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fortifier la défense, ce que ne saurait permettre l'armistice sans créer un avantage pour l'un au détriment de l'autre. Les vivres sont des objets de consommation journalière, indispensables aux habitants inoffensifs de la cité, comme aux troupes de la place. Si les approvisionnements actuels, qui se consommeront pendant l'armistice, n'étaient pas remplacés par un ravitaillement proportionnel, l'armistice aurait pour résultat inévitable d'enlever aux personnes bloquées leurs moyens d'existence, absolument nécessaires à la défense, peut-être même d'amener la famine et de rendre ainsi forcée la reddition: or, tel ne saurait être le consentement à un armistice, ce serait même contraire au principe fondamental de cette convention temporaire, suivant lequel, à l'expiration de l'armistice, chacun des belligérants devra se trouver au même état que lors de sa conclusion. Donc on doit admettre qu'il y aura ravitaillement proportionnel à la durée de l'armistice, c'est-à-dire à la consommation intermédiaire pour la subsistance de tous individus enfermés. Sans doute la condition n'est pas de style, puisqu'il peut y avoir des cas exceptionnels, et elle n'est pas toujours sous-entendue, parce que son exécution doit être réglée. Mais ce n'en est pas moins une condition usuelle, d'après de nombreux précédents, ce qui ne laisse à fixer que les quantités et moyens.

Lors de l'armistice conclu en 1774 entre la Turquie et la Russie, qui bloquait deux ports de la mer Noire, il fut stipulé que la Porte n'y enverrait aucunes munitions, mais qu'elle pourrait y envoyer des vivres pour les garnisons et les habitants, par des bâtiments qui se retireraient dans des ports désignés. Dans la convention d'armistice conclue le 24 avril 1797 entre le général autrichien Werneck et le général français Hoche, qui avait isolé de l'armée autrichienne les places de Mayence et d'Ehrembreistein, il fut dit que ces places « seront ravitaillées pour autant de jours que l'ar

mistice aura duré, de huit jours en huit jours ». Un armistice étant conclu le 15 juillet 1800 entre un des officiers de Moreau et les Impériaux, dont trois places se trouvaient isolées, il fut convenu qu'il ne serait rien ajouté à leurs moyens de défense, mais que «les approvisionnements seraient renouvelés tous les dix jours et dans la proportion de la consommation réglée». L'armistice du 16 janvier 1811 disait : « La forteresse de Mantoue restera bloquée par les Français, qui se tiendront à 800 toises de l'esplanade. Il sera permis d'y envoyer des vivres pour la garnison, de dix jours en dix jours; ils seront fixés à quinze mille rations de farine, quinze cents de fourrage et les autres denrées à proportion. Les habitants auront la liberté de faire venir de temps en temps les vivres qui leur seront nécessaires. » Pareille stipulation dans l'armistice conclu le 5 juin 1813 entre Napoléon et les RussoPrussiens, relativement aux cinq forteresses de Dantzick, Modlin, Zamosk, Stettin et Custrin, qui « seront ravitaillées tous les cinq jours, suivant la force de leurs garnisons, par les soins des commandants de troupes du blocus. Un commissaire nommé par le commandant de chaque place sera près de celui des troupes assiégeantes pour veiller à ce qu'on fournisse exactement les vivres stipulés. » La même année, une armistice ayant lieu lorsqu'une des armées belligérantes était bloquée dans la place de Rendsbourg, la convention désigna une route pour l'arrivée des vivres et ajouta : « Ilest accordé journellement de dix à douze mille rations, et il est permis de s'approvisionner pour trois jours. A cet effet on nommera respectivement des commissions qui vérifieront approximativement le nombre des rations portées dans chaque place force. » Enfin, après Sadowa, un armistice étant conclu entre le général de Moltke et un général autrichien, lorsqu'il y avait préliminaire de paix consenti par M. de Bismark, on limita le rayon d'approvisionnement pour trois

forteresses dont la population civile était minime; mais pour celle d'Olmütz, dont la ville avait 15,000 habitants, il y eut faculté de ravitaillement presque illimitée, en ce qu'on laissait libre une route jusqu'à 15 lieues de distance. Voilà des précédents décisifs, relevés par un homme d'Etat qui a pu les attester'. Nous verrons comment ils ont été d'abord méconnus, mais plus tard observés, dans les négociations pour armistice lors de l'investissement de Paris.

7. Relativement à la circulation pendant l'armistice, il n'y a pas de règles fixes, et c'est surtout la convention qui doit en donner. Vattel pourtant posait en principe le droit d'aller et venir, sauf restrictions par les contractants; car il disait : « Naturellement il est permis aux ennemis d'aller et venir les uns chez les autres pendant la trêve, surtout si elle est faite pour un temps considérable, tout comme cela est permis en temps de paix, puisque les hostilités sont suspendues. Mais il est libre à chaque souverain, comme il le lui serait aussi en pleine paix, de prendre des précautions pour empêcher que ces allées et venues ne lui soient préjudiciables. Des gens, avec qui il va bientôt rentrer en guerre, lui sont suspects à juste titre. Il peut même, en faisant la trêve, déclarer qu'il n'admettra aucun des ennemis dans les lieux de son obéissance'. » De nos jours, les habitants paisibles n'étant plus réputés ennemis, il semblerait que la règle, à défaut de dérogation conventionnelle, dût être pour la liberté des communications et des transports; mais c'est la présomption contraire qui domine, selon les distinctions nouvelles. L'art. 141 du règlement américain, réduisant tout armistice à une simple suspension des opérations militaires, porte: « Les parties contractantes ont l'obli

7 De Bourgoing, Du ravitaillement dans les armistices (Revue des DeuxMondes, 15 décembre 1870, p. 759-763).

8 Vattel, liv. m, ch. xvi, § 257.

gation de déclarer, dans l'armistice, si et dans quelle mesure des relations personnelles ou commerciales seront autorisées entre les habitants des territoires occupés par les armées belligérantes. Si rien n'est stipulé à cet égard, toutes relations demeurent suspendues comme durant les hostilités. » M. Bluntschli, distinguant avec raison, pose ainsi la règle : « La question de savoir si les habitants peuvent circuler librement entre les deux armées pendant l'armistice dépend soit des circonstances dans lesquelles ce dernier a été conclu, soit de la décision des chefs militaires. La liberté de circuler se présume, si l'armistice est général et a été conclu pour un temps suffisamment long (r. 693). » Puis il ajoute en note: « L'armistice général et de longue durée a seul un caractère analogue à la paix; on doit donc dans le doute autoriser les relations entre les habitants des contrées occupées par les armées belligérantes. Des considérations militaires s'opposent en général à la reprise des relations entre les territoires occupés par les troupes ennemies, lorsqu'il s'agit d'une suspension d'armes ayant un but spécial, et après laquelle la continuation de la lutte est possible et le plus souvent probable. » A ce point de vue encore, il est prudent de fixer le caractère de l'armistice convenu, et même de régler les conditions dans la convention écrite.

Suivant nous, les distinctions à faire actuellement seraient celles-ci. Quand il y a seulement suspension d'armes, dans tel lieu et pour un temps court, la règle doit être l'interdiction de toutes relations personnelles et commerciales entre les deux fractions de territoire respectivement occupées, sauf permission facultative avec sauf-conduit ou laisser-passer (Voy. notre chap. vin, n° 8 et 11). Dans le cas d'armistice particulier de quelque durée, la convention doit régler les facultés ou interdictions, sans quoi il y aurait encore prohibition et pouvoir arbitraire pour les chefs militaires. C'est

surtout au cas d'armistice pendant le siége d'une ville populeuse, où il y aurait des dissidences politiques et des divergences d'opinion sur les avantages ou les dangers d'une situation indécise, qu'il faut limiter les communications personnelles et que s'appliquent les recommandations faites par les publicistes à l'assiégeant de s'abstenir d'exciter les habitants, directement ou indirectement, à la révolte ou à la trahison aussi, ces recommandations étant méconnues ou éludées pendant le siége de Paris, à l'aide des facilités d'espionnage qu'avaient les assiégeants, les abus ont-ils produit des effets déplorables sur la partie malsaine de la population, ce qui a engendré une catastrophe. Que si l'armistice est général et surtout s'il y a préliminaires de paix, la liberté des communications doit être rétablie, pour la circulation des personnes et des marchandises nécessaires des deux côtés : car la présomption est que c'était ainsi entendu lors des accords et que même la paix sera rétablie. Cependant, quoiqu'il y eût conclusion d'un armistice général avec préliminaires de paix, entre le représentant de la France et celui de l'Allemagne, la convention du 28 janvier limitait le droit en disant, art. 10, que l'on ne pourrait quitter Paris sans permis et visa réguliers des autorités françaises et allemandes, que seulement ces permis et visa seraient accordés de droit aux candidats à la députation en province et aux députés à l'Assemblée, qu'il s'agissait d'élire pour traiter de la paix définitivement. Sur quoi une publication, trop souvent favorable aux Prussiens, a voulu plaisanter en disant que les candidats se présentaient par milliers à leurs avant-postes. C'était de trop mauvais goût, au moment où les élections devaient être aussi nombreuses qu'importantes, et lorsque, sur deux millions d'habitants, affamés et bombardés, il devait y en avoir tant qui étaient bien excusables de vouloir sortir de ce cercle de fer.....

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