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Tous droits sont garantis par les dispositions législatives précitées d'une part, ceux de la discipline nécessaire, quant aux actions des militaires en campagne, et ceux de l'Etat ou de l'armée elle-même contre toutes infractions d'individus quelconques, qui pourraient porter atteinte à sa sûreté; d'autre part, ceux aussi de la justice, pour toutes personnes devenant ainsi justiciables de la juridiction militaire, quoique ce soit exceptionnellement à raison de la situation accidentelle. En effet, des conseils de guerre aux armées sont établis et fonctionnent de la même manière, ou à peu près, que les conseils de guerre permanents des divisions territoriales, suivant l'art. 33, portant: «Lorsque plusieurs divisions sont réunies en armée ou en corps d'armée, deux conseils de guerre sont établis dans chacune de ces divisions, ainsi qu'au quartier général de l'armée, et, s'il y a lieu, au quartier général du corps d'armée. Si une division active ou un détachement de troupes doit opérer isolément, deux conseils de guerre peuvent également être formés dans la division ou dans le détachement. Ces conseils de guerre sont composés ainsi qu'il est dit aux art. 3, 4, 7, 10, 11, 12, 13, 15, 16 et 17 du présent Code. » L'art. 37 rend applicables les art. 5, 15, 22, 23 et 24 augmentant les garanties. Par leş art. 38-41 sont institués des conseils de révision, et d'autres dispositions règlent les formes. De la sorte, aucun conseil de guerre ne peut ni être arbitrairement composé, ni méconnaître impunément les formes essentielles de la procédure judiciaire, ni condamner illégalement sans qu'il y ait annulation avec renvoi devant un autre pour nouvel examen.

4. Une loi de circonstance, lorsqu'il faut énergiquement défendre le territoire envahi, pourrait encore augmenter les garanties pour la sûreté de l'Etat ou la discipline de l'armée; mais ce ne doit jamais être aux dépens des garanties essentielles d'une bonne justice. Il se peut que l'expérience fasse

désirer quelque disposition nouvelle, soit pour prévenir ou punir des faits jusqu'ici imprévus, soit pour assurer la répression plus efficace par un jugement plus expéditif; mais encore est-il des limites que la justice ne permet pas de franchir. Nous verrons, au chapitre suivant, un remarquable exemple de l'excès blâmable, quant aux capitulations en rase campagne et aux juridictions ressemblant à une « commission militaire». Toutefois on ne devrait pas se récrier contre l'institution d'un conseil de guerre spécial, par cela seul qu'il lui serait donné une dénomination faisant supposer quelques règles anormales. Il n'y a rien d'antipathique à la justice militaire dans le nom de Cour martiale, donné en temps de guerre à une juridiction militaire spéciale, surtout pour des crimes flagrants ou pour des infractions aux lois de la guerre car ce nom est celui qu'emploie encore le règlement américain pour les armées en campagne, et ce fut en France la première dénomination des conseils de guerre, à une époque où il fallait concours de jurés. Ce qui importe plus que le nom, c'est que la juridiction nouvelle soit composée sans arbitraire, qu'elle respecte les droits de la défense, ainsi que le disait M. Bluntschli (sup., n° 1), qu'enfin elle ne puisse condamner que dans les conditions déterminées par une loi préexistante. Nous indiquons deux exemples récents.

De nouvelles armées ayant dû être formées après des désastres aussi extraordinaires qu'imprévus, le Gouvernement de la défense nationale hors Paris crut devoir émettre, le 2 octobre 1870, un « décret sur la répression des délits militaires flagrants et la création de Cours martiales ». Son préambule considérait « que du maintien ou du rétablissement de la discipline dépendent la dignité et la force des armées; que la législation et les règlements actuels ne contiennent pas de dispositions qui permettent de réprimer immédiatement les crimes et délits commis par des militaires

en campagne. » Nous n'avons pas ici à critiquer une disposition incidente, anormale, ayant paru nécessitée par des craintes et circonstances extraordinaires, qui disait : « Au feu, tout officier ou sous-officier est autorisé à tuer l'homme qui fait preuve de lâcheté, en n'allant pas se mettre au poste qui lui est indiqué, ou en jetant le désordre par fuite, panique ou autre fait de nature à compromettre les opérations de la compagnie et son salut, qui dépend de la résistance et de l'accomplissement courageux du devoir. » La première des dispositions décrétées, se rapportant véritablement à la justice militaire, disait : « Des Cours martiales sont établies, pour remplacer les conseils de guerre jusqu'à la cessation des hostilités, dans les divisions actives et dans les corps de troupes détachés, de la force d'un bataillon au moins, qui marchent isolément. » Les suivantes simplifiaient la forme de procéder. Les art. 4 et 5 réglaient la composition des Cours martiales, dont les membres devaient être pris par rang d'ancienneté, jusqu'à épuisement de la liste des officiers. L'art. 6 prévoyait des crimes, punissables de mort, tels que l'assassinat, le meurtre, la désertion, l'embauchage, l'espionnage, le vol, le maraudage, le pillage avec ou sans armes, etc., etc. L'art. 7 ajoutait « Tout individu non militaire qui se rendra complice d'un militaire dans un des crimes et délits prévus cidessus, sera soumis à la même juridiction et passible des mêmes pénalités. » Après d'autres dispositions, concernant notamment les prévôtés, venait celle-ci : « Les dispositions du présent décret s'appliqueront à tous les corps de troupes armés, équipés et entretenus aux frais de la République, ou qui auraient seulement reçu l'attache de belligérant. » Les Cours martiales ainsi constituées ont rendu différents jugements, dont plusieurs ont été frappés de pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi et avec utilité pour les condamnés. Les arrêts de cassation se sont fondés notamment sur ce qu'une

Cour martiale avait fonctionné avec concours de militaires étrangers et infligé la dégradation militaire en dehors des prévisions légales, sur ce qu'une autre avait prononcé sans qu'il y eût crime ou délit flagrant, et sur ce qu'une autre encore avait été instituée pour juger des volontaires avant qu'ils fussent réunis en bataillon3.

Pendant l'investissement de Paris, le gouverneur et le Gouvernement de la défense nationale ont émis un arrêté et un décret, considérant qu'il fallait prévenir ou réprimer sans délai les attentats à la propriété ou autres crimes, tels que le maraudage et l'espionnage, dont étaient menacées la banlieue et la place, avec des règles dont voici le résumé: Des Cours martiales sont instituées à Vincennes, à Saint-Denis et dans les 13° et 14° corps d'armée. Tout officier général, investi du commandement supérieur, ou opérant isolément devant l'ennemi, qui aura connaissance d'un crime commis contre le devoir militaire, et à l'égard duquel le Code de justice militaire a édicté la peine de mort, aura le droit de réunir, soit immédiatement, soit après l'opération militaire terminée, mais toujours dans les vingt-quatre heures, un tribunal spécial dit Cour martiale, composé d'un officier supérieur et de deux capitaines, pris en dehors de la troupe à laquelle appartient l'accusé. Il sera amené et aura un défenseur choisi par lui ou nommé d'office; la Cour entendra le rapport présentant l'accusation, les dépositions orales avec serment, l'accusé et son défenseur; elle prononcera soit la condamnation, soit l'acquittement, mais en cas de doute il y aura renvoi au conseil de guerre. Le jugement pourra être attaqué par la voie du pourvoi en révision; le conseil de révision sera

3 Décret du Gouvernement de la défense nationale hors Paris, du 2 octobre 1870 (Bull. des lois, no 31). Arrêts de la Cour de cassation, siégeant à Pau, des 2, 3, 16 et 24 février 1871 (Dalloz, Jurisprudence générale, 1871, 1, 121-127).

composé d'un officier général et de deux officiers supérieurs, ou, à défaut, des officiers présents les plus élevés en grade; il statuera sans délai; en cas d'annulation, l'inculpé sera renvoyé devant une nouvelle Cour martiale, qui statuera sans désemparer et sans nouveau recours possible *. Des circonstances extraordinaires ont entravé le fonctionnement de cette institution, qui n'est ici indiquée que pour exemple. Il en a été autrement des conseils de guerre spéciaux pour la garde nationale, dont les membres étaient élus et les règles étaient tempérées de différentes manières, ce que nous avons expliqué ailleurs 5,

III

5. Selon un principe de droit public qu'admet le droit des gens lui-même, la compétence territoriale, pour la répression, s'étend à tout ce qui est fictivement réputé faire partie du territoire de l'État occupant. Par exemple, un vaisseau de guerre, en mer ou dans un port étranger, ést comme un Etat qui voyage avec son drapeau et ses lois militaires il y a là une juridiction répressive compétente, visà-vis des délinquants ses justiciables. Une armée expéditionnaire, en pays étranger, est dans une situation semblable et même trouve sa protection dans ses lois, ainsi que dans ses tribunaux militaires, contre tous actes attentatoires à sa sûreté, comme nous le verrons. A plus forte raison en est-il ainsi, dans l'état de guerre contre l'étranger, de l'armée occupant un territoire du pays ennemi: la juridiction militaire qui l'accompagne doit avoir une compétence d'autant plus

4 Arrêté du Gouverneur de Paris, 26 septembre 1870; Décret du Gouvernement de la défense nationale, 2 octobre 1870 (Journ, off., 3 oct.; Bull. des lois, no 24).

B Voy. Journ. du droit criminel, 1870, p. 344-346. chap. v, no 8.

Voy. aussi notre

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