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1. Ennemis vaincus. Leur sort. Progrès de la civilisation. Principes

nouveaux

2. Capture et captivité. Exceptions. Population civile. Aumôniers, médecins, etc.

3. Combattants. Souverain. Personnages politiques. Limite.
4. Traitement des prisonniers. Punition. Représailles.
5. Simples prisonniers de guerre. Soins. Occupations.
6. Prisonniers allemands. Prisonniers français. Libération.
7. Délivrance des captifs. Rachat. Échange entre belligérants.
8. Évasion. Droit naturel. Exceptions. Complot pour fuite.
9. Liberté sur parole. Engagement d'honneur. Conditions.

10. Violation de l'engagement. Accusations allemandes, Questions. 11. Otages. Citations historiques. Droit actuel.

12. Engagement comportant dation d'otages. Libération.

13. Otages choisis par gouvernement, par administrations.

14. Capture d'otages, par Allemands en France.

15. Traitement des otages. Victimes innocentes. Abominations.

I

4. S'il y a des principes irrévocablement acquis dans le droit des gens moderne, c'est surtout en ce qui concerne les prisonniers de guerre. On le doit principalement à la civilisation chrétienne, à ses progrès et développements successifs. Pour les bien apprécier et pour fixer les principes nouveaux, il faut d'abord jeter un coup d'œil rapide sur la marche des idées à cet égard.

Dans l'antiquité, le célèbre législateur de l'Inde fut le seul qui, voulant faire respecter le droit naturel jusque dans la guerre, prescrivit au vainqueur de traiter avec douceur et

humanité les ennemis vaincus1. Les conquérants égyptiens, s'arrogeant droit de vie ou de mort sur eux, leur faisaient subir de cruels traitements, au point de mutiler les uns, d'obliger les autres à traîner le char triomphal et même de les immoler comme des victimes humaines. Les Perses et les Carthaginois imposaient aux vaincus des supplices différents, soit pour satisfaire leurs déréglements, soit dans un but mercantile. Si les Grecs tuaient parfois leurs prisonniers, c'était dans la supposition d'une continuation de la lutte car leur poëte national proclamait que, « selon la loi de la Grèce, la mort du prisonnier est une honte pour celui qui la donne »; et même l'histoire nous révèle des exemples de prisonniers laissés libres sur parole ou sur promesse de payer une rançon, à peine d'être réputés infâmes aux yeux de tous. A Rome, il y eut des progrès successifs, presque toujours intéressés. Dans les premiers temps, toute déclaration de guerre impliquait une sentence contre ceux qui seraient vaincus: Væ victis! Puis, à l'exercice du droit prétendu de vie ou de mort succéda un système de conservation pour appropriation (comme si un homme pouvait devenir une chose susceptible de propriété), au moyen duquel les vaincus, à qui était laissée la vie, étaient réputés servati, puis devenaient esclaves du vainqueur, servi. Enfin, comme le Sénat avait compris l'impossibilité de réduire en esclavage tous les étrangers qui seraient subjugués, il leur accorda, plus ou moins selon les pays et l'intérêt politique, certains droits, qui rattachaient les vaincus à l'empire conquérant .

1 Code de Manou, vi, 91 et suiv.

2 Voy. Études sur l'histoire de l'humanité, par Laurent, t. jer, p. 260 at suiv.; Plutarque, Isid. et Osiril., chap. LXXII.

5 Voy. Herodote, ix; Polybe, 1, 72 et 73.

Heraclydes; Thucydide, 1, 103; iv, 38; v. 3.

5 Voy. Florentinus, Instit, Ix; Tite-Live, vi, 135; xxvi, 49; Machiavel

Ce fut le christianisme, quoiqu'en aient dit des Allemands, qui vint poser les fondements des principes vraiment tutélaires pour les vaincus. Ne pouvant empêcher la guerre, qui dépend de conflits inévitables et des passions humaines, parfois irrésistibles, il parvint du moins à tempérer ses rigueurs, en recommandant la charité envers ceux qui souffrent, en condamnant l'esclavage comme attentatoire aux droits de l'humanité, en essayant même d'introduire dans la guerre les idées de justice avec la raison.

S'il y eut encore au moyen âge des cruautés accidentelles et si les vaincus furent soumis à une rançon, comme équivalent de l'esclavage interdit, ou pour n'être pas passés au fil de l'épée après résistance opiniâtre, au moins fut-il démontré, avec les enseignements des premiers publicistes, que la loi naturelle qui vient de Dieu défend de tuer les vaincus, ayant déposé les armes ou atteints de blessures qui les mettraient hors de combat. Grotius voulait poser un principe scientifique, appuyé sur le sentiment d'humanité par un système ingénieux, dont le tort était de n'être pas vraiment juridique, il assimilait fictivement les vaincus à des personnes coupables ou responsables, et le vainqueur à un juge, recommandait à celui-ci la clémence ou la modération pour éviter que la peine ne tombât sur des innocents; mais il admettait en certains cas des exceptions, que n'approuve pourtant aucunement la véritable justice. Arrivant aux précisions nécessaires, Grotius constatait d'abord les usages successifs, quant au « droit sur les prisonniers », et développait les propositions ainsi résumées dans le sommaire du chapitre spécial «Que tous ceux qui sont pris dans une guerre solennelle deviennent esclaves selon le droit des gens, et leurs

Discours sur Tite-Live, 11, 4. Voy. aussi l'intéressant résumé de ces différents systèmes par M. Pasquale Fiore, Nouveau droit international public, 2o part., chap. v.

descendants. Que quoi que ce soit, est fait contre eux avec impunité. Que les choses appartenant à ceux qui sont pris, même les choses incorporelles, suivent leur maître. Raison pour laquelle cela a été établi. S'il est permis à ceux qui sont pris ainsi de s'enfuir? Et s'il est permis de résister à leur maître? Que ce droit n'a pas toujours été en usage chez toutes les nations. Qu'il n'est pas à présent en usage parmi Jes chrétiens; et qu'a-t-on mis à sa place?» Puis il disait : << Mais les chrétiens sont, en général, tombés d'accord que, la guerre s'élevant entre eux, les prisonniers ne deviendraient point esclaves, de manière à pouvoir être vendus, être contraints à des services et à subir d'autres traitements infligés à des esclaves... C'est avec raison, assurément, parce qu'ils avaient été, ou parce qu'ils devaient être trop bien instruits par Celui qui leur recommande toute charité, pour n'avoir pu être détournés de mettre à mort des hommes infortunés, que par la permission d'user d'une moindre cruauté . »

Les enseignements de Vattel, marchant dans la voie du progrès, étaient plus explicites et posaient des règles d'exécution. On y trouvait la démonstration de cette double vérité que, « dès que votre ennemi est désarmé et rendu, vous n'avez plus aucun droit sur sa vie, à moins qu'il ne vous le donne par quelque attentat nouveau, ou qu'il ne se fût auparavant rendu coupable envers vous d'un crime digne de mort... En toute occasion où je ne puis innocemment ôter la vie à mon prisonnier, je ne suis pas en droit d'en faire un esclave.» Pour justifier le droit de faire prisonniers avec les vaincus leurs femmes et enfants eux-mêmes, ce qui était encore admis alors, il disait : « Mais tous ces ennemis vaincus ou désarmés, que l'humanité oblige d'épargner, toutes ces

6 Grotius, liv. 11, chap. v, et liv. m, chap. vn (éd. de Pradier Fodéré, t. 1, p. 550 et t. 3, p. 115 et suiv.).

personnes qui appartiennent à la nation ennemie, même les femmes et les enfants, on est en droit de les arrêter et faire prisonniers, soit pour les empêcher de reprendre les armes, soit dans la vue d'affaiblir l'ennemi. » A l'égard du traitement personnel, il ajoutait : « On est en droit de s'assurer de ses prisonniers, et pour cet effet, de les enfermer et de les lier même, s'il y a lieu de craindre qu'ils ne se révoltent ou qu'ils ne s'enfuient ; mais rien n'autorise à les traiter durement, à moins qu'ils ne se fussent rendus personnellement coupables envers celui qui les tient en sa puissance. En ce cas, il est le maître de les punir. Hors de là, il doit se souvenir qu'ils sont hommes et malheureux. Un grand cœur ne se sent plus que de la compassion pour un ennemi vaincu et soumis. » Sur la question de savoir ce qu'on doit faire lorsqu'il y a une si grande multitude de prisonniers qu'il soit impossible de les nourrir ou de les garder avec sûreté, Vattel niait qu'on fût en droit de les faire périr et disait : « Aujourd'hui la chose est sans difficulté. On renvoie ces prisonniers sur leur parole, en leur imposant la loi de ne point reprendre les armes jusqu'à un certain temps, ou jusqu'à la fin de la guerre. » Sur les questions d'échange et de rachat des prisonniers, Vattel enseignait que le droit de celui qui fait une guerre juste est de retenir ses prisonniers, ou pour empêcher qu'ils n'aillent rejoindre les ennemis, ou pour tenir de leur souverain une juste satisfaction, ne fût-ce que le prix de leur liberté ; qu'il incombait à celui-ci de délivrer, à ses dépens, ses citoyens et soldats prisonniers de guerre, dès que cela se pouvait, puisque c'était pour son service et sa cause qu'ils étaient tombés dans l'infortune".

ob

Les sages enseignements de Vattel, suivis dans les pays civilisés, ont été reproduits et fortifiés par ceux des publi

7 Vattel, liv. m, ch. vin, §§ 148-151.

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