, auxquels se sont joints, en l'absence de leurs ambassades et légations respectives, les membres soussignés du corps consulaire, ont jugé nécessaire, dans le sentiment de leur responsabilité....., résolution unanime: de demander que, conformément aux principes et aux usages reconnus du droit des gens, des mesures soient prises pour permettre à leurs nationaux de

dépôts fussent préservés ". Nous ne trouvons qu'équivoques ou subtilités dans les réponses et répliques, déjà réfutées par les agents diplomatiques eux-mêmes, du diplomate prussien supposant qu'il y avait eu dénonciation par équivalent ou bien inutilité ", tandis qu'en réalité le but était, comme l'ont dit les journaux allemands, de choisir le moment favorable qu'ils ont appelé psychologique !

L'équivalent supposé ne pouvait se trouver dans des dépêches respectives ayant un tout autre objet, d'autant moins que les pressentiments étaient pour une attaque des forts ou des remparts, bien plus que pour un bombardement attaquant l'intérieur de la ville elle-même. Quant à la supposition d'inutilité, selon le droit des gens, parce qu'il n'aurait pas de prohibitions expresses, c'est une erreur aujourd'hui condamnée. Comme l'a dit un membre très-érudit de l'Institut: « Le droit des gens se compose, non d'un code de textes, promulgués comme lois des nations, mais d'un ensemble d'usages, de pratiques, de règles de conduite, admis entre Etats policés et tacitement consacrés par les précédents. Or tous les précédents constatent la pratique se mettre à l'abri, eux et leurs propriétés... Paris, le 13 janvier 1871. • (Suivent 19 signatures.)

16 Voy. infrà, nos 12, 13 et 14.

17 Réponse du comte de Bismark-Schonhausen, chancelier de la Confedération de l'Allemagne du Nord, à Versailles, à M. Kern, ministre de la Confédération suisse à Paris, 17 janvier 1871 (Voy. Journ. le Temps, 25 janv., et Petit Monit. univ., 26 janv.).

Dans cette longue réponse, le diplomate prussien, présentant les faits à sa manière, éludait la question de principe. Après réunion du corps diplomatique à la légation suisse, préavis d'une commission et délibération nouvelle, M. Kern, dans un nouvel écrit, a rectifié différentes erreurs de faits. Sur la question de principe, n'ayant plus d'intérêt pour le passé puisqu'il s'agissait de notification préalable, les membres du corps diplomatique ont persisté dans leur protestation, décidé qu'il n'y avait plus lieu de discuter avec le chancelier fédéral dont le point de vue était si différent du leur, et ont dû lui déclarer qu'à raison de la gravité du principe, ils transmettraient à leurs gouvernements les notes échangées.

de l'avertissement. Au siége d'Anvers, le maréchal Gérard avisa le général hollandais du jour où il jetterait ses bombes sur la citadelle. A Rome, le général Oudinot usa du même procédé, et de même avons-nous agi à Sébastopol. Voilà pour le fait lui-même des précédents. Quant au droit des gens théorique, il exige l'avertissement comme il exige la déclaration préalable de la guerre avant le commencement des hostilités, afin que les non-combattants ou les neutres puissent se mettre à l'abri d'une attaque aussi redoutable D.

L'outrage à la civilisation, par un bombardement à l'improviste, est si évident, que le rédacteur d'une sorte de défense pour l'Allemagne se trouve obligé, tout en s'efforçant d'atténuer ses torts sur ce point, de reconnaître le principe méconnu, en ces termes : « Le reproche d'avoir commencé le bombardement sans notification préalable est plus sérieux. A la vérité, les Parisiens devaient s'attendre et ils s'attendaient, en effet, à être bombardés tôt ou tard... Cependant nous ne croyons pas que toutes ces circonstances réunies justifient l'omission de la notification. Celle-ci, en effet, est, dans tous les cas, une mesure dictée par l'humanité, en ce qu'elle fait connaître aux habitants le moment exact de l'ouverture du feu et les met par là à même de prendre, à la dernière heure, certaines mesures dans l'intérêt de la partie tout à fait inoffensive de la population. Or, on ne voit pas quels étaient, dans l'occurrence, les motifs pour déroger à la règle générale 1o.»

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Le principe doit donc, quoique violé par les Allemands, demeurer acquis au droit des gens moderne.

18 Ch. Giraud, membre de l'Institut, Le droit des gens et la guerre de la Prusse (Revue des Deux-Mondes, 1er fév. 1871, p. 444).

19 Revue de droit international, publiée à Gand, 2 cahier de 1871, p.

III

11. Tel qu'il était pratiqué par les Allemands en France, le bombardement, avec ses fureurs, a été partout un outrage à la civilisation et à l'humanité, une méconnaissance flagrante des principes fondamentaux du droit des gens actuel et même, parfois, une violation de règles spéciales, qui étaient éludées sans autre nécessité qu'un prétexte imaginaire.

D'abord et par ce moyen, devenu sauvage, il y a eu, dans le but et en résultat, une série multiple de cruautés personnelles et de dévastations d'édifices, allant jusqu'à la destruction d'un grand nombre, ce que nous avons, à ce premier point de vue, prouvé et flétri dans les deux chapitres consacrés aux tueries inutiles et aux dévastations aussi injustifiables (ch. xu, n° 13-15, et ch. xIII, n° 6). Ici, c'était à l'appui de réquisitions excessives et pressantes, auxquelles les habitants étaient dans l'impossibilité absolue de satisfaire instantanément. Là, c'était sous le prétexte de résistance, soit par les habitants personnellement, soit même seulement par des francs-tireurs de passage. Ou bien encore, c'était à titre de punition ou vengeance, pour des infractions prétendues, que l'envahisseur imaginait ou aggravait pour avoir un prétexte de représailles, ce qui manquait de toute justification, même sous cet autre aspect, ainsi que nous l'avons aussi démontré dans un chapitre spécial (ch. xiv, no 9 et 12).

Le grief d'ensemble est si grave, qu'il a été reproché aux Allemands non-seulement par des publications officielles et beaucoup d'autres en France, mais aussi et en même temps par des écrits de savants étrangers, qui pourtant étaient empêchés par l'investissement de Paris de savoir, comme les habitants enfermés, tout le mal qu'y faisaient les procédés prussiens, tandis qu'ils étaient accablés d'explications inté

ressées ou officieuses pour l'Allemagne. L'intention même a pu être incriminée, comme elle l'a été, par l'imputation d'un système de terreur, dans une circulaire officielle aux agents diplomatiques français à l'étranger, déjà citée, et par celle de déloyauté, dans une dépêche officielle du général Faidherbe, qui disait hautement : « Autrefois on faisait le siége des fortifications d'une ville forte en ménageant la ville. C'était une sorte de convention internationale. C'était du droit des gens. Les Prussiens, en cela comme en beaucoup d'autres choses, ont rompu avec le passé. Ils n'assiégent plus les fortifications, ils bombardent les villes. Moi, je les accuse de manquer aux usages, aux ménagements pour les populations, que les peuples civilisés gardaient dans leurs guerres, à une convention tacite, si elle n'est écrite. C'est donc leur loyauté que j'incrimine"». L'accusation est nette, formelle et directe. C'était à cela qu'il fallait répondre, dans l'un des nombreux écrits rédigés ou obtenus pour la justification des accusés. Or, ce point a été éludé, tandis qu'on s'est étendu démesurément sur d'autres.

Prévoyant des subtilités pour l'excuse contre le reproche d'inhumanité, le général Faidherbe ajoutait : « Car remarquez que, si vous les accusez d'inhumanité, ils vous répondront que c'est au contraire par humanité qu'il agissent ainsi. Voyez Péronne sa prise leur a coûté quelques hommes, mettez, si vous voulez, quelques centaines d'hommes, et à nous une dizaine de militaires et autant de civils tués ou blessés. Or, savez-vous ce qu'eût coûté un siége en règle de la ville de Péronne, bien défendue? Mille à quinze cents hommes aux assiégés et trois à quatre mille hommes aux assiégeants. Comparez.» C'était le raisonnement prussien qu'entendait exprimer le général, pour le détruire en invo

20 Rapport du général Faidherbe au sous-préfet de Péronne (Indépendance belge, 26 janv. 1871).

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