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III

8. Il a souvent été question d'armistice, dans la guerre franco-prussienne, entre les représentants de la France et le diplomate représentant la Confédération de l'Allemagne du Nord. Les négociations qui n'ont pas abouti, outre celles dont nous parlerons au numéro suivant, ont eu des incidents qui intéressent le droit international et qu'il faut signaler ici, en essayant de les préciser.

Les fautes de l'empire ou de l'empereur, surtout dans la déclaration et la conduite de la guerre avec l'Allemagne, ayant amené, dès la capitulation de Sedan, une révolution avec établissement d'un gouvernement provisoire, le nouveau ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, après une circulaire aux agents diplomatiques français où il affirmait que la France voulait la paix, est allé franchement au quartier général prussien, à Ferrières, pour proposer un armistice et des préliminaires de paix, qui permissent d'élire une Assemblée nationale et de conclure un traité définitif. Comment et pourquoi ses propositions, où était reconnue une responsabilité obligeant la France, même devenue républicaine, à payer une forte indemnité de guerre, ont-elles échoué alors? D'après les rapports respectifs et d'autres publications à juger par l'opinion et l'histoire, le chancelier fédéral, inspirant ou développant la volonté du roi de Prusse, qui commandait en chef, a trouvé et fait prévaloir des raisons spécieuses, ou prétextes, pour rendre impossible ou inexécutable le moyen proposé, avec des exigences tellement extrêmes que jamais la France n'y souscrirait. Suivant les dires de M. de Bismark, il n'aurait pas été influencé par la pensée que l'empereur déchu espérait remonter sur le trône; il aurait bien voulu avec le roi de Prusse la création d'une assemblée légale des représentants de la France, il ne

se laissait pas détourner de ce désir par les succès continuels des armées allemandes, enfin il consentirait à un armistice pour le temps nécessaire aux élections afin de délivrer la France de l'anarchie qui rendait impossibles toutes négociations de paix; mais c'était le gouvernement de Paris, disaitil, qui refusait de permettre à la nation d'élire ses représentants, et celui de Tours voulait encore moins des élections libres'. On sait actuellement ce qu'il y avait de vrai, ou plutôt ce qu'il y a eu de faux, dans ces récits ou appréciations diplomatiques.

D'autres difficultés ont été soulevées par le chancelier fédéral, lorsqu'un armistice lui a été de nouveau proposé au nom de la France, cette fois avec l'appui des grandes puissances neutres dont un illustre homme d'Etat avait visité les souverains et représentants diplomatiques. Les incidents importants de la conférence, prolongée pendant plusieurs jours entre M. Thiers et le chancelier, ont été signalés dans des rapports respectifs aux grandes puissances : nous les rappelons succinctement. Il était enfin reconnu que, pour qu'il pût y avoir traité de paix, une assemblée nationale devait être élue; que pour les élections dans toute la France il fallait un armistice général, et que ce devait être le sujet d'une convention première. On était d'accord sur le principe. On s'accordait aussi sur la durée, qui devait être d'environ vingtcinq jours. Puis il fut convenu que les électeurs des provinces occupées participeraient aux élections, sans rien préjuger. A la fin, il s'agissait de fixer les conditions nécessaires du ravitaillement pour Paris, investi depuis six semaines et

9 Voy. Rapport de M. Jules Favre, 21 septembre 1870 (Journ. off., 22 septembre); Réponse de M. de Bismark, datée de Ferrières, 27 septembre; Memorandum du chancelier fédéral, 10 octobre 1870; Dépêches échangées entre ministres et agents diplomatiques Londres (Times, 4 novembre 1870). Voir aussi le livre de M. Jules Favre.

ayant consommé la moitié de ses provisions: le chancelier n'avait discuté que sur les quantités et les moyens, puis il demanda le temps de consulter les autorités militaires et, dans l'intervalle, prépara ses objections. Alors s'est élevée une question de principe, au lieu d'un règlement de détails: « J'ai vainement, dit le rapport de M. Thiers, insisté auprès du comte de Bismark sur ce grand principe des armistices qui veut que chaque belligérant se trouve, au terme de la suspension des hostilités, dans la même situation qu'au commencement; que de ce principe, fondé en justice et en raison, était dérivé cet usage du ravitaillement des forteresses assiégées et de leur approvisionnement jour par jour de la nourriture d'un jour; autrement, disais-je, un armistice suffirait à assurer la reddition de la plus forte forteresse du monde 10. » Dans les publications par lui faites de son côté, le chancelier énonce « l'étonnement qu'on lui a causé, la surprise et la déception que le roi Guillaume a éprouvées, quand on leur a soumis des « demandes aussi excessives, excédant à tel point le statu quo..... » Or, il est démontré que le ravitaillement proportionnel de la place enfermée, qui consomme ses provisions pendant l'armistice, est une condition usuelle et nécessaire de cette convention temporaire. L'étonnement supposé ne pouvait pas plus exister pour le chancelier fédéral que pour le commandant militaire, puisqu'eux-mêmes avaient souscrit la condition du ravitaillement dans l'armistice du 26 juillet 1866 après Sadowa (voy. sup., no 6): aussi a-t-elle été insérée dans la convention du 28 janvier 1871, art. 8 et 9, avec des stipulations de détail qui sont seules discutables.

Voilà comment ont été repoussées, à deux reprises, des

10 Voy. Rapport de M. Thiers aux ambassadeurs des grandes puissances neutres, daté de Tours du 9 novembre 1870 (Times, 17 nov.). Voy. aussi Lettre de M. Guizot au Times, du 8 novembre.

propositions loyales, avec sacrifices, dont le résultat eût été une paix avantageuse pour l'Allemagne elle-même. L'ennemi a préféré une continuation d'hostilités, faisant couler des flots de sang et amenant des dévastations épouvantables, pour écraser la France et lui imposer ensuite des conditions d'une rigueur inouïe. C'est sur lui que pèsera la responsabilité, devant la justice et l'histoire, devant Dieu même. Nous ne parlons pas de la malédiction qu'il aurait aussi encourue, dans l'opinion qu'ont exprimée hautement des publications étrangères : notre cri est celui de victimes sacrifiées, qui en appellent à la justice éternelle.

9. C'est seulement in extremis, lorsque la famine produite par un investissement prolongé exposait à périr deux millions d'êtres humains, qu'a pu être obtenu l'armistice nécessaire pour l'élection d'une assemblée nationale qui pourrait traiter de la paix". Les négociations, nécessairement ra

11 << Entre M. le comte de Bismark, chancelier de la Confédération germanique, stipulant au nom de S. M. l'empereur d'Allemagne, roi de Prusse, et M. Jules Favre, ministre des affaires étrangères du Gouvernement de la défense nationale, munis de pouvoirs réguliers, ont été arrêtées les conventions suivantes :

Art. 1er. Un armistice général, sur toute la ligne des opérations militaires en cours d'exécution entre les armées allemandes et les armées françaises, commencera pour Paris aujourd'hui même, pour les départements dans un délai de trois jours; la durée de l'armistice sera de vingt et un jours, à dater d'aujourd'hui, de manière que, sauf le cas où il serait renouvelé, l'armistice se terminera partout le 19 février, à midi.

Les armées belligérantes conserveront leurs positions respectives, qui seront séparées par une ligne de démarcation. Cette ligne partira de.....

Art. 2. L'armistice ainsi convenu a pour but de permettre au Gouvernement de la défense nationale de convoquer une assemblée librement élue qui se prononcera sur la question de savoir : si la guerre doit être continuée, ou à quelles conditions la paix doit être faite. L'Assemblée se réunira dans la ville de Bordeaux. - Toutes les facilités seront données par les commandants des armées allemandes pour l'élection et la réunion des députés qui la compo

seront.

Art. 3. Il sera fait immédiatement remise à l'armée allemande, par l'autorité militaire française, de tous les forts formant le périmètre de la defense

pides, ont eu lieu avec les représentants implacables d'un ennemi sans générosité, prodigues de compliments pour la défense de Paris par lui-même, mais tenaces à l'excès quant aux conditions qu'ils avaient méditées pendant sa longue agonie. Leurs exigences ont été telles, que ce qu'ils ont bien voulu qualifier simplement de « convention » ressemble à une capitulation de place, sans opérations de siége. Exemples le délai est fort court; à son expiration, l'envahisseur sera libre de refuser prorogation et de reprendre ses hostilités; si l'on n'accepte pas ses conditions de paix, les garnisons des forts et de Paris étant dès à présent consignées, devront se constituer prisonnières de guerre. Où seront donc les défenseurs et la possibilité de discussion? Dès à présent,

extérieure de Paris, ainsi que de leur matériel de guerre. Les communes et les maisons situées en dehors de ce périmètre ou entre les forts pourront être occupées par les troupes allemandes, jusqu'à une ligne à tracer par des commissaires militaires. Le terrain restant entre cette ligne et l'enceinte fortifiée de la ville de Paris sera interdit aux forces armées des deux parties. La manière de rendre les forts et le tracé de la ligne mentionnée formeront l'objet d'un protocole à annexer à la présente Convention.

Art. 4. Pendant la durée de l'armistice, l'armée allemande n'entrera pas dans la ville de Paris.

Art. 5. L'enceinte sera désarmée de ses canons, dont les affûts seront transFortés dans les forts à désigner par un commissaire de l'armée allemande.

Art. 6. Les garnisons (armée de ligne, garde mobile et marine) des forts et de Paris seront prisonnières de guerre, sauf une division de douze mille hommes que l'autorité militaire dans Paris conservera pour le service intérieur. Les troupes prisonnières de guerre déposeront leurs armes, qui seront réunies dans des lieux désignés et livrées suivant règlement par commissaires suivant l'usage; ces troupes resteront dans l'intérienr de la ville dont elles ne pourront pas franchir l'enceinte pendant l'armistice. Les autorités françaises s'engagent à veiller à ce que tout individu appartenant à l'armée et à la garde mobile reste consigné dans l'intérieur de la ville. Les officiers des troupes prisonnières seront désignés par une liste à remettre aux autorités allemandes. A l'expiration de l'armistice, tous les militaires appartenant à l'armée consignée dans Paris auront à se constituer prisonniers de guerre de l'armée allemande, si la paix n'est pas conclue jusque-là.—Les officiers prisonniers conserveront leurs armes.

Art. 7, La garde nationale conservera ses armes, elle sera chargée de la

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