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effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi. »> Quand existe un tel blocus, les navires neutres eux-mêmes doivent le respecter en s'abstenant de le forcer, et leur tentative les soumettrait à capture, ainsi que nous l'avons expliqué.

L'État neutre ayant une souveraineté relative sur les eaux de son littoral, son droit est d'empêcher les navires de guerre d'y passer; le passage contre son gré serait une violation de sa neutralité. A plus forte raison a-t-il le droit d'interdire l'entrée de ses ports, ou d'y mettre des conditions; c'est même un devoir, ainsi indiqué par M. Bluntschli : « L'État neutre ne doit pas permettre aux navires de guerre des belligérants d'entrer dans ses ports, ni de naviguer dans ses fleuves, rivières ou canaux, si ce n'est dans un but manifestement pacifique, par exemple, pour faire de l'eau ou du charbon, pour prendre des vivres ou encore pour des réparations urgentes. Il ne leur est jamais permis d'y pénétrer pour renouveler ou renforcer leurs provisions de guerre (r. 773). » En un mot, dans la guerre maritime comme dans la guerre continentale, l'État neutre ne peut fournir aucuns secours à un belligérant, en choses propres aux hostilités et spécialement en navires de guerre ou munitions. Conséquemment, il doit empêcher ses ressortissants de lui faire en grand des fournitures qui seraient pour son service militaire ou naval; mais son devoir ne va pas jusqu'à interdire, avec menace d'une peine pour infraction, toute entreprise même commerciale pour l'utilité d'un belligérant. Citons deux exemples récents. Suivant un statut anglais de 1870, dont les dispositions prohibitives ont une sanction pénale, « si quelqu'un dans les États de S. M. expédie, ou fait en sorte, ou permet qu'on expédie un vaisseau, tout en voulant, en sachant ou ayant un motif raisonnable de croire, que ce vaisseau sera employé au service militaire ou naval d'un pays étranger,

cette personne sera considérée comme ayant commis une infraction..... Le mot service militaire comprendra la télégraphie militaire..... » Il y a eu saisie par les officiers de la douane anglaise du navire « l'International, » portant un câble télégraphique en partie sous-marin, en partie d'atterrissement, qui devait relier entre eux plusieurs points de la côte française. Après plaidoiries, le jugement rendu par sir R. Phillimore, le 17 janvier 1871, a décidé que le navire devait être relâché, en donnant les motifs que nous résumons. Il n'y a pas à examiner si l'objet transporté pouvait être réputé contrebande de guerre, ce qui ne concerne que le droit de capture par un belligérant; au point de vue de l'application du statut, on ne voit pas tout d'abord la preuve que l'entreprise eût pour but de favoriser le service militaire ou naval de la France: cela pourrait se présumer d'après les circonstances; mais les témoignages font penser que l'entreprise, comme d'ordinaire, n'avait en vue que la télégraphie postale. Le litige paraît avoir été porté, par appel, au Conseil privé. Il ne sera probablement pas aussi difficile à résoudre que l'éternelle question anglo-américaine de l'Alabama, si compliquée qu'elle a fait l'objet de plusieurs dissertations et qu'on en est encore aux préliminaires d'un arbitrage, devant avoir lieu à Genève 22.

Mais le commerce pacifique est pour les neutres un droit, que doivent respecter les belligérants eux-mêmes, sauf certaines restrictions que commanderaient les nécessités de la guerre pour ceux-ci. En tant que le commerce aurait lieu entre neutres et pour eux seuls, aucune entrave par un belligérant ne serait licite: la difficulté concerne un autre cas.

22 Voy. « Opinion impartiale sur la question de l'Alabama et sur la manière de la résoudre, par M. Bluntschli (Revue de droit international et de législation comparée, 1869); « La question anglo-américaine de l'Alabama », par M. Pierantoni (Ibid., 1870, p. 352).

Comme la navigation commerciale a pour objet le transport d'un lieu dans un autre, les commerçants des nations belligérantes, auxquels les usages de la guerre maritime font craindre des hostilités réciproques, ne se risquent pas toujours à confier leurs marchandises aux navires de leur nation; ils préfèrent souvent des bâtiments neutres, ne courant pas les mêmes dangers. Quelquefois aussi, par calcul ou nécessité, des neutres chargent leurs marchandises sur bâtiments d'une nation belligérante, ce qui les rend suspects. De là des conflits et controverses, sur la question de savoir si la marchandise ainsi transportée pourrait être saisie et confisquée. La plus rationnelle solution, malgré les résistances des principales puissances maritimes, était celle que donnait M. Massé, dans son traité datant de 1844, en ces termes: «< Du principe fondamental et de droit des gens, qui consacre la liberté du commerce pacifique des neutres, véritablement neutres, il suit, comme conséquence principale dont l'application garantit dans tous les cas l'exercice de cette liberté, d'abord que les propriétés ennemies sont libres sur bâtiments neutres, en d'autres termes, que le pavillon couvre la marchandise; ensuite, que les marchandises neutres sont libres sur bâtiment ennemi, en d'autres termes, que la robe d'ennemi ne confisque pas celle d'ami. A quoi on peut ajouter une troisième conséquence qui est un appendice de la première, à savoir, que le bâtiment neutre ne cesse pas d'être neutre et ne devient pas confiscable par cela seul que sa cargaison est ennemie (t. 11, no 276). » Le double principe a enfin été consacré par le traité international de 1856, proclamant (outre l'abolition de la course et la condition de réalité du blocus maritime), les deux règles importantes ainsi formulées : « Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre; la marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre,

n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. » (Voy. notre ch. xv, note 12).

8. Les neutres eux-mêmes ne peuvent, pendant la guerre engagée, transporter de la contrebande de guerre. Qu'est-ce? Au moyen âge, ceux qui fournissaient des armes contre les chrétiens aux infidèles étaient mis par les papes au ban de la chrétienté (contrà bannum). Dans les guerres maritimes postérieures, le droit des gens permettant aux belligérants de saisir les choses utiles à la guerre qui seraient transportées même sur navires neutres, les puissances ayant des forces navales supérieures, l'Angleterre notamment, ont voulu étendre le plus possible le cercle de la contrebande à définir, ainsi que les droits ou moyens de répression; tandis que l'intérêt du commerce demandait qu'on respectât sa liberté, sauf le cas d'assistance manifeste par fourniture ou transport de choses véritablement destinées à la guerre. De là encore des conflits et controverses, quant à la définition de la contrebande ou l'énumération des objets qui s'y trouveraient compris. Il a fallu de nombreux traités internationaux, pour faire règle à ce sujet; mais, comme ils n'avaient été conclus qu'entre certaines puissances et n'étaient pas uniformes en tous points, des divergences ont subsisté, sans être détruites par aucun traité général ni même par celui de 1856, qui laisse saisissable «la contrebande de guerre ». Quelles sont donc aujourd'hui, mais seules, les choses qui comportent cette qualification? On ne trouve que de vagues indications dans Vattel, auquel il a été justement reproché de s'en tenir à une définition arbitraire très-imparfaite. La plupart des publicistes modernes, se plaçant chacun à son point de vue, n'ont donné que des énumérations diverses. Ainsi que l'a dit Heffter, on doit d'abord se guider sur les traités conclus par les nations européennes, entre elles ou avec les peuples du nouveau monde. Les plus exactes indications à cet égard se trouvent

dans l'ouvrage de Klüber et dans celui de Massé, qui donne la liste de tous les traités intervenus jusqu'à sa publication, et dans celui de MM. de Pistoye et Duverdy, qui ont traité spécialement la matière au point de vue des contestations dont nous parlerons.

La véritable contrebande de guerre, saisissable par un belligérant, est ce qui sert manifestement à la guerre et lui paraît transporté pour les besoins de l'adversaire contre lui. Le célèbre « traité des Pyrénées », du 7 novembre 1659, énumérait d'une part toutes les matières qui seraient réputées contrebande, comme pouvant être directement employées à la guerre, et, d'autre part, celles auxquelles ne pourrait être donnée cette qualification, ce qui comprenait même les vivres. Celui d'Utrecht, du 11 avril 1713, disait, art. 19: « On comprendra sous le nom de marchandise de contrebande prohibée les armes, les canons, les arquebuses, les pétards, les bombes, les grenades, les balles, les piques, les cuirasses, les javelots, les hallebardes, le salpêtre, les pistolets, l'artillerie, les munitions, les chevaux avec leurs harnais, et toute chose semblable, capable de devenir instrument de guerre, ou qui puisse servir à l'usage de la troupe. » Dans ses guerres maritimes, l'Angleterre déclarait contrebande de guerre un grand nombre de marchandises et denrées, ce qui aurait détruit le commerce des neutres : la ligue armée des neutres fit restreindre la qualification aux choses pouvant servir directement à la guerre, suivant le système des traités précités. Parmi les traités postérieurs, il n'y en a qu'un petit nombre qui ait étendu la qualification aux vivres et aux provisions navales. Il appartient aussi à un État de donner une énumération qui guidera ses nationaux et pourra devenir une règles pour les autres États accordant la réciprocité. C'est ainsi que le Code italien pour la marine marchande, art. 216, énumère limitativement « les canons, fusils, cara

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