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jamais avoir pour but de faire souffrir les prisonniers; on veut par là, pour des motifs politiques ou militaires, les empêcher de prendre part à la lutte et obtenir une paix plus prompte et plus honorable. Les officiers qui s'engagent sur parole à ne pas chercher à s'enfuir, reçoivent souvent l'autorisation de se rendre dans une ville de leur choix et même de circuler librement dans les environs du lieu qu'ils ont désigné. La réclusion dans une prison est une mesure extrême; on ne l'appliquera guère que contre les prisonniers qui ont essayé de s'enfuir (note). » Ce qu'on appelle ici réclusion doit encore être distingué d'une véritable détention pour peine, puisque la tentative d'évasion n'est point un délit punissable, ainsi que ce sera expliqué. - «Les prisonniers de guerre seront convenablement nourris, dans la mesure du possible, et traités avec humanité (Instr. amér., art. 76). Chaque Etat est tenu de pourvoir à la nourriture et à l'entretien des prisonniers de guerre, et de leur faire donner les soins que réclame leur santé (Bluntschli, r. 605). Les lois et usages du pays déterminent le genre de nourriture à donner aux prisonniers (note). Lorsque les prisonniers peuvent pourvoir eux-mêmes à leur entretien, l'Etat est déchargé de ce soin (r. 606). Les hommes faits prisonniers ne peuvent, sans forfaire à l'honneur, donner à l'ennemi aucun renseignement sur leur propre armée; les lois modernes de la guerre ne permettent plus qu'on violente les prisonniers pour en obtenir de force les informations dont on a besoin, ou de les punir pour en avoir donné de fausses (Instr. amér., art. 80). Les prisonniers de guerre doivent se soumettre à toutes les mesures de sûreté prises à leur égard par l'Etat auquel ils ont rendu les armes (Bluntschli, r. 607). Ils peuvent réclamer, auprès des autorités supérieures, contre les mesures vexatoires ou inconvenantes prises contre eux et demander des améliorations à leur sort. Mais on ne peut tolérer la résis

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tance de leur part; toute tentative séditieuse doit être réprimée sans retard, afin d'éviter à l'Etat de graves dangers ou un préjudice considérable (note). » — Relativement aux travaux pouvant être obligatoires, les instructions américaines disent dans le 2o alinéa de l'art. 76, qui a parlé de la nourriture due aux prisonniers de guerre: «On pourra les faire travailler au profit du gouvernement des troupes qui les ont capturés, selon leur grade et leur condition. » M. Bluntschli est beaucoup plus explicite et va même trop loin, en disant : « Ils peuvent être astreints à des travaux proportionnés à leur grade et à leur position sociale, mais ils ne peuvent jamais être contraints à prendre les armes contre leur patrie, ou à donner des renseignements qui pourraient compromettre les intérêts de leur gouvernement (r. 608). L'Etat astreint les prisonniers à des travaux honorables et conformes à leur grade, pour se rembourser des dépenses faites pour leur entretien. Ce n'est pas une pénalité, c'est un dédommagement. La bona fides, que les Etats se doivent les uns aux autres, exige que l'on ne réclame des prisonniers rien de déshonorant ou d'indigne; il serait indigne, par exemple, de les conduire au combat contre leur patrie et de les faire servir contre leurs concitoyens et leurs frères d'armes. On peut cependant les employer à construire des fortifications avant la bataille, ces travaux ne constituant pas une participation directe et immédiate aux hostilités (note). » La prohibition exprimée par M. Bluntschli nous paraît conforme aux principes. Quant aux exceptions qu'il admet, en allant au delà de celle que formule l'art. 76 du règlement américain, nous trouvons pour les prisonniers de guerre comme pour les habitants du pays envahi une violation du droit des gens, lorsque le chef d'armée les contraint à travailler aux fortifications préparées par l'ennemi de leur pays contre lui. La « construction de fortifications», quoique ce soit « avant la bataille »>, est en

réalité un travail contre l'ennemi, qui se trouve être la patrie du prisonnier la coopération de celui-ci, si elle avait lieu sans contrainte, serait un secours constitutif de trahison; or un principe du droit des gens lui-même s'oppose à toute provocation aux actes de cette nature. Au moins faudrait-il limiter le travail requis à ceux que le prisonnier sur parole peut faire, quand il est de retour dans son pays, lesquels seront indiqués au no 9.

6. Les règles actuelles sur le traitement des prisonniers de guerre ont été respectivement suivies, sauf quelques écarts, par les Français et les Allemands, dans leur récente guerre où il y a eu des prisonniers en si grand nombre. Quoique les prisonniers allemands fussent peu nombreux relativement, puisque la mauvaise fortune a fait conduire en Allemagne environ 375,000 Français, cependant il y en avait beaucoup en France, la plupart étant blessés et à soigner dans des pays occupés ou non par l'ennemi. Si le diplomate allemand reprochait aux Français de mauvais traitements envers les siens, dans la note du 4 octobre datée de Ferrières, c'était une allégation controuvée, tellement qu'une publication peu favorable aux Français a dit elle-même : « Mais dans sa réponse du 20 octobre qui, tout entière, est empreinte d'un remarquable caractère de sincérité et de vérité, le gouvernement de Tours établit que la bonne foi du chancelier fédéral a été surprise".» Des journaux allemands ont osé dire que leurs compatriotes blessés, loin d'être soignés, étaient soumis aux plus mauvais traitements : c'était une calomnie, qu'a détruite la réponse d'un vénérable prélat, démontrant que tous les soins possibles étaient donnés par toutes les classes de la société, avec un zèle charitable, même extrême, à tous les prisonniers sans distinction et spéciale

13 Revue, publiée à Gand, 1870, no 4. p. 689.

ment aux blessés quoique en pays occupé par l'ennemi (Voy. notre ch. xii, no 12). Un seul écart a paru imputable à la population parisienne, vis-à-vis d'officiers prussiens, qui avaient les premiers torts; il faut savoir la vérité. Parmi les huit cents soldats avec officiers qui avaient été capturés aux environs de Paris, cinq officiers étaient libres sur parole, dans la ville. Quatre d'entre eux, moins prudents que l'autre, sont allés deux fois dîner dans un restaurant fréquenté. La première fois, ils avaient tenu des propos inconvenants, qui circulèrent. La seconde, c'était le 7 décembre, quatre heures après l'enterrement du brave commandant Franchetti, lorsqu'à la douleur se joignaient les appréhensions de la famine. La conduite des quatre officiers, en propos bruyants et gestes significatifs, parut tellement imprudente et légère, qu'on dut leur faire comprendre la nécessité de se retirer avant la fin de leur repas. Cela motiva une lettre du gouverneur au général son chef d'état-major, exprimant sa douleur de ce que quatre officiers prussiens «< ont été l'objet de manifestations malveillantes, dont le caractère pouvait devenir insultant », et ajoutant qu'il allait proposer leur échange; puis, les quatre officiers furent courtoisement reconduits aux avant-postes de l'ennemi, qui ne renvoya que des officiers de l'armée de la Loire, arrêtés avant les événements qu'il voulait cacher, tandis que les premiers allaient dire tout ce qu'ils avaient appris librement. Le défenseur officieux de l'Allemagne, relevant ce grief, suppose des <«< insultes graves, constatées expressément dans la lettre du gouverneur », et s'étonne qu'il ait fallu expliquer à la population de Paris ce que sont des prisonniers sur parole; il va même jusqu'à critiquer les précautions prises par le chef d'étatmajor pour mesure de sûreté. C'est méconnaître l'impru

16 Voy. Journ. off., 9 déc. 1870; Monit. univ., 10 déc.; Revue de droit international, 1871, p. 343, 344 et note.

dence provocatrice, ainsi que la situation extraordinaire d'une ville de deux millions d'habitants, surexcités par toutes sortes de douleurs.

En Allemagne il y avait plus de trois cent mille prisonniers français, parmi lesquels plusieurs milliers d'officiers de grades divers. Comment ont-ils été traités? Les uns et surtout les soldats, revenus en France, se plaignent beaucoup. D'autres, et spécialement les officiers qui avaient quelque aisance, n'ont éprouvé que la douleur de ne pouvoir plus employer leur épée et leur patriotisme à la défense de la France écrasée. L'histoire dira quelles ont été les souffrances et les résignations. Le seul grief que nous puissions ici relever est celui-ci : La politique prussienne, imputant à crime des évasions dont elle exagérait le nombre et méconnaissait le mobile patriotique avec les périls, en a prétexté pour augmenter les précautions rigoureuses, au point de punir comme représailles des officiers demeurés esclaves de la parole qu'on avait exigée d'eux avec quelques subterfuges dont nous parlerons. Parmi les ordres plus que sévères qu'ont publiés des journaux allemands et belges, une défense officieuse cite elle-même, comme exemple du caractère de simple précaution qu'elle trouve dans tous, celui qu'elle réduit à ces termes: «Chaque fois qu'un prisonnier français s'évadera, dix de ses collègues habitant avec lui seront choisis au sort pour être enfermés et étroitement surveillés dans une forteresse, jusqu'à ce que le prisonnier soit ramené. » Voilà une singulière preuve d'humanité, vis-à-vis d'officiers fidèles à leur parole et n'ayant même aucunement facilité l'évasion d'un autre! Ce genre de représailles est de ceux que nous avons dû condamner (Voy. ch. xiv, no 12).

Heureux ceux qui ont pu être régulièrement délivrés par la voie d'échange, trop rarement employée d'abord et qu'a recommandée généralement la convention d'armistice du

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