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force par l'ennemi; 6o comme aussi, enfin, pour user de représailles (note b). » Nous ne trouvons pas un droit si extraordinaire dans les instructions américaines, qui donnent cette définition : « Un otage est une personne acceptée à titre de garant de l'exécution d'un engagement conclu entre les belligérants pendant la guerre ou en suite d'une guerre (art. 54). » A la vérité, les États-Unis élevèrent la prétention de retenir des Européens en otage jusqu'à l'exécution de certaines obligations; mais, comme le dit M. Pradier Fodéré dans ses notes sur Pasq. Fiore, « cette prétention n'a pas eu de suite, elle est tombée devant l'indignation des Etats européens. » Si M. Bluntschli, dans sa règle 500, comprend parmi les représailles autorisées « l'arrestation, à titre d'otages, des personnes qui représentent l'état étranger ou en sont ressortissants, » c'est qu'il s'agit de rendre la pareille, « pour faire comprendre à une autre puissance l'iniquité de sa conduite, en lui faisant subir un dommage dont elle soit forcée de reconnaître l'injustice, afin de l'engager à revenir sur sa conduite et à donner satisfaction à l'Etat lésé (note). » Dans sa règle 600, où il n'établit aucunement le droit de prendre par force des otages hors le cas de représailles, il le présuppose seulement en disant qu'il faut traiter de la même façon que les prisonniers de guerre « les otages remis par le gouvernement ennemi ou par la population ennemie, et les personnes dont les autorités militaires se sont emparées à titre d'otages. « C'est en note que le publiciste allemand dit, comme constatation de faits accidentels: « Un gouvernement donne parfois des otages pendant la guerre, lorsqu'il s'est engagé à faire telle ou telle chose; à payer par exemple une contribution de guerre, à rendre une place, etc. Il en prend aussi parfois, par exemple, pour avoir une garantie du maintien de l'ordre dans une ville ou contrée conquise. On prend, de préférence, pour otages des per

sonnes influentes, afin de profiter de l'ascendant de ces personnes sur la population et de la considération dont elles jouissent dans le pays. »

Au nom des principes éternels, du droit naturel et de la justice, nous protestons contre le système de prise d'otages, qui n'est qu'un abus monstrueux de la force, quels que soient ceux qui osent le pratiquer. C'est un crime contre la société, un attentat à la liberté individuelle, qui ne saurait être autorisé par aucune loi ni justifié même par la raison d'Etat ou par le droit de la guerre. L'animadversion publique dans le monde entier a voué à une éternelle exécration ces montagnards de la Grèce, brigands italiens ou trabucaires, qui enlevaient des personnes aisées, par vengeance ou pour se faire donner une rançon; leurs violences sont punies avec une extrême sévérité, dans tous pays civilisés. D'accord aussi avec l'opinion reine du monde, le droit public de presque toutes les nations proscrit les arrestations illégales ou arbitraires, quoique ordonnées par des dépositaires du pouvoir, y eût-il une raison politique d'intérêt général. C'est en France un principe fondamental, proclamé dans la loi du 16 mars 1790 et dans toutes les constitutions successives, avec la sanction de peines sévères dans la législation pénale. Comment cela serait-il permis à un ennemi, vis-à-vis d'habitants inoffensifs, qui sont étrangers à la guerre et doivent être d'après le droit des gens actuel exempts de toutes hostilités ? Pour eux aussi il y a dans les lois de la guerre un principe certain, que M. Bluntschli lui-même proclame dans son introduction en disant : « Le droit international rejette complétement le droit de disposer arbitrairement du sort des simples particuliers et n'autorise contre eux ni mauvais traitements ni violences. La sûreté personnelle, l'honneur, la liberté sont des droits privés auxquels la guerre ne permet pas de toucher (p. 33). » Quand la guerre éclate, les ressortissants de la na

tion ennemie ne peuvent plus même être retenus; le droit de représailles autorise seulement à les expulser, avec fixation d'un délai. Dans le cas d'invasion du territoire, les combattants seuls étant ennemis et pouvant être faits prisonniers de guerre, l'occupant ne saurait avoir droit, vis-à-vis d'habitants paisibles, de les arrêter et transplanter, sous prétexte de garantie pour quelque engagement de l'Etat auquel seul il fait la guerre. Prétendre à un droit aussi exorbitant, c'est renverser et détruire la distinction fondamentale, érigée en principe par les progrès de la civilisation et qui est devenue la règle usuelle dans la guerre civilisée. Le mettre en pratique, c'est provoquer la victime à une résistance qui serait légitime, c'est ainsi engager la guerre contre les particuliers eux-mêmes. Que si l'ennemi pouvait abusivement prendre des otages forcés dans la portion de territoire qu'il occupe momentanément, l'adversaire aussi pourrait le faire ailleurs par représailles; il n'y aurait plus de sécurité nulle part, pour aucun habitant ou résident paisible.

Ce sont les Prussiens, en France, qui ont voulu pratiquer la capture d'otages (Voy. notre chap. xi, no 14). Ici, en faisant des réquisitions excessives même en espèces, ils menaçaient d'enlever des habitants comme otages, s'il n'y avait pas paiement avant telle heure. Là, les maires et habitants n'ayant pu réunir assez vite ou complétement la somme considérable qui était requise, ils transplantaient les maires ou d'autres notables, sous prétexte de garantie ou pour contrainte. Ailleurs, quoique leurs blessés fussent soignés avec tout le zèle que peut inspirer la charité chrétienne, ils capturaient en s'éloignant un notable ou plusieurs, comme si c'eût été nécessaire pour assurer la continuation des bons soins. L'abus de la force a été jusqu'à prétexter d'une infraction qui n'existait pas, d'un fait de guerre maritime qui était licite, pour enlever un nombre considérable de notables

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des villes de Dijon, de Vesoul et de Gray, parmi lesquels étaient un membre de l'Institut, des conseillers généraux, des avocats et des banquiers, qui protestaient en disant : « Comment peut-on admettre qu'on rende responsables d'un fait de guerre des citoyens paisibles, dont quelques-uns sont d'un âge avancé; qu'on les arrache violemment à leurs familles et à leurs affaires; qu'on les envoie en exil dans un pays lointain, sous un rude climat et dans la plus rigoureuse des saisons, et cela pour un acte qui leur est complétement étranger?» Ce n'est pas tout encore. Quoique la paix soit conclue depuis plus de six mois et que l'occupation de plu-. sieurs départements français n'ait plus lieu que pour la garantie d'engagements pécuniaires, voilà qu'il nous arrive de Berlin (au moment du tirage de cette feuille), la menace officielle d'un nouvel enlèvement d'otages français bis. Ce serait à l'occasion de faits judiciaires et à l'appui de déclarations d'état de siége que nous expliquerons au chapitre « de l'occupation temporaire. » Le chancelier fédéral ose dire, dans une dépêche publiée, en se récriant contre des « décisions de jurés » et en attaquant les « fonctionnaires qui ont pris part à ces décisions » (c'est son interprétation), que «le sentiment du droit est en France complétement éteint, même dans les cercles où l'on cherche de préférence les amis de l'ordre politique et de la justice garantie. » Puis il suppose que, des crimes venant à être commis contre des Prussiens dans les départements occupés par eux, les coupables fuiraient et l'extradition serait refusée à l'Allemagne, parce qu'elle surexciterait l'opinion publique. Alors il ajoute : « nous serions contraints d'arrêter et d'emmener des otages français, et même, dans les cas d'extrême nécessité, de recourir à des mesures plus efficaces... » (Dépêche du 7 dé

31 bis, Voy. Monit, univ., 23 déc. 1871; Journ. des Débats, 24 déc.

cemb. 1871)..... On croirait rêver, en voyant celui qui a si souvent pratiqué en France sa maxime « la force prime le droit,» accuser les Français les plus instruits d'avoir perdu tout sentiment de droit et de justice; et pour preuve de sa supériorité dans la connaissance des vérités éternelles que nous invoquons contre ses pratiques iniques, vouloir capturer des otages français, c'est-à-dire les personnages les plus considérables des départements français où ses troupes n'ont pour elles que la force! C'est encore une de ces ruses audacieuses dont il y a déjà tant d'exemples.

15. Quant au traitement des otages dans le lieu de leur sorte de détention, les usages ont varié presque autant que le système. A Rome, les otages, livrés d'eux-mêmes ou par leur gouvernement, étaient traités comme des hôtes, ainsi que l'indique l'étymologie du mot, ce qui toutefois n'empêchait pas d'assimiler trop souvent à un ennemi, hostis, l'otage devant être hospes. Chez les Germains et même pendant longtemps en France, ce n'étaient pas à proprement parler des prisonniers de guerre; aussi les pairs d'Angleterre qui devinrent otages d'après le traité de 1784, furent-ils admis à la cour presque au même titre que des envoyés diplomatiques. Grotius et Vattel établissaient de nombreuses distinctions, selon la qualité des personnes, leur conduite et les suites jusqu'à libération : elles ne s'accordent guère avec les principes actuels. De Martens, ayant établi la faculté de prendre et transplanter des otages, comme le droit d'en accepter et recevoir, disait : « Il est permis de reprendre de force sur l'ennemi les otages qu'il avait enlevés de force; il est plus douteux si l'on a le même droit à l'égard de ceux qu'on a consenti à lui remettre. Il n'est pas contraire au droit des gens qu'un otage forcé prenne la fuite; mais il s'expose à être puni comme transfuge, s'il est rattrapé. Lorsque le but pour lequel on a pris des otages est accompli,

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