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suit son cours régulier sur tous les points où les lois militaires n'ont pas modifié les lois ou règlements existants. Les autorités militaires ne peuvent créer des tribunaux que dans les cas exceptionnels et proclamer l'état de siége que si le danger est pressant et sérieux (r. 547). » Voilà des règles plus acceptables que le système de Martens et que celui du règlement américain.

Les pouvoirs de gouvernement comprennent d'abord la police, considérée dans toute son étendue : cet objet important est dévolu de plein droit au chef de l'armée d'occupation, sauf délégation pour l'exercice et les détails. Il en est de même quant aux revenus publics, à percevoir et parfois à fixer l'occupant a des droits actuels, qu'il doit d'ailleurs se garder d'exagérer vis-à-vis d'habitants étrangers à la guerre; c'est pourquoi on se récrie contre des réquisitions pécuniaires excessives, augmentant arbitrairement avec menace d'exécution militaire les charges des habitants paisibles (voy. notre ch. xi, no 8-12). L'occupation prolongée permet de séquestrer les propriétés domaniales, pour assurer la perception des fruits, mais nullement d'en disposer par aliénation ou autrement; c'est ce qu'a spécialement proclamé Heffter, disant : « Le principe que l'occupatio bellica ne constitue pas un titre complet à la propriété, ou à la souveraineté du territoire envahi, a pour conséquence nécessaire que le vainqueur ne peut disposer définitivement des biens immeubles qui font partie du domaine de l'Etat ennemi. Seulement, étant substitué provisoirement au souverain dépossédé, il a le droit de disposer à titre provisoire des fruits et des revenus qu'il aura pu saisir '. » Conséquemment, l'occupation n'autoriserait ni à détruire des bâtiments domaniaux, ni à couper et vendre les arbres de haute futaie d'une

9 Heffter, op. cit., § 133.

forêt domaniale. Il est spécialement recommandé à l'occupant de respecter tout ce qui tient à la vie intellectuelle du pays, sous le double rapports de la religion, des sciences et des arts. Les églises et autres bâtiments religieux, étant destinés à l'exercice du culte pour les habitants, doivent avoir une place marquée dans cette recommandation. S'il était extraordinairement d'une nécessité impérieuse pour l'armée d'occupation d'affecter momentanément un de ces édifices à quelque service militaire, la nécessité ferait loi. Pourrait-il être employé pour l'exercice d'un culte différent de celui auquel il a été consacré ? Le motif religieux légitimerait ce emprunt momentané, sans profanation.

6. Les pouvoirs de l'occupant, qui n'a pas acquis la souveraineté, ne sauraient aller jusqu'à entraver l'administration de la justice.

Dans tout pays civilisé, la justice est un besoin impérieux, pour les droits des habitants et pour la répression des faits troublant l'ordre public: chaque belligérant le reconnaît luimême, en prétendant que sa cause est seule juste et en invoquant la justice suprême pour la faire triompher. En ce qui concerne spécialement les droits et jugements inter incolas, il y a toute une législation, émise pour le règlement des rapports entre concitoyens et pour leurs intérêts civils, composée d'une série de lois qui ont été délibérées et votées par des mandataires élus avec concours d'autres depositaires du pouvoir législatif, ayant tous tenu compte des mœurs ou usages de la population; et sur la foi de ces lois parfaites sc sont établies d'importantes relations, ayant constitué des droits avec des obligations corrélatives. L'ordre social luimême serait gravement compromis, si le chef d'une armée d'occupation pouvait, pendant une guerre dont l'issue est incertaine et lorsqu'il n'a que des droits provisoires, changer une telle législation et par suite l'organisation judiciaire ou

les juridictions instituées pour l'appliquer le droit public et le droit privé doivent subsister malgré l'occupation temporaire, sauf changement en quelques points s'il y avait absolue nécessité pour leur conformité avec l'ordre de choses amené par la guerre. Or les juges naturels des habitants sont ceux qu'ils ont reçus, en vertu de la loi nationale et par l'organe de la souveraineté du pays, qui les a institués et à laquelle ils ont prêté le serment réglé par cette loi. Ces juges locaux ne peuvent rendre la justice qu'au nom de la souveraineté nationale, dont elle est une émanation directe; et le serment par eux prêté conformément à leur institution, ne leur permettrait pas soit d'en prêter un à l'ennemi du pays, soit de rendre la justice au nom de l'occupant ou de quelque autre. Donc, tant qu'il n'y a pas eu translation de la souveraineté entière par conquête ou traité, les lois du pays subsistent et les juges maintenus doivent continuer à les appliquer, sauf les entraves qu'apporteraient des obstacles accidentels pour cause de lutte armée. Les jugements ainsi rendus ne peuvent, sous aucun rapport, être par cela seul réputés annulables, ou susceptibles de révision 1o.

Il semble devoir en être de même pour la justice répressive, y compris les attributions de police judiciaire (sauf ce qui concerne la justice militaire, ainsi que ce sera expliqué au chapitre suivant). Les désordres de la guerre surexcitant énormément les populations et leur donnant de mauvais exemples, il est trop souvent commis des crimes ou délits contre les personnes et les propriétés, à l'intérieur ou dans le voisinage du pays envahi. L'état de guerre ne devant pas être une immunité exclusive de toute répression pour ces infractions graves, il faut bien que la police judiciaire du lieu recherche les preuves et les auteurs ou complices, pour les

10 Voy. le Traité du Droit internationl privé, par Felix, édition revue et augmentée par M. Ch. Demangeat.

livrer aux tribunaux chargés de punir les coupables. Plusieurs raisons majeures veulent qu'il soit procédé sans retard, à moins d'impossibilité absolue: il le faut d'abord pour les constatations et pour l'arrestation, surtout lorsque le crime ou délit est flagrant; de plus, pour avoir toute son efficacité, la répression doit être exemplaire et conséquemment aussi prompte que le permettent les nécessités de l'instruction et de la défense. D'ailleurs, l'action publique et même l'action civile de la partie lésée se prescrivent par un laps de temps moins long qu'en matière civile ordinaire; et le cours de la prescription commence, dès que l'infraction punissable a été commise. La guerre étrangère, pas plus que les troubles civils, n'interrompt ni ne suspend le cours de la prescription, qui est acquise par l'expiration du délai sans poursuite: ce n'est pas par le motif que le coupable aurait «possédé l'impunité », suivant l'expression de Dunod qui rattachait tout à la possession; la raison principale est que, outre les appréhensions ou les remords supposables, il y aurait, après un long temps, moins d'intérêt pour la vindicte publique ou l'intérêt social et trop de difficultés pour les preuves justificatives, qui auraient dépéri avec le temps. Telle est l'opinion dominante parmi les criminalistes, qui s'accordent assez généralement à enseigner que la prescription de l'action publique et de l'action civile accessoire court nonobstant l'état de guerre ". Tout cela concourt à exiger des actes de con

11 Voy. Merlin, Répertoire, vo Prescription, p. 868; Mangin, Action publique et Action civile, no 334; F. Hélie, Instruction criminelle, t. 11!, § 194, p. 717; Morin, Répertoire général du droit criminel, v° Prescription, no 20; Haus, Principes généraux du droit pénal belge, no 957; Brun de Villeret, De la Prescription en matière criminelle, n° 257 et 258; Le Sellyer, De l'exercice et de l'extinction des actions publiques et privées, no 518. C'est aussi ce que vient de décider la Cour de cassation, dont l'arrêt toutefois s'est fondé spécialement sur cette circonstance de fait qu'il n'y avait pas eu obstacle effectif à l'exercice de l'action publique (arr. décemb. 1871). C'est particulièrement pour les protêts et dénonciations, exigés à défaut de paiement de lettres de change

statation, avec jugement sans trop de retards, par les offi ciers de police judiciaire et les juges du lieu, qui doivent donc conserver leurs pouvoirs, d'autant plus qu'il s'agit d'in- · fractions aux lois du pays maintenues par l'occupant, dont la répression n'intéresse pas la sûreté de son armée.

Mais comment des officiers et juges locaux peuvent-ils faire tous actes de vérification nécessaires, dans un pays occupé militairement par l'ennemi? Les lois locales doivent en fournir les moyens. Ordinairement elles reconnaissent la compétence ratione loci, pour la poursuite ou l'instruction et pour le jugement, aux magistrats du lieu de la perpétration, à ceux du lieu où réside l'inculpé et même à ceux du territoire sur lequel il est arrêté. La doctrine et la jurisprudence, en France du moins, et pour les cas de connexité simple comme pour celui de complicité entraînant indivisibilité, permettent aussi au juge qui serait compétent à l'égard d'un des co-inculpés ou d'un des délits, d'instruire et juger les autres encore bien qu'il y eût des juges dans un autre ressort; et même il est des cas où, avec ou sans délégation par commission rogatoire, les règles de compétence n'empêchent pas ce qu'on appelle un « emprunt de territoire ». De plus, lorsqu'il existe quelque obstacle à l'exercice de la justice répressive dans le lieu où serait la compétence ordinaire, il appartient à la Cour suprême de saisir les juges d'un autre ressort, suivant les règles tracées par la loi d'instruction criminelle pour tous les cas pouvant s'assimiler à la suspicion légitime ou aux nécessités de la sûreté publique. Enfin, si l'obstacle existait pour les communications avec le chef-lieu auquel il faudrait une transmission, il serait faci

et billets à ordre lors de l'échéance, qu'il est admis que « l'exception de force majeure est applicable au cas de l'invasion de l'ennemi et des événements de guerre » (C. de Gênes, 28 avr. 1809; C. de cass., 28 mars 1810; Avis du Cons. d'État, 27 janv. 1814).

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