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française, puis dans celles contre Napoléon Ir jusqu'en 1814, les cantons suisses ont obtenu dans les traités de 1815 une reconnaissance solennelle de leur neutralité générale et absolue, pour l'avenir. Déjà la déclaration de Vienne du 20 mars 1815, rendue en exécution du traité de Paris, disait : « Les puissances.... ayant reconnu que l'intérêt général réclame en faveur du corps helvétique l'avantage d'une neutralité perpétuelle.... déclarent que dès que la diète helvétique aura donné son accession en bonne et due forme aux stipulations renfermées dans la présente transaction, il sera fait un acte portant la reconnaissance et la garantie, de la part de toutes les puissances, de la neutralité perpétuelle de la Suissé dans ses nouvelles frontières.... » Cette reconnaissance, promise par le traité de Vienne dans les art. 84 et 92, a été proclamée dans une déclaration spéciale du 20 novembre 1815, signée à Paris, où les quatre grandes puissances alliées et la France, dit Wheaton comme résumé, «reconnurent formellement la neutralité perpétuelle de la Suisse, et garantirent l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire au dedans de ses nouvelles limites, telles que les avaient établies et l'acte final du congrès de Vienne et le traité de Paris. Ces puissances déclarèrent aussi que la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse, ainsi que sa soustraction à toute influence étrangère, étaient conformes aux véritables intérêts de la politique de l'Europe entière, et qu'aucune influence défavorable ne devait être exercée sur les droits de la Suisse quant à sa neutralité, par le fait qui avait donné lieu au passage d'une partie des forces alliées sur le territoire helvétique, passage librement accordé par les cantons dans la convention du 20 mai et résultat nécessaire de l'adhésion complète au traité d'alliance du 25 mars ».

8 Déclaration du 20 novembre 1815 (Recueil de Martens, t. iv, p. 186); Wheaton, t. 11, chap. 1, § 4.

La Belgique, dont le territoire fut si longtemps un champ de bataille entre deux nations puissantes, est aussi devenue une barrière d'intérêt général pour l'Europe, en ce qu'elle couvre un point vulnérable de la France contre une invasion prussienne et, d'autre part, protége contre des armées françaises l'entrée en Allemagne sur une frontière qui n'est pas la mieux fortifiée. Déjà le congrès de Vienne, en 1815, avait voulu établir cette barrière entre la France et l'Allemagne, en créant le royaume des Pays-Bas. Dans les traités concernant la Belgique, séparée de la Hollande par une révolution en 1830, la neutralité perpétuelle de ce nouveau royaume a été proclamée et garantie par les cinq grandes puissances européennes, comme condition essentielle de la reconnaissance de son indépendance. Le traité de Londres du 15 novembre 1831, conclu entre ces grandes puissances et le roi des Belges, voulait y pourvoir; il a été remplacé par celui du 19 avril 1839, dont l'art. 7 porte: « La Belgique, dans les limites indiquées aux art. 1, 2 et 4, formera un Etat indépendant et perpétuellement neutre. Elle sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres Etats. » De plus, lors de la guerre franco-prussienne, un double traité a été conclu par l'Angleterre avec la Prusse et avec la France, pour rappeler et faire respecter la neutralité de la Belgique, tellement que, si l'un des belligérants venait à la violer, l'Angleterre promettait de coopérer avec l'autre pour assurer, même en employant ses forces navales et militaires, l'indépendance et la neutralité de la Belgique'. C'éfait la consécration internationale des promesses respectivement faites au ministre de Belgique, et c'était aussi l'accomplissement d'un devoir de

9 Traité du 15 novembre 1831, cité par Wheaton et par Bluntschli; Traité du 19 avril 1839, promulgué, en France, le 17 juin (Bull. des lois, n° 7986); Traités d'août 1870, entre l'Angleterre et la France, et entre l'Angleterre et la Prusse.

l'Angleterre, dont un ministre avait dit : « Nous sommes tenus de défendre la Belgique » (2 août). Du reste, cette application accidentelle d'un traité préexistant lui a laissé toute sa force pour l'avenir, comme l'a déclaré le ministre des affaires étrangères belge (16 août).

Le grand-duché de Luxembourg, érigé par Charles iv en 1354, avait été en 1659 cédé pour partie à la France, qui conquit le tout en 1684, puis en 1795, après quoi il devint le « département des Forêts ». Par le congrès de Vienne, en 1815, il fut attribué au royaume des Pays-Bas. Ce royaume lui-même ayant été divisé par un effet de la révolution de 1830, le traité de Londres du 19 avril 1839 partagea entre la Belgique et la Hollande le Luxembourg, qui accéda ainsi à la Confédération germanique. Celle-ci étant dissoute, un nouveau traité de Londres, conclu le 11 mai 1867 entre le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, et différentes puissances au nombre desquelles étaient la France et la Prusse, proclama avec garantie la neutralité de ce grandduché, en ces termes : « Le grand-duché du Luxembourg, dans les limites déterminées par l'acte annexé au traité du 10 avril 1839, sous la garantie des cours de France, d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, formera désormais un Etat perpétuellement neutre. Il sera tenu d'observer cette même neutralité envers tous les autres Etats. Les hautes parties contractantes s'engagent à respecter le principe de neutralité stipulé par le présent article. Ce principe est et demeure placé sous la sanction de la garantie collective des puissances signataires du présent traité, à l'exception de la Belgique, qui est elle-même un Etat neutre". » En 1870, le gouvernement prussien déclara d'abord qu'il respecterait cette neutralité, pourvu qu'il n'y eût aucune in

10 Traité du 11 mai 1867, promulgué en France le 1er juin (Bull. des lois, n° 15182).

fraction par la France ou par le duché; puis, prétextant d'infractions diverses, il déclara dans une note du 3 décembre, signée Bismark, qu'il ne se considérait plus comme obligé d'avoir égard à la neutralité du grand-duché dans les opérations militaires des armées allemandes, et que les gouver nements signataires du traité de 1867 étaient avisés à ce sujet. Mais, sur les représentations de l'Angleterre, il a reculé en disant, dans une note du 17 décembre, « que les termes mêmes de la circulaire ne donnaient nullement lieu de supposer qu'il eût en vue une dénonciation du traité de 1867».

3. A part même la garantie de neutralité du territoire, il y a neutralité de droit pour tout État qui, ne se laissant pas entraîner par des sympathies ou autres considérations, veut ne prendre part aux hostilités d'aucun côté. Pour rester neutre, celui-ci n'a pas besoin d'en faire la déclaration, soit par voie diplomatique, soit même seulement dans une publication officielle quelconque : car la neutralité effective s'établit vis-à-vis des belligérants par la simple abstention, surtout lorsque c'est d'accord avec le droit public du pays. Mais il ne suffit pas qu'un gouvernement veuille sincèrement conserver à la nation les avantages de la paix, par sa neutralité : les nationaux eux-mêmes doivent être empêchés de toute participation aux hostilités, qui la compromettrait. Pour que l'intention soit manifeste et que l'obstacle légal existe, il convient que les belligérants et aussi les nationaux soient avertis par des actes publics, quant à l'intention de conserver une entière neutralité et surtout quant aux prohibitions qui en dériveront. A la vérité, ceci appartient moins au droit international, qui alors imposerait un devoir strict à tout neutre, qu'au droit national ou public du pays: c'est ce qui a été démontré dans une discussion diplomatique entre la Prusse, imputant à l'Angleterre de n'avoir pas fait tout ce que voudrait sa législation pour empêcher des envois d'armes

ou munitions par des négociants anglais à la France, et lord Granville, répondant avec autorité que l'Angleterre agissait conformément à ses lois et usages, qu'un gouvernement étranger ne pouvait pas invoquer les devoirs de la neutralité jusqu'au point d'exiger une mesure gênante à l'excès pour le commerce". Néanmoins, ne fût-ce que pour faire connaître avec la résolution de neutralité les interdictions qui en dériveront selon le droit public du pays, il sera utile d'en faire l'objet d'un acte du pouvoir exécutif, ordonnance ou arrêté, spécifiant la situation de l'État et les devoirs des nationaux. C'est ce qu'ont fait la plupart des gouvernements neutres, dans les guerres récentes en 1861, à l'occasion de la lutte entre des États de la Confédération américaine, des déclarations de neutralité avec prohibitions ont été promulguées au nom de la France, de l'Angleterre, de l'Espagne, etc.; en 1870, quoique la guerre franco-prussienne fût sans cause et eût pu être évitée s'il y eût eu intervention officieuse des grandes puissances, leur neutralité stricte a fait l'objet de nombreuses déclarations fidèlement observées.

Trois jours après la déclaration de guerre, le gouvernement anglais publiait une proclamation de neutralité, rappelant les prohibitions d'un statut spécial, avec recommandation à tous sujets anglais d'éviter toute violation des devoirs de la neutralité, soit lors d'un blocus, soit par transport d'objets qui seraient réputés contrebande de guerre, à quoi fut ajouté un bill prohibant l'enrôlement de sujets anglais pour l'un des belligérants". Immédiatement aussi, le gou

11 Voy. Dépêches des 10 et 20 octobre 1870, l'article de M. Westlake et celui de M. Rollin Jacquemyns (Revue de droit international, 1870, p. 614 et 705).

12 Proclamation du gouvernement anglais, 19 juillet, et bill du 11 août (Times, 30 juillet et 12 août). Un intéressant rapport des commissaires de la reine d'Angleterre, sur les Lois de neutralité, a été inséré en note dans l'œuvre

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