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lement levé par une loi de circonstance, autorisant à conduire le délinquant avec les procès-verbaux devant les autorités civiles ou militaires de l'un des arrondissements libres les plus voisins, qui se trouveraient investis des pouvoirs nécessaires pour achever l'instruction et procéder au jugement. Ceci encore démontre que les magistrats du pays doivent fonctionner, nonobstant l'occupation d'une partie du territoire par l'ennemi, occupation qui n'opère pas conquête lorsqu'il y a une résistance faisant échapper à l'invasion non-seulement la capitale, mais un nombre considérable de chefs-lieux où fonctionnent librement des officiers de police judiciaire, des juges d'instruction, des juges de 1 instance et des juges d'appel, voire même des cours d'assises pour les affaires de grand criminel.

III

7. Viennent maintenant les questions relatives au post liminium. C'est un sujet que les variations du droit des gens, quant aux effets de l'occupation par l'ennemi, ont rendu confus au point de mettre en désaccord les publicistes modernes eux-mêmes. Le mot indique, selon Grotius, d'après les jurisconsultes romains, un « retour sur le seuil », ce qui avait basé cette définition de Vattel: « Le droit de postliminie est ce droit en vertu duquel les personnes et les choses, prises par l'ennemi, sont rendues à leur premier état, quand elles reviennent sous la puissance de la nation à laquelle elles appartiennent. » Ce droit spécial, avec ses effets rétroactifs, reposait autrefois sur des fictions alors nécessaires. Suivant les maximes romaines, quant aux droits qu'acquérait

12 Voy. nos deux dissertations sur ces questions délicates, dans le Journal du droit criminel, mars 1870, art. 8975, et décembre 1870, art. 9068, p. 365377. Voy. aussi le décret-loi du 19 novembre 1870 (infrà, no 11, note 32).

le vainqueur, la victoire faisait conquérir ou absorber la souveraineté du peuple vaincu, tout ce qui était pris à celui-ci devenait conquête ou butin d'après le droit des gens, les ennemis personnellement perdaient la liberté à tel point qu'ils devenaient esclaves. Appliqué réciproquement aux citoyens romains qui seraient faits prisonniers, ce principe se retournait contre eux et demandait un principe contraire pour le cas où un prisonnier parviendrait en fuyant à retourner dans sa patrie: de là une fiction de droit, d'après laquelle alors ce prisonnier était censé n'avoir jamais été esclave et se retrouvait dans la plénitude de ses droits, même pour le temps intermédiaire. La fiction fut ensuite étendue aux droits sur certaines choses, prises par l'ennemi et reprises sur lui par leur propriétaire: on admit aussi qu'alors celui-ci serait censé n'avoir jamais été dépossédé de sa chose. De nos jours, les prisonniers de guerre n'étant que retenus jusqu'à la paix, sans perte de leurs droits, il n'y a dans leur absence qu'un fait et dans leur retour qu'un fait contraire, ce qui rend inutile le recours aux fictions de droit. Relativement aux biens, l'appréhension n'est permise à l'ennemi que pour les choses exposées aux chances de la guerre et susceptibles de perte comme butin, ce qui exclut la fiction de postliminie, et que pour celles comportant dans la guerre sur mer ce qu'on appelle « prise maritime»: or, comme l'a établi notre collègue Massé, l'appréhension par force ne constitue pas un droit tant que le capturé n'a perdu le sien ni par renonciation ni par jugement, la reprise qu'il ferait de sa chose serait le maintien de son droit avec anéantissement d'une possession de fait 13.

Cela ne veut pas dire qu'on n'ait point à parler de post

13 Voy. Pasquale Fiore, Nouveau droit international public, t. 11, chap. 1x, p. 349, et Massé, Le droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens, 1. 1, p. 142 et suiv.

liminie au contraire, le droit existe et doit être maintenu; mais, au lieu de le fonder sur des fictions trop ingénieuses pour être la vérité même, il est plus exact de dire que la dépossession n'était qu'un fait et que le droit de postliminie est inhérent au fait de reprise. De Martens arrivait au même résultat, mais avec exceptions pour certains cas, et semblait même admettre «qu'on n'a pas besoin de recourir à la fiction d'un droit de postliminie dès qu'on se persuade que la seule perte de possession n'éteint pas la propriété ». Le caractère du principe a été rétabli et généralisé par l'annotateur Pinheiro Ferreira, disant : « Le principe de postliminie n'est pas une fiction, ainsi que M. de Martens, accoutumé aux fictions du romanisme, se l'est figuré. Ce principe repose sur un fait réel, et qui est identique dans tous les cas où l'on invoque la jurisprudence qu'on a désignée sous le nom de postliminie. Une autre erreur de M. de Martens consiste à borner au petit nombre de faits matériels qu'il mentionne ici le cas de postliminie, tandis qu'il embrasse tous les droits acquis et tous les devoirs encourus pendant l'occupation de l'ennemi ....» Adoptant le principe ainsi posé, M. Pasq. Fiore l'applique même indistinctement à toute dépossession de territoire et de souveraineté, en ces termes : «Si un souverain reprenait dans le cours de la guerre ou à la conclusion de la paix son territoire occupé par l'ennemi, il rentrerait dans le plein exercice de ses droits, comme si le fait matériel de l'occupation n'était pas arrivé. Soit, en effet, que le vainqueur eût occupé militairement le territoire, soit qu'il eût précairement établi un gouvernement en exerçant les droits de souveraineté, la conquête n'étant pas un juste titre pour acquérir le domaine d'une province, le droit légitime du souverain n'est en rien diminué ni affaibli, et quand la

14 Voy. De Martens, § 282, et Pinheiro Ferreira, note.

condition anormale de la violence et de la force a cessé, il rentre en pleine jouissance de tous ses droits, comme s'il n'en avait jamais éte privé ". »

Il est des cas extraordinaires, pour lesquels le droit de postliminie comporte des applications tempérées. « Lorsqu'un peuple, dit M. Bluntschli, a repoussé les ennemis sans le concours du gouvernement renversé ou des alliés de ce gouvernement, ce dernier ne pourra recouvrer ses droits de souveraineté sans l'assentiment de la population (règle 730) » alors, c'est le principe de droit public, donnant la souveraineté à la nation, qui prédomine. Un autre cas est ainsi prévu et réglé par le même publiciste: «Lorsque l'ennemi est expulsé par une puissance tierce qui n'est ni souveraine ni alliée du souverain de la contrée libérée, le rétablissement du gouvernement et de la constitution antérieure ne sera pas la conséquence nécessaire de l'expulsion des ennemis. La puissance libératrice acquiert, au contraire, le droit de prendre part aux négociations qui régleront le sort du pays affranchi. Il va sans dire que le libérateur ne pourra disposer de ce pays, d'une manière définitive, sans tenir compte de la volonté des populations (r. 729). » Que si l'expulsion avait eu lieu par un allié, la règle serait celle que donnait Vattel en ces termes (liv. ш, § 243): « Lorsque les armées d'un allié délivrent un pays subjugué, il retourne sans doute à son premier état; son allié ne peut devenir son conquérant; c'est un libérateur qu'il est seulement obligé de récompenser. » De là d'importantes questions, qui ont été l'objet d'une discussion solennelle et d'un arrêt doctrinal. Le roi de Naples, allié du Pape, avait repris les Etats pontificaux sur les Français, qui les possédaient par conquête temporaire, et il avait accordé une amnistie pour certains

15 Voy. Pasquale Fiore, loc. cit., p. 351,

crimes. Ces Etats étant retombés sous la domination française, la Cour d'appel de Rome accordait à un accusé le bénéfice de cette amnistie. Sur pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi, le procureur général Merlin a discuté les questions qu'il formule ainsi dans son Répertoire, vo Souveraineté : «Le souverain qui reprend, par la force des armes, les Etats de son allié envahis par l'ennemi commun, peut-il y faire des actes de souveraineté? Que deviennent, après la rentrée d'un souverain dans ses Etats précédemment conquis, les actes de souveraineté qu'y a faits le conquérant? » Par arrêt de cassation du 30 avril 1812, la Cour suprême a considéré notamment : « qu'une amnistie est essentiellement un acte de la puissance législative; que la puissance législative est un attribut de la souveraineté; que le roi Ferdinand n'a jamais eu la souveraineté des Etats romains; que s'il les a occupés momentanément, ce ne peut avoir été que comme allié du Pape, ou par droit de conquête; que dans la première hypothèse, la souveraineté et conséquemment la puissance législative n'avaient pas cessé d'appartenir au Pape; que dans la seconde, la retraite des armées napolitaines ayant fait cesser l'occupation du territoire, elle avait fait ⚫ cesser ainsi la souveraineté de conquête, et anéanti de plein droit tous les actes émanés de cette souveraineté instantanée et précaire. »

8. Le plus ordinairement, la cessation de l'occupation temporaire a pour cause soit une marche de l'ennemi dans un autre sens, soit sa retraite volontaire ou forcée, soit une reprise de territoire en vertu de traité, sans intervention d'un allié qui deviendrait occupant. Quels sont alors les effets de la reprise, quant aux actes qu'aurait faits l'ennemi? S'il a fait des réquisitions nécessaires pour les besoins des troupes, par exemple pour logements et transports, les habitants qui y ont satisfait n'ont aucun droit de recours; et s'il a perçu

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