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niers de guerre que lorsque leur présence dans le camp ennemi constitue un appui pour ce dernier et un danger pour la puissance qui les a capturés... Ces principes seront spécia lement applicables aux employés de l'administration de l'armée ennemie et, parfois aussi, aux correspondants de journaux étrangers (note). » C'est surtout le danger possible, pendant l'occupation d'une portion du territoire ennemi, qui motive la mesure dont parle ailleurs le même publiciste, disant: « On a cependant droit d'arrêter des personnes qui, sans appartenir à l'armée et tout en remplissant des fonctions pacifiques, sont dangereuses pour les troupes d'occupation; ainsi, les journalistes dont les opinions sont hostiles, les chefs de parti pourront être faits prisonniers de guerre au même titre que les officiers de l'armée, parce qu'ils augmentent la somme des forces dont l'ennemi dispose et préparent des difficultés ou des embarras aux autorités militaires (note 2 sur la règle 594). » Toutefois, cette faculté d'arrestation doit être distinguée de la capture des combattants qui les constitue de plein droit prisonniers de guerre, comme de celle qui atteint même les personnes accompagnant un corps d'armée sans en faire partie. Quand elle s'exerce, c'est une action de police quasi-judiciaire, qui nous semble exiger un ordre d'officier compétent, avec exhibition au personnage ainsi

arrêté.

3. C'est surtout aux combattants, vaincus ou désarmés, que s'appliquent le principe établi au n. 1 et les règles qui vont être exposées. D'une part, leur capture ne permet plus de les tuer comme autrefois, ce qui est pour eux une immunité ou prérogative, refusée seulement dans des cas tout à fait exceptionnels et parfois à tort, ainsi que nous l'avons expliqué aux chapitres spéciaux. D'autre part, ils encourent privation de la liberté, à moins d'exception personnelle, selon ce qui va être dit.

Le souverain lui-même, s'il est pris ou forcé de se rendre dans la lutte, peut être fait prisonnier, avec les membres de de sa famille et personnages politiques qui l'accompagnent, sauf égards particuliers à raison du rang. Ce principe, qui reçut autrefois son application dans des circonstances mémorables, n'était pas reconnu seulement au temps où la victoire donnait tous droits: il a été proclamé par des publicistes modernes, et même encore appliqué dans la guerre franco-prussienne. De Martens et Vergé, après avoir dit que les souverains et les princes des familles souveraines ne sont pas soumis aux règles ordinaires, bien qu'ayant pris part à la guerre, ont ajouté: « On évite de faire tirer sur eux, mais on peut les faire prisonniers comme toute autre personne ayant fait partie d'une armée active . » Klüber et aussi Heffter déclarent également que le souverain, avec les membres de sa famille, peut être fait prisonnier de guerre; que s'ils ne sont pas relâchés, ils doivent être traités avec des égards particuliers 11. C'est pourquoi une publication belge, voulant justifier l'Allemagne pour un fait historique récent, s'est moins attachée au droit de capture qu'aux égards accordés, en disant : « Parmi les prisonniers de l'Allemagne se trouve l'Empereur des Français. Plusieurs personnes se sont étonnées qu'on le traitât avec des égards particuliers et ont cru pouvoir recourir, pour expliquer ce fait, à l'hypothèse d'une immixtion de la Prusse dans le gouvernement intérieur de la France. Il est certain qu'une pareille immixtion constituerait une violation flagrante du droit international. Mais, dans la circonstance actuelle, l'immixtion n'existerait que si la Prusse avait pris sur elle de déroger à la règle générale ainsi formulée par Klüber : « Si le souverain ou des membres de sa famille sont faits prisonniers, ils sont ou re

10 De Martens et Ch. Vergé, liv. vIII, chap. IV, § 278.

11 Klüber, § 215; Heffter, § 127-129.

lâchés à l'instant, ou traités comme prisonniers de guerre avec des égards particuliers 12. >>

Les instructions américaines et M. Bluntschli enseignent la même règle, avec ses tempéraments, l'étendent même à certains personnages politiques, en disant : « Le monarque et les membres de la famille régnante ennemie, hommes ou femmes, le chef et les principaux fonctionnaires du gouvernement ennemi, ses agents diplomatiques, et toutes les personnes dont les services sont d'une utilité particulière à l'armée ennemie ou à son gouvernement, sont prisonniers de guerre, s'ils sont pris sur le théâtre de la guerre sans être munis de saufs-conduits délivrés par les chefs des troupes qui les ont capturés (Inst. amér., art. 50). Les souverains et les personnes revêtues d'un caractère diplomatique peuvent être faits prisonniers de guerre, s'ils dépendent de la puissance ennemie ou de ses alliés, ou s'ils ont personnellement pris part aux opérations militaires (Bluntschli, 2, 596). La capture du souverain ennemi ou du ministre des affaires étrangères est souvent un moyen heureux d'obtenir promptement une paix favorable. Il n'existe pas de motif de remettre ces personnes en liberté; comme ce sont elles qui ont amené, ou tout au moins décidé la guerre, il est juste qu'on les en rende responsables et qu'elles en partagent les dangers (note). » Ceci peut être vrai, quoique sévère dans sa généralité. M. Bluntschli ajoute: « Les chefs politiques et les préfets des provinces sont également plus exposés au danger d'être faits prisonniers que les employés administratifs inférieurs, les juges, les conseillers municipaux ou les instituteurs. » Danger de capture pour les chefs politiques, y compris les préfets en certains cas; cela se conçoit, quoique nous admettions difficilement le droit supposé. Mais

12 Rerue de droit international, publiée à Gand, 1870, cah. n° iv.

vis-à-vis des membres de l'ordre judiciaire, tels que les juges à tous degrés, nous nions positivement la faculté de capture, qui serait contraire à une distinction fondamentale du droit des gens moderne. A quel titre et de quel droit l'envahisseur viendrait-il arrêter des juges? Ils sont institués pour rendre la justice avec indépendance et impartialité, sans acception de personnes. L'occupation temporaire par l'ennemi ne doit pas les empêcher de continuer l'exercice de leurs fonctions, qui est nécessaire et d'intérêt général : c'est ce que nous établirons dans un chapitre spécial, en exposant les principes et invoquant un récent arrêt de la Cour suprême auquel nous avons concouru. Si l'ennemi occupant, au lieu de respecter le cours de la justice ainsi que cela s'est fait à Colmar et dans d'autres villes, élève des prétentions qui l'entravent, comme il est arrivé à Nancy et ailleurs, les juges s'abstiennent en déclarant s'arrêter devant l'obstacle de force majeure, ce qui a eu lieu par des décisions que nous citerons également. Que voudrait de plus l'envahisseur? Prétendre que les magistrats du pays doivent rendre la justice au gré de l'ennemi, sous peine d'être faits prisonniers de guerre: ce serait une monstruosité. S'il croit avoir conquis la souveraineté, qu'il change la législation nationale et qu'il institue d'autres juges, pris dans sa magistrature. En aucun cas, il ne peut assujettir les juges du pays, comme l'ont prouvé des refus persévérants, et nous ne voyons pas sur quoi il se fonderait pour les capturer ainsi que les combattants ou des fonctionnaires politiques suspects.

II

4. La captivité des combattants, qui les fait échapper aux périls de la lutte armée en les privant de leur liberté, commence dès l'instant de la reddition ou capture, soit collec

tive par suite de capitulation, soit individuelle, quant à ceux qui se voient obligés de mettre bas les armes pour avoir quartier ou à celui qu'un adversaire est parvenu à désarmer. Les officiers et le souverain lui-même, au cas de capitulation ou reddition collective, peuvent être tenus de rendre leur épée, si l'ennemi n'est pas assez magnanime pour leur éviter cette humiliation; quant aux sous-officiers et soldats, la prudence veut qu'ils soient désarmés généralement, sauf exceptions possibles. Tout combattant vaincu est prisonnier de guerre envers l'État ennemi, qui seul pourra lui faire rendre la liberté, selon les appréciations de ses représentants, et non prisonnier des adversaires auxquels il s'est rendu, lesquels ne peuvent pas plus le laisser libre qu'ils ne pourraient le rançonner pour qu'il recouvrât la liberté. S'il est permis à un combattant, qui désarme son adversaire, de s'approprier ses armes ou sa monture, c'est une faculté exceptionnelle, qui n'a rien de commun avec la part de prise accordée au capteur dans les guerres maritimes: il y a même des pénalités contre le militaire qui, lorsque son adversaire est fait prisonnier, lui enlèverait des objets que celui-ci possède en propre; la peine serait plus sévère encore, s'il le blessait pour commettre plus facilement une telle soustraction.

De ce que des combattants auront donné la mort ou fait des blessures à ceux de leurs ennemis qu'ils avaient pu atteindre, et de ce qu'ils se seront exposés à être tués ou blessés eux-mêmes, il ne suit aucunement que, étant capturés, ils doivent ou puissent être soumis à de mauvais traitements. C'étaient des défenseurs de leur pays, obéissant à des ordres qui les obligeaient, et ce qu'ils faisaient était une nécessité de la guerre selon ses lois. Ces prisonniers ne sauraient, sous aucun rapport, être assimilés à des prévenus ou accusés devant subir une détention préventive, encore moins à des coupables qui doivent être frappés d'une peine, ne fût-ce

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