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il faut unité dans la législation comme dans le commandement, ce qui ne peut être garanti que par une loi judiciaire spéciale, appropriée aux exigences de la vie militaire.

La loi de justice militaire pour l'armée du pays doit être d'autant plus prévoyante, qu'on ne peut compter toujours sur le maintien de la paix, qu'il y aurait à défendre le territoire contre l'ennemi qui lui apporterait la guerre, que peut-être même l'armée sera-t-elle obligée d'agir en pays ennemi ou étranger. Le premier soin d'une telle loi doit être d'assurer la discipline dans l'armée, en quelque lieu qu'elle se trouve, ce qui demande d'abord l'organisation de juridictions spéciales, avec règlement des attributions et des formes, pour la répression de toutes infractions qui viendraient à être commises par des militaires : cela doit comprendre nonseulement les infractions spéciales, qu'on appelle délits militaires, mais même les crimes ou délits communs, que commettraient des militaires sans complicité de non militaires, parce qu'il importe qu'aucun soldat ne soit déplacé par la justice ordinaire. Cette loi spéciale doit aussi prévoir des situations accidentelles possibles, telles que l'invasion du territoire et la guerre à l'extérieur, puisqu'elles sont parfois inévitables et augmentent les devoirs avec le danger: or des dispositions plus spéciales encore sont nécessaires, pour les juridictions et la répression, dans les cas d'état de guerre sur le territoire, d'état de siége d'une localité et d'occupation militaire en pays ennemi. Alors il ne suffit plus d'avoir prévu et de faire punir les infractions de militaires, comme en temps de paix l'armée se trouvant en présence d'une multitude d'envahisseurs, ou bien d'ennemis à contenir dans leur pays, elle est exposée à toutes sortes de tentatives et même d'actions compromettant sa sûreté; pour prévenir ces dangers et pour punir de telles actions, la loi de justice militaire est obligée de disposer même contre les étrangers ou

ennemis qui attenteraient à la sûreté de l'armée autrement que par des combats. Du moment où il ne s'agit plus seulement d'une loi locale, liée au droit public et à la législation criminelle du pays, il faut que les dispositions allant plus loin soient combinées avec les lois de la guerre ou le droit international: ce sera la partie la plus difficile de l'œuvre.

Les publicistes ont négligé ce sujet, quoique important. Dans le règlement américain pour les armées en campagne, il y a seulement ceci : «La juridiction militaire est de deux sortes: elle comprend, en premier lieu, les cas déterminés par la loi et qui lui sont attribués, et, en second lieu, les cas prévus par les lois générales de la guerre. Les délits militaires déterminés par la loi doivent être jugés selon la forme qu'elle prescrit; les délits militaires qui ne sont pas prévus par la loi doivent être jugés et punis conformément aux lois générales de la guerre. Le caractère des cours qui exercent cette juridiction, dépend des lois locales de chaque État où elles siégent. Dans les armées des États-Unis, les cas de la première catégorie sont jugés par les cours martiales, tandis que les cas qui ne tombent pas sous le coup des règlements et articles de guerre (Rules and articles of war) sont jugés par les commissions militaires (art. 13). » Il n'y a ici aucune règle qui soit à suivre en tous pays, sauf l'explication ainsi donnée par M. Bluntschli : « Ces instructions font remarquer que la juridiction militaire repose sur deux bases fondamentales, la constitution, de laquelle les autorités militaires du pays. tiennent leurs pouvoirs, et le droit international, qui punit certains coupables non-seulement d'après les lois du pays, mais d'après les lois universelles de la guerre. Ces principes ont une valeur pratique surtout sur le territoire ennemi (note sur la règle 548). » Posant cette règle, M. Bluntschli s'abstient de suivre le système d'organisation et de répartition des attributions qu'indiquait le règlement américain;

ses préoccupations sont pour la défense des accusés et il dit: « Les conseils de guerre ne doivent pas procéder arbitrairement et avec passion; ils sont tenus de respecter les lois fondamentales de la justice. Ils doivent en particulier laisser aux accusés la faculté de se défendre librement, ne point recourir à la violence, établir avec soin, quoique sommairement, le corps du délit, et ne prononcer contre le coupable qu'une peine proportionnée à ses actes. Mais ils ne sont pas tenus de respecter strictement les lois ordinaires de la procédure. » L'éminent publiciste ajoute justement, en note: « Si la nomination des conseils de guerre a lieu conformément à la constitution du pays et aux règlements militaires des différents États, les principes ci-dessus ont par contre une portée générale et universelle; s'ils n'étaient pas respectés, la loi martiale cesserait d'être une loi; elle serait l'expression directe du désordre des passions. >>

2. Chaque nation a sa législation pour la justice militaire, appropriée comme elle l'entend aux besoins de la discipline et de la sûreté de ses armées. Celle de la France a subi des variations considérables et nombreuses, jusqu'à l'adoption récente du Code de justice militaire actuel. Il y eut autrefois des juridictions diverses, dont les premières furent la connétablie et les prévôtés, des règlements généraux et d'autres spéciaux, tels que ceux sur la police des gens de guerre, sur la police des troupes en route ou en marche, sur le service des troupes en campagne, etc. La révolution de 1789 ayant renversé tout cela, d'autres systèmes pour la discipline et contre tous ceux qui lui porteraient atteinte ont été successivement essayés. Le premier fut celui des lois de 1790 et de 1792, dont l'un instituait des cours martiales avec jurés, dont l'autre réglait la tenue des cours martiales en campagne et introduisait dans les armées une police militaire correctionneHe. Le second système était caractérisé par deux lois

du 12 mai 1793, substituant aux cours martiales des tribunaux militaires extraordinaires et créant un Code pénal militaire pour le temps de guerre. Le système des conseils de guerre, qui existe avec améliorations, fut fondé par une loi de l'an III, puis en l'an iv il y eut institution de conseils de guerre spéciaux pour le jugement des officiers généraux ou supérieurs. Enfin une loi du 13 brumaire an v organisa des conseils de guerre réguliers et permanents, avec conseils de révision dont les attributions furent réglées à l'instar de celles de la Cour de cassation; et, le 21 du même mois, parut un Code des délits et des peines pour les armées : le système de cette époque avait surtout en vue les temps de guerre, pour les juridictions militaires et la répression. La législation fondée par ces deux lois fut complétée par des lois, arrêtés des consuls et décrets, dont les dispositions à noter ici étaient celles qui concernaient les complices d'embauchage, les prisonniers de guerre, les personnes assimilées aux militaires, les conscrits réfractaires, les espions et les embaucheurs, enfin les capitulations dont nous parlerons au chapitre suivant. La charte de 1814 ayant écarté tout ce qui se trouvait incompatible avec les principes constitutionnels qu'elle consacrait, il y eut en 1829 un projet de loi relatif à la juridiction militaire, et un autre sous le titre de « Code de la justice militaire» ce sont leurs dispositions qui, après de longues discussions et avec les améliorations conseillées par l'expérience, forment le « Code de justice militaire pour l'armée de terre » adopté et promulgué en 1857, code tellement parfait qu'il a servi de modèle à celui de 1858 pour l'armée de mer, sauf les changements nécessités par la différence des services.

Quoique émis en temps de paix, comme ce dernier, le Code de 1857 n'a pas négligé les prévisions, utiles pour le temps de guerre, qui se trouvaient dans les lois précédentes

et notamment dans celles de l'an v. Sans doute son but principal a été de donner une législation spéciale aux militaires de l'armée de terre, en France, pour l'organisation et la composition des juridictions, qui seraient leurs juges naturels à raison de leur qualité, pour la procédure y compris la compétence, comportant des règles diverses, pour les délits militaires et pour les peines spéciales, avec application du Code pénal ordinaire quant aux crimes ou délits communs que la qualité ne faisait pas aggraver. Mais il y a aussi dans ce Code spécial des dispositions nombreuses pour le cas de guerre, qui prévoient toutes les situations, en France et en pays ennemi, qui régissent même les étrangers et les habitants des pays ennemis qu'occuperaient des troupes françaises. Ainsi : un chapitre spécial existe pour les conseils de guerre aux armées (liv. 1er, tit. 11, ch. 1, art. 33-37) et un second pour les conseils de révision aux armées (art. 38-41); deux autres ont été consacrés aux conseils de guerre et de révision, pour les communes, départements et places de guerre en état de siége (art. 43-50). Quatre chapitres règlent la compétence des conseils de guerre, avec conseils de révision, d'une part dans les divisions territoriales en état de guerre, d'autre part dans les localités en état de siége; de plus, ils ont des dispositions vis-à-vis de tous individus qui, l'armée étant en pays ennemi ou étranger, commettraient l'un des crimes ou délits prévus (liv. 11, art. 62-79). Relativement aux infractions et aux peines, il y a un ensemble de dispositions et quelques dispositions spéciales, prévoyant non-seulement des infractions de militaires français, mais aussi des crimes ou délits qui pourraient être commis par d'autres ou avec leur participation, et même des actes déjà punissables selon les lois de la guerre ou le droit international (art. 63, 64, 77, 204 et suiv.).

Parmi les dispositions pénales ainsi rendues applicables,

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