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telle exception se trouvait bien dans l'art. 2 de la loi française du 25 mai 1793, fixant les conditions pour l'échange des prisonniers de guerre. Mais c'était pour un cas spécial, d'une extrême gravité : cela n'a pas empêché plus tard l'échange contre des officiers supérieurs français, alors prisonniers de guerre, d'une princesse qui avait été retenue au Temple sans autre titre possible que celui d'otage". Et lorsqu'a été conclue la convention franco-prussienne du 28 janvier 1871, qualifiée d'armistice général en ce que son but spécial était de faire élire une Assemblée nationale qui déciderait s'il fallait continuer la guerre ou accepter les préliminaires de paix, on y a dit qu'il serait procédé immédiatement à l'échange des prisonniers de guerre, y compris ceux de condition bourgeoise, ce qui se rapportait notamment aux otages.

13. Le droit public, dans un pays civilisé, permet-il encore aujourd'hui au gouvernement, ou aux autorités locales, de choisir des habitants comme otages et de les livrer à l'ennemi, pour la garantie d'un engagement collectif? C'était au temps et dans les pays où le souverain était un maître, et où les sujets n'avaient que des droits imparfaits, qu'existait l'usage supposé licite dont ont parlé Grotius et Vattel, disant & Les otages se donnent ou de bon gré ou par l'ordre

27 C'était en 1795. D'une part, la Convention en 1793 avait ordonné de retenir au Temple, désormais comme prisonnière ou otage, la jeune fille de l'infortuné roi Louis XVI, devenue depuis duchesse d'Angoulême. D'autre part, le général Beurnonville ayant été envoyé par elle avec quatre commissaires pour faire arrêter le général Dumourier, celui-ci le fit arrêter lui-même avec ses collègues, et ils furent conduits dans les prisons d'Olmutz. Aucun de ces personnages n'était, à vrai dire, un prisonnier de guerre pris en combattant contre l'ennemi; et s'ils pouvaient être considérés comme otages, c'est que par une dérision impie on donne cette dénomination à toutes les victimes d'une mesure odieuse qui ne saurait être justifiée à aucun titre. Quoi qu'il en soit, la mise en liberté réciproque a pu être appelée échange, à raison de la condition stipulée et parce que celte convention est des plus favorables,

de celui qui a la souveraineté; car le pouvoir souverain dans le gouvernement civil a droit aussi bien sur les actions des sujets que sur leurs biens. Mais l'Etat, ou celui qui le gouverne, sera tenu de dédommager l'otage, ou ses proches, du dommage qu'il souffre; que s'ils sont plusieurs, et qu'il soit indifférent à l'État lequel d'entre eux aille en otage, il semble qu'on doive faire en sorte que la chose soit résolue par le sort". Le souverain peut disposer de ses sujets pour le service de l'État; il peut donc aussi les donner en otage, et celui qui est nommé doit obéir, comme en toute autre occasion où il est commandé pour le service de la patrie. Mais comme les charges doivent être supportées avec égalité par les citoyens, l'otage doit être défrayé et indemnisé aux dépens du public. Le sujet seul peut être donné en otage malgré lui. Le vassal n'est point dans ce cas ". » Cette doctrine, antipathique au droit public moderne, a été vivement combattue, même pour le cas où ce serait une ville qui serait donnée en otage, par Pinheiro Ferreira, dont les principales raisons ont été celles-ci : « Voilà les habitants des villes ou pays engagés, et les citoyens donnés en otage, traités non pas comme des personnes, mais comme des choses, selon le bon plaisir de leur gouvernement!... Comment la haute raison de Vattel ne s'est-elle pas aperçue de cette absurdité? Comment son cœur, ouvert à tous les bons sentiments, ne s'est-il pas révolté à la seule idée d'un tel ravalement de l'espèce humaine? Mais, dit-on, c'est un sacrifice que le bien général exige de chaque citoyen; il faut s'y soumettre. Non, ce n'est pas là l'esprit du pacte social; nul homme, à moins d'être aliéné, ne se serait mis en société avec d'autres hommes pour être immolé à leur avantage, pas même au grẻ du sort.... Aucun homme, et par identité de raison,

28 Grotius, liv. 1, chap. xx, § 411.

29 Vattel, liv. 11, ch. xvi, § 252.

aucun peuple n'a le droit d'exiger d'un autre homme qu'il se livre à l'ennemi comme bouc émissaire, pour apaiser ou pour arrêter sa colère"..... » C'est aussi avec raison que M. Pasq. Fiore, après avoir dit que l'usage des otages en temps de paix n'est plus admissible, et présupposant sans doute le cas de guerre, ajoute: « Nous ne sommes nullement d'accord avec Vattel touchant ce prétendu droit du souverain de donner en otages ses sujets, parce que nous n'accordons pas au souverain le droit de disposer de la personne de ses sujets. Il doit garantir à chacun l'exercice de leurs droits et il ne peut pas condamner des personnes à devenir esclaves d'un roi étranger. » Aussi trouve-t-on aujourd'hui que les développements de Vattel, sur ce sujet, ne sont plus d'accord avec le droit public. Nous ne croyons même pas que l'ancien droit prétendu des souverains ait été dans la pensée, soit de Wheaton, lorsqu'il admettait comme existant encore l'usage de donner et recevoir des otages, soit du rédacteur des instructions américaines et de M. Bluntschli, quoiqu'ils semblent admettre celui de prendre des otages de force, ce qui fera l'objet du numéro suivant.-Ajoutons une réflexion. La question actuelle ne s'élevant que pour des conventions militaires ou autrement faites en temps de guerre, les non-combattants qui ne sont pas des ennemis doivent être réputés citoyens inoffensifs et demeurer étrangers à toutes hostilités. Comment donc serait-il permis de forcer quelques-uns d'entre eux à devenir otages, pour garantir l'exécution d'une convention militaire, ou d'un autre pacte concernant la guerre engagée?

Les administrations locales, dans le cas d'invasion de leur territoire, sont parfois soumises à des réquisitions ou ser

30 Pinheiro Ferreira, note sur le § 245 de Vattel.

31 Pasquale Fiore, 1 partie, chap. vII, 2 vol. de l'éd. de Pradier Fodéré,

p. 36.

vices plus ou moins obligatoires, dont elles ne peuvent que promettre l'exécution prochaine. S'il faut donner des otages provisoires, pour la garantie de cette exécution, à qui incombera la charge, et pourra-t-elle être imposée par l'adminis tration à ceux des habitants qu'il lui conviendra de désigner? La question agitée sur les droits du souverain paraît à peu près la même quant aux droits des administrations déléguées, pour le cas où des otages sont exigés par l'ennemi. Suivant l'ancien usage, constaté par les historiens et notamment par l'éminent homme d'État auquel rendait justice un discours du Trône, l'appelant l'historien national, « les administrations centrales devaient désigner les individus choisis pour otages». Dans l'état du droit public et administratif, en France et dans les pays constitutionnels, on ne saurait plus admettre un pouvoir de désignation qui serait absolu et obligatoire. Ce qui vaut mieux, c'est le dévouement patriotique et intelligent des administrateurs eux-mêmes ainsi que des autres notables, comprenant qu'il s'agit de faire échapper leur pays à des rigueurs extrêmes, et se concertant pour le sacrifice temporaire qu'exige la guerre portée jusque chez eux. Il y en a eu plusieurs exemples lors de l'invasion des Allemands en France; nous citons le plus remarquable, d'après un placard affiché par les soins de la municipalité de Saint-Quentin, ville non fortifiée, qui disait : « Les alternatives de la guerre ont ramené une fois de plus l'ennemi dans notre ville. Le sang a coulé hier dans nos rues, plusieurs de nos concitoyens sont tombés victimes innocentes. Aujourd'hui, la commission municipale a reçu du commandant des troupes allemandes la lettre suivante :..... Au cas où la commission municipale ne paraîtrait pas à l'heure indiquée, le bombardement de la ville commencera à onze heures et demie..... La commission municipale n'a pas hésité à se rendre à cette sommation; et, pour préserver la ville des

malheurs qui la menaçaient et de l'entrée de l'ennemi, elle a laissé dans ses mains deux de ses membres comme otages. >>

Comparez.

14. L'ennemi peut-il prendre lui-même, et de force, des otages? Si ce fut admis chez les Grecs, qui avaient un mot pour la prise d'hommes autrement que dans le combat, c'était un de leurs moyens perfides, justement décriés depuis longtemps. Les Romains faisaient prisonniers tous ennemis capturés, sans distinction ni exception : leurs otages étaient ceux qui se livraient eux-mêmes, ou qui leur étaient donnés par l'ennemi comme garantie pour l'exécution d'un pacte. Dans les œuvres de Grotius et de Vattel, on voit bien des otages livrés contre leur gré; mais c'était par la volonté de leur souverain, il n'est pas question de citoyens ou sujets enlevés par l'ennemi comme otages. L'idée du prétendu droit de l'ennemi n'a pu naître que de la distinction, établie par les lois de la guerre civilisée, entre les combattants pouvant être faits prisonniers et les habitants inoffensifs, exempts d'hostilités et qu'on voudrait néanmoins rendre garants pour quelque obligation. Elle a pris place parmi ces propositions de Martens, dont la définition sur la guerre admettait des violences indéterminées : « Pour mieux s'assurer de l'observation des conventions militaires, ou de l'accomplissement d'autres points prescrits par les lois de la guerre, on se fait souvent donner des otages, ou on les enlève de force (§ 296). Quoiqu'on ne puisse former la liste des cas où il est permis de prendre des otages, on peut observer que cela a lieu surtout pour garantir: 1° la sûreté de ceux qu'on envoie pour traiter de capitulation; 2o l'observation des capitulations et autres conventions militaires; 3° le paiement des contributions dictées; 4° le traitement humain de ceux que sur le départ on laisse chez l'ennemi; 5° le renvoi des otages pris de

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