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(art. 1o); seront destitués et condamnés à l'emprisonnement tous agents des autorités civiles qui contreviendraient à cette disposition (art. 2); ce décret acquerra force de loi pour chaque département occupé par les troupes allemandes, aussitôt qu'il sera affiché dans une des localités qui en font partie (art. 3). Puis, le souverain envahisseur a constitué trois gouvernements généraux, dont chacun avait un gouverneur général militaire avec adjonction d'un commissaire civil. L'un était pour l'Alsace, le chef-lieu ou siége devant être à Strasbourg; un second, pour la Lorraine, son chef-lieu ou siége étant provisoirement à Nancy. A l'égard de ces deux provinces françaises, le roi de Prusse a procédé comme si elles fussent déjà conquises pour toujours, en émettant notamment des dispositions prohibitives et pénales qui allaient jusqu'au bannissement et à la confiscation, rigueurs extrêmes que nous préciserons dans les deux chapitres sur la justice militaire et sur la conquête. Le troisième gouvernement général était établi à Reims, pour les départements envahis ou à envahir autres que ceux de l'Alsace et de la Lorraine. Un décret allemand séquestrait tous les deniers de l'Etat. Par arrêté du gouverneur général de l'Alsace du 29 août, il était défendu à tout agent français de recevoir des sommes revenant à l'Etat ou à des caisses quelconques, de payer ou de déléguer ces sommes, directement ou indirectement, au gouvernement français, à l'armée, à des détachements de troupes ou à des administrations de l'Empire français. Des préfets allemands étaient établis dans les départements occupés. Des déclarations officielles admettaient que les lois françaises resteraient en vigueur, sauf suspension si la guerre l'exigeait; que les autorités municipales seraient maintenues, à moins d'hostilité; qu'il en serait de même pour les ressorts des autorités administratives, c'est-à-dire pour les circonscriptions. Relativement à la justice, devant conserver son libre cours,

il était dit dans plusieurs proclamations que, sauf les cas réservés aux tribunaux de guerre, « il n'y a rien de changé dans la compétence des tribunaux et des officiers judiciaires français, qui fonctionneront dans les formes légalement constituées avant la guerre ».

La diplomatie prussienne ne s'est-elle pas immiscée, après la révolution du 4 septembre, dans la politique intérieure du pays en partie occupé? Elle est trop habile pour avoir été au delà d'une immixtion indirecte, pour en avoir laissé des preuves écrites et pour n'avoir pas créé des preuves contraires. Nous ne pouvons donc relever, à l'appui des convictions à peu près unanimes en France, que des indices qui seront appréciés et probablement fortifiés. Dans plusieurs des grandes villes occupées par l'ennemi, à Reims et à Versailles notamment, l'habile diplomate s'était empressé de fonder, avec le titre français de Moniteur officiel, des journaux qui se mêlaient à la politique du pays et s'efforçaient d'exercer quelque influence. Sachant que M. Thiers irait visiter des souverains et diplomates pour une intervention officieuse dans des vues de pacification, il déciarait que « l'Allemagne ayant été obligée de s'engager seule dans la contestation, c'est avec elle seule que la France aurait à régler ses comptes »; mais en même temps il faisait publier à Reims que « les gouvernements n'avaient pas reconnu jusque-là d'autre gouvernement en France que celui de l'empereur Napoléon, et qu'à leurs yeux le gouvernement impérial était le seul, jusqu'à nouvel ordre, qui fût autorisé à entrer dans des négociations d'un caractère national ». Or il y avait eu des reconnaissances formelles et des déclarations officielles, outre les rapports que l'on qualifie d'officieux, de la part des puissances étrangères, dont les représentants diplomatiques étaient auprès du gouvernement, les uns à Paris, les autres à Tours. Dans le Journal officiel de Reims, rédigé par un

Allemand, imprimé avec contrainte et imposé aux autorités administratives, on allait jusqu'à se récrier contre le refus des tribunaux de juger au nom de l'Allemagne, jusqu'à dire qu'ils faisaient de la politique au lieu de la justice en refusant même de le faire au nom de l'Empereur et en préférant le gouvernement républicain, dont le fonctionnement n'était ni légal ni parlementaire (V. no du 26 oct.). Or ce gouvernement était accepté, tout au moins provisoirement, par toutes les autorités civiles et militaires, qui lui prêtaient un concours patriotique; il était même en pleine possession du pouvoir législatif, ainsi que l'ont reconnu l'Assemblé nationale, dès qu'elle a pu être élue, les tribunaux en général et la Cour de cassation elle-même, qui l'a proclamé, dans ses arrêts ayant à se prononcer sur la légalité des décrets émis par ce gouvernement 2.

Les lois civiles et pénales du pays étaient maintenues, sauf dérogations spéciales conséquemment, l'ennemi ne pouvait y introduire sa législation, si ce n'est en quelques points pour la sûreté de ses troupes et pour la garantie des droits qu'il s'attribuait. Le droit public des Français subsistait en général : donc l'envahisseur ne devait pas s'immiscer dans la politique du pays. La souveraineté n'étant pas conquise et se trouvant seulement altérée, les citoyens français

25 Arrêts nombreux des Cours d'appel et de la Cour de cassation elle-même, dont l'un dit : « Vu le décret du 13 septembre 1870 sur la chasse: Attendu que le Gouvernement de la défense nationale, lorsqu'il a promulgué ce décret, avait assumé, sans opposition de la nation, la responsabilité de l'exercice de la puissance publique et des pouvoirs législatifs; qu'en se donnant pour objet la défense du pays, il s'engageait implicitement, comme moyen d'atteindre ce but, à prendre les mesures nécessaires pour protéger l'ordre intérieur; qu'au milieu des désastres qui accablaient la France envahie par les armées ennemies et en l'absence de tout pouvoir régulièrement élu et constitué, les forces vives du pays lui ont donné leur concours; que depuis le rétablissement de l'ordre légal, l'Assemblée nationale et le pouvoir exécutif ont, dans leurs actes, admis le principe de l'autorité attachée aux mesures législatives de ce gouvernement tant qu'elles ne seraient pas législativement rapportées... >

conservaient leurs droits et ne pouvaient être soumis qu'à quelques obligations dérivant de l'occupation temporaire par une armée d'invasion. L'occupant s'attribuait le droit de percevoir les revenus publics: comment en a-t-il usé? Les impôts à payer par les Français contribuables étaient réglés par des lois de budget, qui les limitaient et qui en affectaient le produit aux charges de l'État envers eux : l'ennemi, sans acquitter aucune de ces charges, a perçu ces impôts partout où il étendait son occupation, a augmenté la dette des principaux contribuables en leur imposant un système de collectivité ou solidarité avec menace d'exécution militaire, et même a multiplié ses exigences au moyen de réquisitions pécuniaires dont le chiffre énorme avec collectivité était ruineux, tellement qu'une loi exceptionnelle a dû plus tard être émise par l'Assemblée nationale pour dédommager partiellement les victimes de ces exactions et d'autres (voy. notre ch. xi, n° 10-14, et ch. xi, n° 14 et 15). Parmi les revenus publics, tombant dans la jouissance de l'ennemi, pouvaient se trouver les coupes annuelles des forêts domaniales dans le territoire par lui occupé; mais cela n'autorisait pas à faire des coupes de haute futaie, comme il l'a fait dans plusieurs forêts et jusque dans le département de l'Eure. On a reproché aux Allemands, même dans un de leurs journaux, d'avoir vendu à l'encan près de Nancy des forêts entières et tout au moins d'avoir fait des coupes dévastatrices dans les forêts des Ardennes françaises: en démentant la première imputation, l'administration prussienne n'a pu se disculper du reproche d'avoir coupé et vendu ce qu'elle a appelé « des vieux chênes marqués comme devant disparaître". » D'un

2 Voy. la Gazette de Cologne, la Pall Mall Gazette du 3 février 1871, et la Revue de droit international, publiée à Gand, 1871, p. 337.

Dans le protocole annexé à la convention additionnelle du 11 décembre 1871, a été faite la déclaration suivante par les plénipotentiaires français,

autre côté, quoiqu'elle perçût les impôts dans les pays occupés même pendant la négociation du traité de paix, l'administration allemande a laissé libre cours à la contrebande, spécialement pour les cigares et le tabac de Belgique : des faits de contrebande ayant été constatés par les douaniers français dès qu'ils eurent repris leur service, les prévenus ont soutenu qu'il y avait eu abolition virtuelle des lois prohibitives; la Cour de Metz siégeant à Mézières a justement repoussé ce système "".

L'administration de la justice française, dans plusieurs villes occupées, a été entravée par différents moyens, dont il faut rappeler quelques-uns. A Nancy d'abord, un commissaire civil allemand voulait contraindre la Cour à « rendre la justice au nom des hautes puissances allemandes occupant l'Alsace »; c'eût été contraire à des principes fondamentaux, et les arrêts auraient été annulés par la Cour de cassation. Puis il disait qu'en cas de refus, l'autorité prussienne admettrait une « formule où le nom de l'Empereur des Français continuerait à figurer, puisque, quoique prisonnier, il n'avait point abdiqué. » Dans sa délibération motivée, où était visée la loi française ayant déclaré nuls des jugements rendus à Valenciennes sous l'influence de l'ennemi, la Cour de Nancy a considéré notamment: «qu'en France, à toutes les époques et sous tous les régimes, la justice a été administrée au nom du souverain, quel qu'il fût; qu'aujourd'hui, la cap

auxquels il en a été donné acte : « Des alienations de coupes de bois dans les forêts de l'État ont été consenties durant la guerre, sur territoire français, par les autorités civiles et militaires allemandes. A raison des circonstances au milieu desquelles ont été souscrits les contrats passés à ce sujet, le Gouvernement français ne saurait, en ce qui le concerne, reconnaître à ces contrats ni valeur légale, ni force obligatoire, et entend repousser toute responsabilité, pécuniaire ou autre, que les tiers intéressés pourraient, de ce chef, vouloir faire peser sur lui. » .

27 Arrêt de la Cour de Metz, siégeant à Mézières, 29 juill. 1871 (Dalloz, 71.2.132).

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