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tivité de l'Empereur et la proclamation de la République rendent indispensable la modification de la formule exécutoire, et qu'en interdisant celle que l'usage a consacrée et que les circonstances imposent, l'autorité prussienne place les magistrats français dans l'impossibilité légale de juger, en même temps que cette interdiction, qui pourrait plus tard s'étendre à d'autres points, constitue dès maintenant, et à elle seule, une sérieuse atteinte à leur indépendance et à leur dignité.» En conséquence, la Cour a « décidé, à l'unanimité de ses membres présents, qu'il y a lieu, pour elle, sans abdiquer ses fonctions, de provisoirement s'abstenir". » A Laon peu après, sur la prétention imminente d'un commissaire civil de l'envahisseur, le tribunal a pris la même résolution, par des motifs tirés de l'installation dans cette ville d'un commissaire civil prussien, de la non-reconnaissance par l'autorité prussienne du gouvernement républicain au nom duquel le tribunal rendait la justice, enfin de l'impossibilité pour lui de continuer à fonctionner selon les lois françaises "". Dans d'autres villes, à Reims comme à Troyes et à Versailles notamment, l'envahisseur avait d'abord laissé fonctionner les juges français, pour les affaires correctionnelles et de vacations; mais il y a eu des entraves diverses, ici par occupation des locaux, là par des moyens analogues et même en certains lieux par apposition de scellés, tandis que l'ennemi laissait fonctionner même des Cours d'assises avec jurés dans des villes où il voulait conquérir les sympathies de la population.

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11. De leur côté, en tout ce qui tient à la souverainété nationale outre la défense contre l'ennemi, le gouvernement et

28 Délibération de la Cour d'appel de Nancy, 8 sept. 1870 (Journ. officiel français, 21 septembre; Dalloz, Jur. gén., 1871, 2o part., p. 57). 29 Délibération du tribunal de Laon, 15 octob. 1870 (Dalloz, ibid., 2o part., p. 39).

les autorités françaises, y compris la magistrature, ont multiplié leurs efforts pour assurer tous les servicees publics, administratifs et judiciaires, même dans les pays partiellement occupés ou bien investis. Dès que l'approche des envahisseurs eut rendu imminent l'investissement de la capitale, le gouvernement français, voulant y conserver son siége, a constitué une Délégation, composée de plusieurs de ses membres et recevant tous pouvoirs, qui a fonctionné dans une ville de province pour le « gouvernement hors Paris » ; ceux des représentants diplomatiques qui ne préféraient pas rester dans la capitale, ont accompagné la Délégation. Ainsi fractionné, le gouvernement s'est efforcé de pourvoir partout à ce que demandaient les circonstances extraordinaires, en décrétant législativement et faisant publier toutes règles ou mesures nouvelles, jugées nécessaires, non-seulement à la défense nationale, mais aussi à l'administration et à la justice en tous lieux.

Pour assurer le fonctionnement régulier de la justice, premier besoin des peuples et ne devant jamais défaillir dans un pays civilisé, la Cour de cassation, juridiction suprême et régulatrice, a été législativement autorisée à se fractionner comme le Gouvernement. Une moitié environ de ses membres, voulant rester à Paris pour y continuer leurs fonctions autant que possible, l'ont fait malgré le siége et ont ainsi donné l'exemple aux magistrats inférieurs. La justice régulière, à tous les degrés, a donc fonctionné dans la capitale investie, comme en temps ordinaire et sauf entraves accidentelles; le principal obstacle était dans les autres devoirs qu'avaient à remplir des magistrats et des jurés, des avocats et d'autres auxiliaires de la justice, pour le service des ambulances et pour la défense, aux remparts ou dans des sorties en armes ".

30 Voy. Leberquier, La Justice pendant le siège (Revue des Deux-Mondes, 1er fév. 1871, p. 513-524).

Les autres membres de la Cour de cassation, qui se trouvaient hors Paris à raison des vacances et empêchés par l'investissement d'y rentrer, se sont réunis à Poitiers, puis à Pau, y ont siégé comme chambre spéciale pour toutes les affaires des départements non occupés par l'ennemi, et ont rendu de nombreux arrêts très-importants pour la marche régulière de la justice ".

Une loi de circonstance a dû être émise pour la police judiciaire, chargée de constater les crimes et délits, d'en recueillir les preuves et de déférer leurs auteurs aux tribunaux de répression. Elle était nécessitée par les obstacles que les marches de l'ennemi apportaient souvent aux transmissions de pièces et à la conduite des prévenus au chef-lieu. Son utilité se démontre par les dispositions que nous transcrivons en note 39.

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51 Voy. le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, pour 1870 et pour

1871.

32 Décret sur l'exercice de l'action publique dans les localités isolées par l'invasion.

Le Gouvernement de la défense nationale, considérant que le cours de la justice criminelle est interrompu dans les circonscriptions judiciaires, civiles ou militaires, dont les chefs-lieux sont envahis par l'ennemi et dont les parquets ne peuvent procéder régulièrement aux actes d'information, de saisie et d'arrestation prescrits par la loi, Décrète :

Art. 1. Pendant la durée de la guerre, lorsqu'un crime ou un délit, prévu par les lois pénales ordinaires ou militaires, aura été commis dans un arrondissement civil ou une circonscription militaire dont le chef-lieu est envahi par l'ennemi ou simplement investi, et dont les parquets civils ou militaires ne peuvent plus remplir leurs fonctions, les officiers ou agents de la police judiciaire locale pourront transmettre leurs procès-verbaux et conduire le délinquant devant les autorités civiles ou militaires de l'un des arrondissements libres les plus voisins.

Art. 2. Nonobstant l'art. 23 du Code d'instruction criminelle, ces autorités seront compétentes pour décerner des mandats, procéder à l'information, même par visite sur les lieux, et traduire les délinquants devant les juridictions dont relèvent les magistrats saisis de l'affaire. Dans tous les mandats, réquisitoires, ordonnances, ordres d'informer et actes émanés de ces autorités, antres que les procès-verbaux d'audition des témoins, elles mentionneront qu'elles agissent en vertu du présent décret. L'exception ratione materiæ pourra être

Partout où ils n'en étaient pas absolument empêchés par l'invasion ou par des entraves personnelles, les magistrats français ont continué l'exercice de leurs fonctions judiciaires, les tribunaux de répression eux-mêmes ont fonctionné au nom de la souveraineté nationale. Ils l'ont fait même dans des pays occupés par l'ennemi, en triomphant des difficultés qui se présentaient, par exemple lorsqu'il s'agissait de réunir en Cour d'assises des magistrats et un grand nombre de jurés appelés des points éloignés du chef-lieu. Aussi les magistrats de la Cour suprême, ayant à statuer sur des affaires qui venaient de ces Cours d'assises, par exemple de celles d'Evreux et de Colmar, ont-ils félicité leurs membres d'avoir courageusement accompli les devoirs de la justice. Il y a même eu, dans quelques pays où l'occupation militaire empêchait les magistrats français d'avoir juridiction sur l'ennemi, des constatations et des informations judiciaires pour délits commis par officiers ou soldats allemands. Ainsi: leurs nombreux vols de mobiliers produisant souvent ce double effet de dépouiller un locataire et d'enlever au propriétaire son gage, il y a eu des constatations par procès-verbaux d'huissier ou d'officiers de police judiciaire, pour servir de preuve au besoin. Des Prussiens ayant pillé une cave entière avec assistance de l'aubergiste qui les logeait, le juge de paix

invoquée en tout état de cause; mais l'exception ratione loci devra être proposée et discutée avant toute défense devant les juges de répression, et il ne pourra être relevé d'appel ou de pourvoi contre le jugement de rejet de l'exception, sans que l'intéressé attaque en même temps le jugement du fonds, auquel il sera procédé sans désemparer.

Art. 3. Lorsque, par suite de l'envahissement de l'ennemi, une partie d'une circonscription judiciaire se trouve privée de communication avec son cheflieu, les commandants de gendarmerie des circonscriptions voisines sont chargés d'établir avec la contrée isolée des communications exceptionnelles aussi régulières que le permettra la sécurité des militaires dont ils sont responsables.

Fait à Tours, le 19 novembre 1870.

a commencé une information qui a amené la condamnation de celui-ci, avec déclaration que c'étaient les Prussiens qui étaient auteurs principaux du vol; et elle a été maintenue par la Cour de cassation, sur notre rapport". Un marchand de cigares, venu de Berlin et disant avoir été attaché comme cantinier à un corps d'armée d'invasion, a été convaincu du vol d'une caisse de montres dans un hôtel à Reims : nonobstant l'occupation continuée, il y a eu condamnation en police correctionnelle **.

12. Quoique la paix ait été conclue, plusieurs départements français restent occupés par les armées allemandes, pour la garantie de ce qui est encore dû sur les cinq milliards exigés. Quels sont les droits que donne aux Allemands cette occupation temporaire? Le traité des préliminaires de paix, du 26 février 1871, contient ces stipulations: « Après le paiement de deux milliards, l'occupation allemande ne comprendra plus que les départements de la Marne, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Meuse, des Vosges, de la Meurthe, ainsi que la forteresse de Belfort avec son territoire, qui serviront de gage pour les trois milliards restants, et où le nombre des troupes allemandes ne dépassera pas 50,000 hommes (art. 3). Après la conclusion et la ratification du traité de paix définitif, l'administration des départements devant encore rester occupés par les troupes allemandes sera remise aux autorités françaises; mais ces dernières seront tenues de se conformer aux ordres que les commandants des troupes allemandes croiraient devoir donner dans l'intérêt de la sûreté, de l'entretien et de la dis

33 Voy. ch. x, no 7, et ch. xi, nos 5-7.-Adde, arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 1871, recueilli avec notre rapport dans le Journal du droit criminel, 1871, art. 9150.

34 Voy. l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Paris, du 14 juill. 1871 (Dalloz, 1871, 2o part., p. 128).

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