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mais il faut une possession durable.... Ne sera donc censé pris, que le terrain qui est enclos de fortifications durables, de façon que l'autre partie ne puisse ouvertement y pénétrer qu'après les avoir forcées'. » La même condition est enseignée par Heffter car, quoiqu'il ait une fois confondu avec la conquête l'invasion et l'occupation militaire, sa pensée est claire quant à la nécessité d'une durée jusqu'à la fin de la lutte pour qu'il y ait acquisition de la souveraineté. Il a dit d'abord: «La conquête totale ou partielle d'un territoire n'a pas pour effet direct de remplacer le gouvernement vaincu par le vainqueur, aussi longtemps que la lutte peut se continuer avec quelque chance. C'est seulement après avoir fait subir au peuple vaincu une défaite complète (debellatio, ultima victoria), après lui avoir enlevé la possibilité d'une plus longue résistance, que le vainqueur peut établir sa domination pour lui en prenant possession du pouvoir souverain, domination à la vérité usurpatrice, ainsi que nous l'expliquerons au chapitre iv. » Et pour la simple occupation temporaire, il ajoute : « L'occupation militaire, qui n'est qu'une invasion, ne doit pas être confondue avec la conquête définitive, pour laquelle est nécessaire à défaut de cession l'ultima victoria'. » M. Th. Ortolan va même jusqu'à nier un des droits que s'arroge parfois l'occupant, puisqu'il dit: « L'occupation et même l'administration militaires d'un pays par les troupes d'une puissance, par suite des opérations temporaires de la guerre, ne suffisent pas pour changer la juridiction nationale et substituer à celle du territoire temporairement occupé la juridiction de l'Etat occupant. Un pareil effet n'est produit que lorsqu'il y a eu incorporation ou occupation définitive'. »

1 Grotius, De Jure belli ac pacis, liv. 1, ch. vi, no iv.

2 Heafter, Le Droit international de l'Europe, §§ 131 et 132.

3 Th. Ortolan, Diplomatie de la mer, t. 1er, p. 314.

Si les instructions américaines donnent à l'occupation militaire les mêmes effets qu'à la conquête, notamment pour l'application de la loi martiale qui transmettrait à l'autorité militaire de l'armée occupante jusqu'aux pouvoirs du gouvernement, cela présuppose une occupation de quelque durée, à moins qu'il ne s'agisse que des lois de la guerre au seul point de vue des opérations militaires (Voy.infrà, no 4). Nous trouvons aussi des conditions de durée et de nécessité dans ces observations de M. Bluntschli, employant comme synonymes les expressions de conquête temporaire et d'occupation: «La conquête est un acte de violence et non un acte légal. La violence n'est pas une source naturelle du droit, et inversement le droit a pour mission de s'opposer à la violence. La conquête, le fait de mettre un territoire sous la domination physique du vainqueur, n'a pas le pouvoir de créer un nouveau droit; elle peut tout au plus donner un droit temporaire pendant une guerre. Pour qu'une conquête puisse engendrer des droits, il faut qu'un élément constitutif du droit vienne s'ajouter au fait de la suprématie du vainqueur; il faut en particulier que la nécessité du changement opéré soit évidente (note sur la règle 289). On irait trop loin en admettant que l'occupation du territoire par l'ennemi entraîne la suspension de tout le droit public et privé du pays occupé; ce droit continue à subsister, pour autant qu'il n'est pas incompatible avec l'ordre de fait amené par la guerre, et n'a pas été expressément abrogé ou suspendu par les autorités militaires (note sur la règle 540). Bien que les autorités militaires, en occupant un pays, y renversent les pouvoirs établis, cette prise de possession n'est jamais que provisoire tant que dure la guerre (note sur la règle 576). »

▲ Bluntschli, Le Droit international codifié, traduct. de M. Lardy, p. 169, 285 et 301.

Voilà déjà des distinctions reconnues, même pour le cas d'occupation prolongée.

3. Le début de l'occupation n'étant qu'une invasion de territoire, les quelques facultés concédées à l'armée d'occupation sont moins de véritables droits que de simples pouvoirs, attribués au chef pour les nécessités des troupes ou des opérations militaires. Ainsi: lorsqu'une ville ou commune vient à être occupée par l'ennemi, qu'elle ait été ouverte ou bien qu'il y ait eu résistance vaincue, que l'occupation doive être seulement passagère ou bien que le chef ait l'intention de la prolonger, dans tous les cas il faut aux troupes des logements et vivres pour le temps de leur séjour, et parfois le matériel de guerre a besoin de nouveaux moyens de transport c'est cette nécessité, à laquelle l'occupation actuelle d'un pays habité permet de satisfaire, qui légitime les réquisitions faites à cet effet par un chef d'armée ou de corps détaché (voy. notre ch. x, n° 8 et 9). Dans certains cas aussi, les approvisionnements faisant défaut pour des vivres et habillements nécessaires avec urgence, il faut faire des réquisitions en nature dans une ville ou commune occupée: c'est un pouvoir dérivant de la nécessité, plus encore que de l'occupation, qui ne suffirait pas pour créer un droit de contrainte vis-à-vis de particuliers non ennemis dont les biens doivent être ordinairement respectés (Ibid., n° 2-4). Le seul fait de l'occupation passagère ne saurait ériger en droit l'abus des réquisitions pécuniaires, vis-à-vis d'habitants n'ayant à payer que leurs impôts: si ces réquisitions peuvent être parfois légitimes, c'est seulement lorsque l'ennemi tient d'une occupation prolongée le pouvoir de percevoir les revenus publics, ainsi que nous l'expliquons ailleurs (voy. notre ch. xi, n° 8-12, et infrà, no 5). Dans le cas de blocus ou investissement, c'est la nécessité, pour les opérations militaires, qui légitime l'occupation des abords, interceptant

toutes communications : il n'y a qu'une fiction dans le système assimilant l'occupation à l'exercice de la souveraineté territoriale, pour fonder le droit vis-à-vis des neutres euxmêmes (voy. notre ch. xv, no 2 et 7).

Relativement à la souveraineté, des distinctions diverses sont nécessaires. On ne doit pas les prendre dans l'œuvre de Grotius, qui admettait la guerre comme moyen d'acquérir nonseulement la puissance civile sur les vaincus, mais même les biens personnels, et se trouvait obligé de recourir pour la résolution éventuelle à des fictions exagérées, dans l'application du système de postliminie que nous examinerons plus loin. On ne trouve pas davantage les distinctions qu'il faut ici dans l'œuvre différente de Vattel, qui s'est surtout attaché à exposer les conditions diverses de la souveraineté pour les rapports entre gouvernants et gouvernés. Il s'agit actuellement de la souveraineté territoriale, distinguée de la propriété du sol, et spécialement des droits que pourrait faire acquérir l'occupation par un belligérant. Nous laissons de côté les questions d'acquisition par une conquête consolidée, qui feront l'objet de nos deux derniers chapitres. Nous demandons comment une simple occupation militaire, pendant la guerre, pourrait opérer translation de la souveraineté entière à l'occupant, avec dépossession complète des droits du souverain, monarque ou peuple. La souveraineté, surtout dans les États constitutionnels, est un principe fondamental du corps social et un lien politique organique. Ses attributs sont considérables et multiples, comme l'indique cette définition donnée par notre célèbre jurisconsulte Merlin : « C'est le pouvoir de dicter et les lois politiques qui établissent la nature du gouvernement chez un peuple, et les lois civiles ou criminelles qui établissent les droits et les devoirs des citoyens dans les rapports qu'ils ont entre eux, et dans les

rapports qu'ils ont avec la société. » Un pouvoir de cette importance et aussi étendu, qui intéresse tous les citoyens autant que le représentant de l'État belligérant, ne saurait être tout entier à la disposition d'un chef d'armée ennemie, par cela seul que celui-ci se trouve occuper un territoire, ni même à celle de son souverain, aux vues duquel ferait obstacle le principe réprouvant les guerres de conquête. L'occupation temporaire, impuissante pour détruire la souveraineté ou en constituer une autre, peut tout au plus altérer celle qui existe et attribuer à l'occupant par démembrement quelques-uns de ses pouvoirs divers. Nous avons à rechercher quels sont ceux qui se trouveront ainsi déplacés.

II

4. L'occupation militaire par l'ennemi lui donne le pouvoir d'appliquer la loi martiale. Qu'est-ce qu'une telle loi, qui aurait besoin d'une définition précise? Ne voyant que les troubles intérieurs à étouffer par la force, Merlin disait : <«< On a ainsi appelé une loi du 21 octobre 1789, qui obligeait les municipalités de déployer la force militaire dans tous les cas où la tranquillité publique était en péril. » Mais cette loi de circonstance, abrogée et plus tard remplacée par celle qui règle les moyens de dissiper les attroupements, n'était que l'application d'une loi de nécessité, qui existe de plein droit pour un commandant en face de l'ennemi ou des rebelles armés, comme l'indiquent les instructions américaines disant, après avoir parlé de l'occupation par l'ennemi: « Il est permis au commandant des troupes, même dans son propre pays, de recourir à des mesures de rigueur lorsque les troupes sont en présence de l'ennemi, à cause des nécessités impérieuses de cette situation et du devoir suprême de

6 Merlin, Répertoire, v° Souveraineté.

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