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batteries formidables par les Prussiens, les Saxons et les Wurtembergeois, qui dirigèrent leurs feux, dès le 27 décembre, sur les forts de Noisy, de Rosny et de Nogent, ainsi que sur les positions du Mont-Avron, qui n'est qu'un coteau et n'avait pu être fortifié. Le 31 décembre, les projectiles arrivaient déjà en grand nombre sur les fermes de Groslay, Bobigny et Bondy et jusqu'à Noisy-le-Sec; le 4 janvier, ils pleuvaient sur le fort de Nogent, sur les villages de Montreuil et de Fontenay. Le 5, les batteries de Châtillon ont bombardé avec une violence extrême les forts de Montrouge, Vanves et Issy, ainsi que les redoutes des HautesBruyères et du Moulin-Saquet. Jusque-là, c'étaient des opérations militaires, que contre-battaient nos forts et quelques batteries des remparts: quoique la population parisienne eût entendu déjà près de 50,000 détonations, elle se résignait à subir les attaques d'un siége. Tout à coup, dans la nuit du 5 au 6 janvier, un bombardement effroyable est venu semer la dévastation et la mort dans l'intérieur de la ville (rive gauche), sur les hôpitaux, les ambulances, les églises, les maisons d'école, les musées et les bibliothèques, monstruosité qu'une proclamation officielle a constatée bientôt, pour que l'Europe et l'histoire eussent à la juger 28.

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....... Une pluie de projectiles, dont quelques-uns pesant 94 kilogrammes, apparaissant pour la première fois dans l'histoire des siézes, a été lancée sur la partie de Paris qui s'étend depuis les Inval des jusqu'au Maséum. Le feu a continué, jour et nuit, sans interruption, avec une telle violence, que, dans la nuit du 8 au 9 janvier, la partie de la ville située entre Saint-Sulpice et l'Odion recevait un o'us par chaque intervalle de deux minutes. Tout a été atteint nos hôpitaux regorgeant de less s, nos ambulances, nos éco'cs, les musées et les bib'iothèques, les prisons, l'église de Saint-Sulpice, celles de la Sorbonne et du V. 1-le-Gráce, un cer ain nombre de maisons particulières. Des femmes ont été tuées dans la rue, d'autres dans leur lit; de: enfants ont été saisis par des boulets dans les bras de leur mère. Une école de la rue de Vaugirard a eu quatre enfants tués et cinq blessés par un seul projec ile. Le musée du Luxembourg, qui contient les chefsd'euvre modernes, et le jardin, où se trouvait une ambulance qu'il a fallu

Ce que voulaient les Allemands, ayant fait confectionner des canons qui lanceraient à dix mille mètres une pluie d'obus, dont les uns pesaient jusqu'à près de 100 kilogr. et produisaient en éclatant des ravages considérables, c'était la réalisation d'une entreprise gigantesque qui prouverait au monde entier qu'ils étaient devenus capables de tout aussi leurs officiers et journaux invitaient-ils les hommes de guerre à assister, comme juges ou curieux, au «grand spectacle militaire du bombardement de Paris », dont le commencement a été annoncé le même jour comme s'étant opéré « par un splendide soleil d'hiver». Pour cela, il a fallu une mise en scène des plus extraordinaires, un bombardement qui atteignît les habitations et monuments les mieux garantis en apparence; et même, pour prouver la supériorité du tir, les bombardeurs ont été jusqu'à faire éclater leurs obus sur des édifices lointains, sur des monuments choisis, dans des lieux servant de dépôt aux richesses nationales et jusque dans des hôpitaux ou écoles, ce qui, dans leur pensée, jetterait la terreur parmi les habitants déjà affamés. Les protestations surgissant de toutes parts, loin d'arrêter ces excès monstrueux, n'ont servi qu'à fournir aux défenseurs de la politique prussienne l'occasion d'essayer une sorte de justification par de mesquines subtilités. Le gouvernement et les faire évacuer à la hâte, ont reçu vingt obus dans l'espace de quelques heures. Les fameuses serres du Muséum, qui n'avaient point de rivales dans le monde, sont détruites. Au Val-de-Grâce, pendant la nuit, deux blessés, dont un garde national, ont été tués dans leur lit. Cet hôpital, reconnaissable à la distance de plusieurs lieues, par son dôme que tout le monde connaît, porte les traces du bombardement dans ses cours, dacs ses salles de malades, dans son église, dont la corniche a été enlevée. Aucun avertissement n'a précédé cette furieuse attaque. Paris s'est trouvé tout à coup transformé en champ de bataille, et nous déclarons avec orgueil que les femmes s'y sont montrées aussi intrépides que les citoyens. Tout le monde a été envahi par la colère, mais personne n'a senti la peur. Tels sont les actes de l'armée prussienne et de son roi, présent au milieu d'elle. Le gouvernement les constate pour la France, pour l'Europe et pour l'histoire. (Journ. off., 10 janv. 1871.)

agents diplomatiques neutres se plaignaient d'abord de ce que le bombardement, allant si loin, n'avait pas été précédé d'une notification préalable, d'autant plus nécessaire ici qu'il fallait laisser aux résidents neutres la possibilité de sortir à temps, et aux habitants, surtout aux malades ou infirmes, celle de se réfugier dans un quartier où ne pourraient parvenir les obus meurtriers. La réponse du diplomate prussien aux agents a été qu'une forteresse n'était pas un lieu convenable, pour des représentants voulant continuer des relations diplomatiques ou des rapports à leur gouvernement; que les résidents neutres auraient pu obtenir permission de sortir à temps, mais ne le pouvaient plus; qu'une notification préalable n'était pas exigée par le droit des gens, qu'elle était d'ailleurs inutile dans la circonstance en ce qu'on devait s'attendre au bombardement. Et une publication, que nous avons le regret de voir parmi les adversaires de la France, trouve cette réponse suffisante, du moins vis-à-vis du gouvernement français. Nous la croyons actuellement jugée pour ce qu'elle vaut.

Quant aux plaintes de la population inévitablement renfermée, la réponse a été que c'était la faute de ceux qui étaient venus demeurer dans une forteresse suceptible de bombardement; et la défense officieuse ajoute que les fortifications de Paris, évidemment, avaient en vue un siége à soutenir et devaient exposer aux périls, dont on se plaignait, les particuliers qui se trouveraient là. Nous répondons: pendant les 30 années écoulées depuis le remplacement de l'ancien mur d'octroi par des remparts reculés, qu'interrompaient de nombreuses voies toujours libres, Paris a été constamment considéré comme une ville ouverte, de fait surtout et à l'inverse des forteresses qui sont fermées même en temps de paix; les étrangers y venaient comme dans une très-grande ville, possédant des ressources immenses avec

des merveilles en tout genre; aux habitants de longue date venaient se joindre incessamment une foule de personnes, pour se fixer ou séjourner dans une ville où se trouvaient soit des parents ou amis, soit des occupations sérieuses ou lucratives; l'accès et la sortie étaient libres, jusqu'au jour où s'est opéré un investissement imprévu; sous aucun rapport, les habitants et les visiteurs ne voyaient là une place de guerre ou forteresse qui dût être bombardée. Sans doute les fortifications avertissaient qu'en cas d'invasion par des ennemis, il pourrait y avoir un siége effectif, avec investissement peut-être, et ceux qui venaient ou restaient dans cette grande ville ont pu ou dû prévoir une telle éventualité, avec ses périls selon les lois de la guerre civilisée. Mais l'expérience des 30 années avertissait-elle qu'en 1871 il y aurait bombardement de la ville elle-même, des habitations et monuments de l'intérieur jusque dans les quartiers éloignés des remparts? Et lorsqu'on a pu craindre tous excès des Allemands ou Prussiens, était-il possible que plus d'un million d'habitants quittassent Paris, pour trouver ailleurs quelque sécurité? On nous dit que l'Allemagne demandait un dénoûment précipité : cela justifierait-il l'excès ? On ose reprocher aux Français des vœux analogues, en disant que le bombardement n'a été qu'un gaspillage de munitions: ce qu'on demandait en France, c'était un siége selon les règles, auquel il y aurait eu de même résistance; c'est autre chose qu'un bombardement à l'intérieur et sans aucun avertissement, qui voulait ajouter la terreur à la famine et qui, outre les tueries, s'attaquait même à des édifices devant toujours être respectés.

14. Au point de vue du droit des gens actuel, ou des principes dont le maintien importe à la civilisation, on ne doit pas considérer seulement les résultats partiels d'une tentative qui, quoique avortée, ressemble à un délit manqué : il

faut voir surtout quel était le but intentionnel et quelle a été l'exécution commencée, pour apprécier l'excès et se demander s'il pourrait encore se reproduire sans flétrissure par les défenseurs des principes acquis. De ce que la terreur qui était le but principal du bombardement n'a pas été produite au degré espéré, il ne suit pas que l'abomination avortée doive échapper à toute réprobation: son inefficacité ne prouve qu'une chose, c'est que la fermeté de la population ainsi menacée s'est trouvée à la hauteur des cruautés habituelles d'un ennemi connu. Et si les engins de destruction lancés sur les édifices intérieurs n'ont tué que quelques centaines d'habitants inoffensifs, parmi lesquels étaient des femmes et des enfants ainsi que des malades ou infirmes, c'est qu'on s'est généralement empressé d'éviter de plus grands malheurs d'une part, en se résignant à prendre gîte dans des caves souterraines ou en fuyant les quartiers trop exposés et en se réfugiant dans ceux où l'administration procurait les logements qu'elle pouvait trouver, d'autre part, en transportant précipitamment les impotents et en interdisant toute réunion dont la vue par le bombardeur lui donnerait une indication pour ses cruautés. Ce qui est surtout à remarquer ici, c'est le résultat que voulait atteindre le directeur du bombardement, et c'est l'objectif ou le but visé par les pointeurs exécutant ses ordres. On ne saurait se laisser tromper par des subterfuges, tels que ceux qui ont été imaginés si souvent et parfois avec une assurance allant jusqu'à l'audace, et spécialement par celui qui consistait à dire, outre le prétexte de nécessité justificative pour le bombardement précipité, que c'étaient des «obus égarés » qui étaient tombés sur les habitations et monuments. On sait assez, quand on a visité des canons fixes et reçu les explications d'un habile pointeur, qu'à l'aide des instruments inhérents à chacun d'eux et d'une sûreté de coup d'œil éprouvée, les projectiles

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