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Dès que la paix est rétablie, le droit de capture cesse: car c'était un droit exorbitant, qui ne pouvait se fonder que sur l'état de guerre; si quelque prise avait eu lieu dans l'ignorance du traité de paix, la restitution serait obligatoire. Quel sera le sort des prises antérieures? Celles qui étaient déjà validées sont définitivement acquises à l'Etat capteur, pour lui et pour ceux qui auraient une part de prise d'après la législation nationale. Relativement à celles sur lesquelles il n'y aurait pas encore jugement de validité, la question dépend des stipulations du traité de paix, ou de la bienveillance de l'Etat capteur, comme l'indiquent les traités et le décret français que nous citons en note ". A défaut de remise convenue ou spontanément promise, le droit des gens permet et le droit public national veut que la saisie soit suivie de jugement. C'est reconnu par M. Bluntschli, posant cette règle : « Les conseils des prises peuvent, à moins de dispositions contraires dans le traité de paix, continuer l'instruction des procès pen

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24 Traité de Zurich, 10 novembre 1859, art. 3. « Pour atténuer les maux de la guerre, et par une dérogation exceptionnelle à la jurisprudence généralement consacrée, les bâtiments autrichiens capturés qui n'ont point encore été l'objet d'une condamnation de la part du conseil des prises seront restitués..... >>

Décret impérial français, 29 mars 1865: « Napoléon, etc., voulant atténuer les maux de la guerre par une dérogation aux règles consacrées en matière de prises maritimes..... Art. 1er. Les navires de la marine marchande mexicaine, ainsi que leurs chargements, capturés depuis le commencement de la guerre par les bâtiments de la marine impériale et qui n'ont pas été définitivement condamnés, seront immédiatement restitués à leurs propriétaires en l'état où ils se trouveront. »>

Traité de paix entre la République française et l'empire d'Allemagne, signé à Francfort, le 10 mai 1871: « Art. 13. Les bâtiments allemands qui étaient condamnés par les conseils des prises avant le 2 mars 1871 seront considérés comme condamnés définitiment. Ceux qui n'auraient pas été condamnés à la date sus-indiquée seront rendus avec la cargaison, en tant qu'elle existe encore. Si la restitution des bâtiments et de la cargaison n'est plus possible, leur valeur, fixée d'après le prix de la vente, sera rendue à leurs propriétaires. »>

dants devant eux au moment de la conclusion de la paix (r. 862). » Cependant le publiciste allemand, ne voyant là qu'un usage et une faculté, dit en note: « Cette manière de procéder est assez illogique; les conseils des prises sont des conseils de guerre; leur juridiction devrait donc s'éteindre avec le rétablissement de la paix. » Que voudrait-il? La capture présuppose une infraction, entraînant pour peine la confiscation s'il y en a preuve : or, en principe, une infraction commise ne saurait échapper à toute répression par le changement du régime sous lequel elle a eu lieu; au moins faudrait-il une stipulation de traité ou un acte du pouvoir souverain qui amnistiât toutes infractions de ce genre, ce qui serait nécessaire surtout pour les neutres contrevenants, tandis que le traité de paix ne concerne ordinairement que les Etats s'étant fait la guerre. Il y a eu d'ailleurs des intérêts civils engagés, les droits respectifs sont litigieux et peutêtre même déjà préjugés par les preuves respectives or les droits et intérêts civils survivent, ils sont même respectés par l'amnistie en général; enfin un conseil des prises, assimilable aux conseils de guerre, peut être réputé permanent, pour les affaires restant à juger.

IV

10. Une neutralité particulière, locale et personnelle, est commandée par les droits sacrés de l'humanité, qui prévalent de plus en plus selon la civilisation progressive : elle a pour objet les hôpitaux, sédentaires ou ambulants, et tous secours donnés aux blessés militaires. Les hôpitaux sédentaires, où sont soignées toutes personnes atteintes d'infirmités ou de blessures, doivent être réputés neutres de plein droit, comme asiles de douleur et de souffrance, en quelque lieu qu'ils se trouvent même dans le cas de siége ou de bombardement, le droit des gens actuel veut qu'on respecte

et qu'on préserve de toute atteinte les bâtiments hospitaliers, comme les édifices religieux; la réprobation universelle flétrit les bombardeurs qui violent un principe aussi sacré (voy. notre chap. xvi, no 8, 12, 13 et 14). Pour les hôpitaux ambulants, spécialement destinés aux militaires qui se trouvent mis hors de combat, il y a des règles de neutralité conventionnelle, qui se développent depuis un siècle. Dès 1743 et 1759, dans deux cartels entre généraux pour secours aux blessés respectifs, il fut stipulé que leurs hôpitaux quelconques seraient considérés comme des asiles inviolables: la règle a été généralisée, développée même, par la convention entre vingt-deux Etats dont nous allons parler. Pour les blessés personnellement, ainsi que pour les sépultures, des devoirs sacrés, imposés par l'humanité comme par la charité chrétienne, sont aussi dans les principes du droit des gens moderne, qui veut impérieusement que tous soins soient donnés à ces victimes de la guerre et que leur asile soit religieusement respecté (voy. notre ch. xi, no 11). Il n'y a pas à distinguer entre les blessés, selon que leur nation est amie ou ennemie; car la charité nous dit que tous les hommes sont frères, en dehors du combat: hostes, dùm vulnerati, fratres..... Tutti fratelli. Aussi des lois nationales et des conventions entre Etats, d'accord avec le droit des gens fondé sur la loi naturelle, ont-elles imposé à chaque belligérant le devoir de soigner indistinctement les blessés qui seraient dans ses possessions (voy. notre ch. xvii, no 15). Pour assurer à tous blessés des soins efficaces, il fallait organiser au mieux, avec protection contre tout abus, un service de santé qui eût tout le savoir, tous instruments et tout le personnel nécessaires à une si difficile entreprise : cela n'a pu s'opérer qu'après des efforts multiples.

Trop longtemps en France, quoiqu'il y eût des hôpitaux sédentaires avec médecins, la chirurgie fut délaissée à des

gens obscurs. Au xvi° siècle, Ambroise Paré pratiqua heureusement la chirurgie militaire, et publia un petit livre sur la méthode de traiter les plaies faites par des armes de guerre, puis devint un véritable chirurgien et donna d'utiles enseignements dans un traité plus important. Le xvir° siècle et le suivant virent fonder successivement des hôpitaux ou hospices militaires spéciaux, tels que les Invalides en 1659, Bourbonne en 1730, l'hôpital militaire des gardes françaises en 1759, puis à Metz, Strasbourg, Lille, etc. Enfin un édit (17 janv. 1708) créa un service permanent de « médecins et chirurgiens, inspecteurs généraux et majors, à la suite des armées et dans les hôpitaux des places de guerre ». Puis vinrent plusieurs règlements, pour le recrutement des officiers de santé, l'instruction dans les amphithéâtres des principaux hôpitaux militaires, l'inspection et l'assimilation des chirurgiens militaires aux officiers de l'armée. La réforme des hôpitaux fut confiée à l'intendant général Chamusset, qui émit en 1764 les idées qu'a développées et consacrées le progrès. La révolution française ayant amené des guerres meurtrières, Dominique Larrey donna à chaque division d'armée un service de santé régulier, avec répartition méthodique dans le corps spécial, de telle sorte qu'il y avait des chirurgiens et un pharmacien, des aides et des infirmiers, des voitures appelées ambulances volantes pour ramasser et panser les blessés sous le feu. C'est de là que sont venus directement les avantages progressifs qui ont illustré les noms de Larrey, de Percy, de Desgenettes et de quelques autres membres du corps de santé pour les armées; et c'est ce qui a facilité l'adoption du système de secours avec neutralité protectrice, dont nous allons indiquer l'origine et les principales règles ".

25 Voy. le Service de santé des armées, avant et pendant le siége de Paris, par Augustin Cochin, de l'Institut de France (Revue des Deux-Mondes, 1870,

La neutralisation des hôpitaux et des blessés, demandée par Chamusset, et imparfaitement établie par le cartel de 1743, se trouva consacrée dans celui du 7 septembre 1759, qui engageait la France et la Prusse, lequel voulait qu'on respectât et protégeât religieusement les hôpitaux, que les aumôniers, médecins et chirurgiens militaires ne fussent point faits prisonniers de guerre, qu'on prît soin des blessés de part et d'autre, que chaque État payât leurs médicaments et leur nourriture, qu'après la guerre on se tînt compte respectivement des frais. Au commencement du siècle actuel, Percy rédigea un projet dans ce sens pour le général Moreau, qui le signa et le proposa au général autrichien Kray, mais celui-ci refusa de s'engager ainsi. L'idée a été reprise, depuis 1820, par le docteur prussien Wasserfuhr, par le docteur napolitain Palasciano, et par M. Henri Arrault, fournisseur de l'armée française. C'est surtout à un Génevois, M. Dunant, que revient l'honneur d'avoir fait réaliser par une convention internationale la neutralisation des ambulances militaires et provoqué la fondation de sociétés libres pour secours aux blessés. Ce philanthrope avait vu de près la bataille de Solférino, où il y eut 40,000 tués ou blessés, puis 40,000 malades évacués sur les hôpitaux autrichiens et italiens; il était allé lui-même relever des blessés, et il a pu démontrer dans un livre palpitant d'intérêt la nécessité d'assurer des soins charitables aux combattants victimes. Parcourant l'Europe, il a fait une active propagande auprès de souverains, d'intendants, de généraux, de publicistes ou écrivains. Secondé par le président de la société d'utilité publique de Genève, M. Moynier, il a obtenu aussi l'appui de

p. 58 et suiv.).— Voy, aussi article de M. Laboulaye sur les Sociétés de secours aux blessés (Ibid., 15 décembre 1869), et Conférence de M. Bonnier sur «< la Convention de Genève », en janvier 1871 (Revue des Cours littéraires, n° 51).

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