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Quant aux précautions sanitaires et à la constatation de l'identité, cela rentre dans les pouvoirs et devoirs administratifs, pour chaque nation : l'institution des cartes d'identité est une mesure utile, qui demande à être développée; il conviendrait aussi que les belligérants fussent tenus de se communiquer, autant que possible, les listes des prisonniers, des malades ou blessés et même des morts, pour les renseignements nécessaires aux familles inquiètes.

Tout considéré, c'est un progrès considérable dans le droit des gens conventionnel que celui qui vient de s'accomplir, d'accord avec les droits sacrés de l'humanité. Il ne reste plus qu'à perfectionner l'œuvre, pour le cas où le fléau de la guerre viendrait encore s'abattre sur l'un ou l'autre des pays civilisés.

Au point de vue des opérations militaires et des résultats généraux de la guerre, dans laquelle interviennent les neutres pour adoucir les souffrances, on se demande quel est le degré d'influence de cette intervention sur l'ensemble et ce qu'il a été dans la guerre franco-prussienne. C'est une question d'appréciation, fort délicate, qui se trouve soulevée dans le rapport des opérations de la société anglaise (page 175).

CHAPITRE XX.

OCCUPATION TEMPORAIRE. LOI MARTIALE. GOUVERNEMENT DU PAYS.

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE.

SOMMAIRE.

1. Prise de possession. Occupatio bellica. Comparaison. Principes

nouveaux.

2. Distinction entre l'occupation et la conquête. Conditions de durée et de traité.

3. Occupation à son début. Pouvoirs en dérivant. Altération de la souveraineté.

4. Loi martiale. Définition. Effets dans le pays occupé.

5. Gouvernement. Pouvoirs. Police. Revenus publics. Limites.

6. Administration de la justice. Jugements entre habitants. Justice répressive. Police judiciaire.

7. Postliminium. Fictions romaines. Faits réels.

8. Souveraineté territoriale. Reprise. Effets.

9. Actes et jugements. Droits privés à respecter. Annulation exceptionnelle.

10. Invasion allemande. Gouvernement. Revenus publics. Entraves à la justice.

11. Gouvernement français. Justice française. Effets conservés.
12. Occupation depuis la paix. Droits prétendus. Menaces outrées.

I

1. En comparant avec la possession temporaire du fonds d'autrui, contredite par le propriétaire, l'occupation par un belligérant d'une portion du territoire de l'autre, pendant une guerre dont l'issue est douteuse, on trouve pour les règles de droit quelque analogie, malgré les différences nécessitées par les lois de la guerre ou le droit des gens d'après les usages. Suivant la raison écrite et le droit civil, dans les pays ayant la meilleure législation, la prise de possession par voie de fait ne confère aucun droit, une simple action en réintégrande suffit pour lui faire perdre tout effet: spoliatus

:

antè ommia restituendus. Une possession continuée peut donner des droits provisoires, susceptibles de développement avec le temps; mais il faut qu'elle réunisse certains caractères, définis par la loi. L'une des conditions principales est que la possession soit paisible, c'est-à-dire sans contradiction par l'ayant droit dès qu'il y a contestation, le litige rendant douteuses les prétentions respectives jusqu'à décision ou transaction, l'occupant n'a qu'un droit provisoire, celui de percevoir les fruits, sauf restitution ou compensations selon ce qui sera jugé ou convenu en définitive. A part toute interruption ou suspension par certaines causes définies, la possession prolongée ne peut que conduire à un moyen d'acquisition qui résultera de la prescription appelée « patronne du genre humain », laquelle établit une présomption de droit contre des revendications tardives. Dans ce cas encore il faut des conditions légales, dont l'une est que la possession ait eu lieu à titre de propriétaire : cette condition défaillirait, si la possession se trouvait viciée de précarité par l'existence d'un titre excluant la présomption de propriété, ou si le possesseur avait entendu seulement retenir à titre de garantie, dans la persuasion qu'il ne parviendrait pas à se faire reconnaître propriétaire légitime.

Dans la guerre, lutte qui rappelle l'ancien duel judiciaire en ce qu'il y a un différend se vidant par les armes, l'occupation militaire d'un territoire de l'adversaire commence, de même que la possession prise avec voie de fait, par une violence réelle, qui parfois s'exerce de plus envers les personnes du lieu. Mais, à défaut de juge pour réintégrer l'adversaire dépossédé, celui-ci ne peut contredire l'appréhension qu'en employant de son côté la force, afin de reprendre s'il est possible son territoire. Tant que dure la lutte armée, l'origine de l'occupation proteste contre la supposition d'une possession réunissant tous les caractères voulus pour la présomption d'acquisition

légitime ce n'est qu'une violence, qui ne saurait par ellemême créer des droits. Les lois de la guerre, il est vrai, donnent à l'occupant certains pouvoirs, qui sembleraient dériver de droits reconnus; mais, s'il y a réellement des droits actuels, c'est seulement parce que les nécessités des opérations militaires les feraient naître l'occupation militaire, occupatio bellica, est moins un titre qu'un moyen d'obtenir certaines prestations nécessaires, suivant des lois et usages qui les imposent aux habitants pour les besoins des troupes de passage, indistinctement. Pour les autres effets de l'occupation d'une portion de territoire, il faut aussi considérer la durée, avec le but ou l'intention. Les combats et la stratégie nécessitant beaucoup de mouvements, des marches et contremarches qui souvent n'ont en vue que le succès d'une opération militaire actuelle, l'occupation temporaire implique rarement un but d'acquisition définitive comme conquête; et d'ailleurs, les efforts de l'adversaire pour reprendre sa possession constituent, autant que le simple litige entre particuliers, une contradiction suffisante pour empêcher qu'il y ait déjà des droits définitifs. Ceux qui existent selon les lois de la guerre, surtout lorsque l'occupation se prolonge, ne sont que des droits actuels et provisoires, nés des nécessités de la lutte ou des besoins de l'armée d'occupation, lesquels ainsi ne sauraient engendrer un titre ou droit définitif, tel que celui qu'exigent tous les principes pour l'acquisition de la propriété ou de la souveraineté territoriale.

Malheureusement pour la justice, ce n'est pas uniquement dans les lois appelées la raison écrite que se trouve la solution des questions dérivant de l'occupation d'un territoire par l'ennemi, quoiqu'il s'agisse de possession avec les analogies qui viennent d'être indiquées. Il faut principalement consulter les règles du droit des gens ou international, telles qu'elles ont été fixées et enseignées par les publicistes faisant

autorité. A cet égard encore, le droit a suivi les progrès de la civilisation, en proscrivant l'abus excessif de la force, en distinguant entre l'Etat belligérant et les particuliers qui ne sont pas ennemis eux-mêmes, en obligeant les troupes qui viennent occuper un territoire à respecter les droits privés et spécialement les propriétés particulières. Mais quels sont les principes actuels, quant aux effets de l'occupation territoriale ou aux droits que l'occupant prétendrait avoir et voudrait exercer? Comme ils sont dus à la civilisation moderne et à des traités internationaux qui ont fondé sur quelques bases rationnelles le droit public externe, on ne doit pas s'en tenir aux écrits des anciens publicistes, trop souvent influencés par de mauvaises pratiques auxquelles ils ne pouvaient que proposer des tempéraments. Tout en consultant les œuvres anciennes, il convient de prendre surtout pour guides celles des publicistes modernes qui ont fait ressortir la grande différence entre la force et le droit ; et il faut, ici spécialement, éviter la confusion trop souvent faite entre le simple fait matériel d'une occupation passagère et l'occupation continuée, entre l'occupation d'une portion de territoire où la lutte persiste et une occupation plus complète qui durerait avec esprit de conquête.

2. Distinguant des choses mobiles les terres ainsi qu'un territoire et se fondant sur le droit romain pour les conditions d'acquisition, Grotius, au temps où la conquête était admise même vis-à-vis des particuliers, reconnaissait déjà la condition d'une possession prolongée avec intention de retenir, en disant : «Mais les terres ne sont pas censées prises aussitôt qu'on les a occupées; car, quoiqu'il soit vrai que la partie d'un territoire qu'une armée a envahie avec de grandes forces, soit possédée par elle pendant ce temps-là, comme cela a été observé par Celsus, cependant une possession quelconque ne suffit pas pour l'effet dont nous traitons,

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