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fense de Paris, d'importantes opérations militaires, qu'il a dirigées avec bravoure sans le succès espéré. A cette accusation, qui se produisait par l'entremise d'un journal anglais, le général a opposé un démenti avec détails circonstanciés, qui prouvaient qu'il avait satisfait à tout ce qu'exigeait son engagement limité. Sa justification a été trouvée complète, non-seulement par le gouverneur faisant insérer dans le Journal officiel la lettre explicative, mais aussi par les militaires compétents et même sans doute par les autorités allemandes militaires et politiques, puisqu'elles n'ont élevé de réclamations ni pendant la guerre ni lors des conférences suivies d'armistice ". Outre les explications de fait qui nous paraissent destructives de l'imputation, il y aurait même à donner des raisons de droit exclusives du crime de félonie ou forfaiture. L'engagement du général, recevant un saufconduit pour aller de Sedan à Pont-à-Mousson sans escorte, était seulement de s'y rendre et de se mettre à la disposition des autorités allemandes : il a été rempli vis-à-vis d'elles, avec remise du sauf-conduit et offre de se laisser conduire en Allemagne par le train qui devait l'emmener. L'autorité allemande n'ayant pas voulu faire ajouter la voiture nécessaire au train qui allait partir, le général s'est trouvé dans la position ordinaire d'un prisonnier de guerre, qui peut, sans forfaiture, profiter d'une occasion pour s'évader en bravant le péril. C'est ce qu'il a fait en revenant vers Paris, où il pouvait défendre son pays sans manquer à l'honneur.

Une accusation multiple, lancée par la politique prussienne, est reproduite dans une publication étrangère où nous avons la douleur de lire ceci : « Malheureusement un

19 Voy. lettre du général D... au Gouverneur de Paris, 17 oct. 1870; Journ. off. du 18 oct., Monit. univ. et autres journaux du 20 octobre. Discours du général, lors de la cérémonie funèbre pour l'anniversaire de la bataille de Champigny, 2 déc. 1871 (Journaux du 4 décembre).

certain nombre d'officiers français, prisonniers sur parole, ne semblent pas avoir compris les devoirs qui leur incombaient, en échange de la liberté qui leur était laissée. Obéissant soit à un patriotisme mal inspiré, soit à une vague impatience du repos, ils se sont évadés et ont essayé ensuite de satisfaire leur propre conscience à l'aide de raisonnements plus spécieux que solides. Dans sa note du 14 décembre 1870, M. de Bismark nomme jusqu'à trois généraux comme étant dans ce cas. Il n'entre point dans la nature de notre travail d'examiner jusqu'à quel point cette accusation personnelle est fondée, non plus que d'entrer dans les détails d'aucun autre fait de ce genre. Nous n'avons pas davantage à rechercher quels peuvent avoir été les encouragements, directs ou indirects, donnés à cette conduite par le gouvernement français. Tout ce qu'il importe de constater, c'est que la fréquence des évasions a dû naturellement amener le gouvernement allemand à déployer plus de sévérité dans la surveillance de ses prisonniers. Ainsi, ces rapports de confiance et d'estime, naturels à des hommes qui, pour avoir combattu vaillamment dans les camps opposés, ne peuvent ni se mépriser, ni se haïr, ces rapports, fondés sur le sentiment général de l'honneur, ont, sinon cessé, du moins souffert une grave atteinte. Parmi les ordres rigoureux qui en ont été la conséquence, citons celui du général Vogel von Falkenstein en vertu duquel « chaque fois qu'un prisonnier français s'évaderait, dix de ses collègues habitant avec lui seraient choisis au sort pour être enfermés et étroitement surveillés dans une forteresse, jusqu'à ce que le prisonnier soit ramené. Celui-ci sera alors privé de tous les droits et priviléges accordés à l'officier prisonnier 20. » Celui qui a écrit ces lignes, précipitamment sans doute, ne connaît pas les susceptibili

20 Revue de droit international, 1871, 2o cahier, p. 344.

tés de l'honneur militaire en France, aurait dû vérifier avant de lancer des accusations et insinuations aussi blessantes, aurait pu remarquer que les quelques prisonniers évadés n'étaient pas liés par un engagement absolu et n'y ont pas absolument manqué. Outre les nombreuses raisons et considérations justificatives qui existent pour la plupart des officiers ainsi maltraités, on pourrait encore dire que l'accusation du crime capital n'est même pas formelle dans les reproches allemands, puisque l'ordre le plus rigoureux, au lieu de les menacer de la peine de mort qui aurait été alors encourue, parle seulement de droits ou priviléges, qui seraient perdus, ce qui ne saurait vouloir dire que tout officier repris pourrait être impunément tué.

On ose supposer que le Gouvernement français avait «<encouragé » la violation de leurs engagements par les officiers prisonniers sur parole: c'est une odieuse imputation, que l'on a trouvée dans la longue invective du chancelier fédéral contre la France, par lui adressée le 9 janvier 1871 aux représentants de l'Allemagne. Or, quand ce diplomate se permettait une telle imputation, il devait savoir que c'était une calomnie car un démenti se trouvait, « en ce qui concerne les officiers qui ont pris un éngagement quelconque envers la Prusse », dans le décret et la circulaire ministérielle l'ayant inspirée, décret en date à Tours du 10 novembre 1871, publié dans le Times le 30 décembre, et circulaire du 13 novembre, que citait celle du diplomate pour donner crédit au mensonge. C'est ce que démontre une publication anglaise récente, sous le pseudonyme Scrutator.

Des questions neuves se sont présentées relativement aux nombreux militaires français qui s'étaient réfugiés en pays neutre, les uns en Belgique lors de la déplorable capitulation. de Sedan, les autres en Suisse par une retraite regrettable à un autre point de vue. Ainsi que le dit M. Bluntschli pour

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les pays neutres qui sont voisins du théâtre de la guerre, la neutralité permet de protéger les soldats poursuivis, mais non de favoriser une partie belligérante; il faut désarmer les troupes et même au besoin les interner, pour qu'elles ne menacent plus l'adversaire, mais cette mesure de police politique n'en fait pas des prisonniers de guerre (r. 776 et note). A raison du grand nombre, une convention a dû être conclue entre un général suisse et le général Clinchamp, pour le dépôt du matériel de guerre et les conditions quant aux dépenses (1 févr. 1871).-En Belgique, le gouvernement et la Chambre des représentants se sont accordés pour le principe ainsi posé dans le Journal officiel : « Les autorités de la frontière ont pour instructions de ne laisser entrer les militaires étrangers qu'à la condition, s'ils sont officiers, de s'engager par écrit à ne pas quitter la Belgique, et, s'ils sont simples soldats, d'être internés. » Un colonel français, étant élu député à l'Assemblée nationale pendant l'armistice, a obtenu sur parole l'autorisation d'aller siéger à Bordeaux. L'autorisation de retourner en France a aussi été accordée à des blessés, reconnus impropres au service, et même à d'autres dont la convalescence paraissait devoir durer jusqu'à la fin de la guerre; elle a été refusée aux soldats valides qui s'étaient réfugiés d'eux-mêmes en Belgique. Un sousofficier français, qui s'était évadé d'une citadelle allemande et se trouvait arrêté par la gendarmerie belge, a demandé judiciairement contre l'État représenté par le ministre de la guerre sa mise en liberté immédiate. L'exception d'incompétence, repoussée par jugement du tribunal civil (21 janv. 1871), a été accueillie par un arrêt, considérant notamment : « Que l'ordre en exécution duquel l'appelant se trouve retenu dans la citadelle de Gand est une mesure essentiellement militaire par son objet, par l'autorité dont elle émane et par les personnes auxquelles elle s'applique; qu'aux termes des

lois existantes, les autorités civiles sont absolument sans droit pour intervenir dans les dispositions ou opérations militaires » (Arr. de la Cour de Bruxelles, 14 févr. 1871).

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11. Nous avons maintenant à parler des otages. Qu'est-ce? Généralisée, l'expression désigne la garantie spéciale, personnelle ou réelle, comme une sorte de gage ou nantissement, donnée pour l'exécution d'un engagement international, surtout entre ennemis faisant une convention. Cela pourrait n'être qu'une chose ou plusieurs, puisqu'on sait qu'il a été donné en gage entre souverains des joyaux précieux, alors appelés otages. Ce pourrait aussi être une ville ou un pays, ce qui s'est vu, sauf la question de droit public dérivant de la constitution nationale. Mais la qualification d'otage s'applique surtout à des personnes, engagées elles-mêmes pour leur pays envers l'étranger ou l'ennemi. L'expression française, suivant les étymologistes, vient du mauvais latin hospitagium, qu'on avait fait dériver d'hospes, parce que la personne constituée otage devait être traitée avec les égards qu'exige l'hospitalité. La pratique des otages paraît remonter même jusqu'aux Grecs, tellement qu'ils inventèrent un mot spécial pour désigner l'appréhension d'otages qu'ils croyaient permise à la force et dont nous parlerons (n° 14). Suivant Plutarque et Tacite, les Romains et les Germains donnaient souvent en otage quelques-uns des leurs, parfois même des femmes et des enfants 21. Grotius disait : « Les otages et les gages sont des accessoires des traités. Les otages se donnent ou de leur bon gré ou par l'ordre de celui qui a la souveraineté ".... » On lit dans Vattel: «Une précaution de sû

21 Plutarque, de Clar. mulier.; Tacite, Annal., lib. x11 et Hist., lib. iv. 22 Grotius, liv. II, chap. xx, § 52.

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