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puits, couper les ponts, incendier les moissons approchant de la maturité. L'État indemnisera les citoyens après la retraite de l'ennemi.» (Fév. et mars 1813.)

La France aussi a usé d'un tel droit, lors des invasions qu'elle a subies, d'abord en 1814 et en 1815, puis en 1870 avec beaucoup plus de désastres. Les premières donnant lieu surtout à des batailles rangées ou à des combats en règle, s'il y eut des dégâts et dévastations, ce fut principalement dans les terres productives qui devenaient des points d'attaque ou des champs de bataille, et quelquefois autour des places de guerre assiégées. La dernière étant arrivée comme une avalanche, par suite d'événements militaires et politiques aussi extraordinaires qu'imprévus, les défenseurs du pays ont dû agir précipitamment en différents lieux, ce qui a causé beaucoup de dégâts et même de destructions sans réflexion suffisante. Aux environs de Paris notamment, dans l'impossibilité de distinguer sûrement alors de ce qui serait réellement utile des destructions encore plus dommageables d'après le résultat, les officiers du génie militaire ou d'autres ont fait sauter de nombreux ponts, dont quelquesuns étaient des œuvres d'art : l'envahisseur, qui avait luimême projeté de faire le vide autour de la capitale, a eu pour les ponts de passage des moyens de remplacement, qu'il a utilisés et ensuite fait disparaître; c'est encore le pays qui souffre de ces destructions au moins partielles, difficilement réparables. Tout autour des fortifications, de nombreuses démolitions et d'innombrables coupes d'arbres ont eu lieu par ordre, sans utilité certaine pour toutes : ce sont aussi des pertes, devenues inutiles ou sans compensation en définitive. Ailleurs, des autorités locales ou des défenseurs volontaires, croyant pouvoir entraver au moins les incursions des coureurs de l'ennemi, avaient surtout abattu des arbres et ouvert sur les routes quelques tranchées : de là

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pour l'envahisseur le motif ou prétexte de réquisitions et violences, qui ont fait beaucoup de victimes, outre les dégâts et les dévastations par l'ennemi lui-même. A cet égard, nous le reconnaissons, la défense aussi a commis des fautes, dont souffre le pays et qu'il faudra réparer. Heureusement, des ordres contraires ont été quelquefois donnés à temps par l'autorité militaire supérieure, plus éclairée : il en a été ainsi, par exemple, lorsqu'un revers extraordinaire, dont la cause principale était un malentendu, obligea une brave armée à se retirer dans un pays voisin, avant les destructions qui avaient été recommandées par un ordre qu'annula le supérieur.

8. Les droits de souveraineté et ceux de la propriété privée se trouvant en conflit, à raison des dévastations que souffrirait celle-ci par le fait de l'autorité militaire du pays, quels sont le principe dominant et le devoir corrélatif, indépendamment même des questions d'indemnité qui seront examinées plus loin? En tout pays où le droit de guerre est reconnu au souverain, monarque ou peuple représenté par ses élus, il faut bien admettre que ce droit considérable comporte celui de sacrifier au besoin pour la défense du territoire certaines propriétés, bâties ou non, appartenant à des nationaux ou à des étrangers, lesquelles se trouvent ainsi frappées par avance d'une servitude d'intérêt général, actuellement ou au moins éventuellement. Ce principe a été enseigné par d'anciens auteurs, qui allaient jusqu'à dire que le souverain, ayant seul le droit de faire la guerre, était par cela même investi d'un pouvoir absolu quant aux propriétés, utiles ou nuisibles à l'attaque ou à la défense. Toutefois, comme il s'agit ici des rapports entre l'État ou la nation et les ressortissants ou propriétaires territoriaux, leurs règles doivent être fixées surtout par le droit public ou administratif de la nation, lequel peut différer plus ou moins selon les

pays et les temps. En France, spécialement, il existe à cet égard un très-grand nombre de dispositions législatives et réglementaires, les unes déjà fort anciennes, les dernières étant récentes et fréquemment appliquées; nous en indiquons d'abord les dates, pour abréger le résumé succinct des dispositions principales, qui doit trouver place ici: Ordonnance du 9 décembre 1713; ordonnance du 31 décembre 1776; loi des 8-10 juillet 1791 et décret impérial du 9 décembre 1811; loi du 24 décembre 1791; 'loi du 17 juillet 1819; loi spéciale pour les fortifications de Paris, du 3 avril 1841; loi du 10 juillet 1851; loi et décret réglementaire, du

10 août 1853.

Lorsqu'il s'agit, en temps de paix ou avant que la guerre menace un territoire, de le fortifier en l'érigeant en place de guerre ou en l'entourant de fortifications quelconques, les propriétés voisines qui paraissent devoir être sacrifiées ou au moins frappées d'une servitude militaire, telle que l'interdiction de certaines constructions ou exploitations, peuvent être ainsi atteintes, sous conditions avec formes pour garantie, en vertu d'un pouvoir suprême spécial, qu'on appelle parfois « domaine éminent pour l'utilité publique ». Quand des propriétés conservées ont été de la sorte grevées d'une servitude militaire, générale ou limitée, les nécessités dérivant de la guerre imminente ou engagée donnent au gouvernement ou à l'autorité militaire compétente un pouvoir actuel, allant au besoin jusqu'à leur destruction ou transformation. Ce pouvoir est même absolu, sans contradiction ni réclamation possibles, pour la démolition et le rasement des constructions qui auraient été édifiées, soit avec une simple autorisation de tolérance et conditionnelle, soit illégalement et par l'effet d'une contravention comportant même une peine personnelle. La règle de droit public et administratif, à cet égard, se trouve dans l'ordonnance de

1776 et dans la loi de 1791, rappelées ainsi par le décret réglementaire de 1853 : « Police des constructions et autres travaux, civils ou particuliers, art. 73. Lorsqu'en vertu de l'art. 28, tit. 5, de l'ordonnance de 1776, de l'art. 30, tit. 1er, de la loi des 8-10 juillet 1791, et de notre décret du 9 décembre 1811, notre ministre de la guerre aura ordonné la démolition des constructions, le comblement des fouilles, ou l'enlèvement des dépôts faits dans le rayon d'attaque, au préjudice de la défense et en contravention aux lois, le commandant d'armes prendra sur-le-champ les mesures nécessaires pour l'exécution dedits ordres, et la protégera par tous les moyens qui sont en son pouvoir. »

Relativement aux propriétés qui n'avaient pas été grevées de servitude militaire, il faut recourir à un autre principe pour qu'elles soient licitement sacrifiées: c'est celui de la nécessité actuelle pour la défense du territoire, nécessité certaine là où les défenseurs du pays se trouvent menacés par l'ennemi, mais pouvant aussi paraître exister dès qu'il ya état de siége dans les conditions que nous indiquerons (ch. xv et xvi). Alors surgit un pouvoir accidentel, dérivant de la lutte ou du danger imminent, pouvoir dont l'exercice est réputé fait de guerre ou défense nécessaire. Il n'a eu besoin d'être prévu dans les lois du pays qu'à raison de la question d'indemnité, faisant doute malgré les expressions suivantes du décret de 1853: « tit. vi. Dépossessions, démolitions et indemnités, art. 39. Toute occupation, toute privation de jouissance, toute démolition, destruction et autre dommage résultant d'un fait de guerre ou d'une mesure de défense prise, soit par l'autorité militaire pendant l'état de siége, soit par un corps d'armée ou un détachement en face de l'ennemi, n'ouvre aucun droit à indemnité. » Ce pouvoir avait été reconnu par les publicistes eux-mêmes, tellement que Vattel en argumentait pour établir celui de l'ennemi en

vahisseur, mais en y mettant la condition de nécessité et en recommandant la modération. Il est au moins virtuellement consacré par la législation française; il se trouve même reconnu dans les lois de circonstance qui accordent un dédommagement partiel, ainsi qu'on le verra bientôt (§ vi, n° 14-16).

IV

9. A part l'immunité du belligérant, lorsqu'il y a droit, et le cas d'ordre légal de l'autorité, qui est justificatif, la dévastation d'une propriété publique et la destruction d'un édifice d'autrui sont de graves infractions, plus ou moins punissables selon la nature ou destination de l'objet et les circonstances du fait dommageable. Dans chaque pays civilisé, la loi pénale a des dispositions contre de tels crimes, qui ne dégénèrent en simples délits qu'à raison d'atténuations accidentelles. Le Code pénal prussien de 1851 punit de la maison de force pendant dix ans au moins le fait d'avoir détruit, ou rendu impropres au service, des ouvrages fortifiés, vaisseaux de guerre, caisses publiques, arsenaux, magasins ou dépôts d'armes, de munitions ou d'autres objets nécessaires à la guerre (§ 69). S'il ne prononce que des peines correctionnelles pour la dégradation ou destruction de certaines propriétés d'autrui (§§ 281-283), la peine est celle de la maison de force lorsqu'il y a eu dévastation ou destruction par plusieurs individus réunis en bande (§ 284), et même celle de mort, au cas de mort d'homme, pour l'incendie volontaire de bâtiments, bateaux ou cabanes servant d'habitation, d'édifice destiné au culte, de voiture d'un chemin de fer, de mine ou d'enclos servant temporairement de séjour aux personnes (§ 285).

Dans le Code pénal français se trouvent des dispositions diverses qui ne laissent impunie aucune destruction volon

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