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étendue, qu'ici la sûreté de l'armée n'est garantie par aucune autre juridiction, ordinaire ou spéciale. Pour ce cas, plusieurs dispositions existaient dans des lois militaires françaises, que réunissait en un principe général le Code projeté en 1829, sur lequel le duc de Broglie disait dans son rapport, quant à la compétence: «Nous savons tous que la guerre ne se fait pas seulement les armes à la main; d'autres moyens souvent plus dangereux peuvent être employés par un ennemi peu scrupuleux d'user de tout ce qui est propre à favoriser ses desseins. Les séductions, la corruption peuvent atteindre des individus, l'opprobre de la société, que l'immoralité, la misère ou des circonstances extraordinaires disposent à tous les forfaits. » Dans le Code de justice militaire, de 1857, se trouvent les dispositions suivantes : « Tous les prévenus indistinctement sont traduits devant les tribunaux militaires... 2o s'il s'agit de crimes ou de délits commis par les justiciables des conseils de guerre et par des étrangers; 3° s'il s'agit de crimes ou délits commis aux armées en pays étranger (art. 77). Sont justiciables des conseils de guerre, si l'armée est sur le territoire ennemi, tous individus prévenus soit comme auteurs, soit comme complices, d'un des crimes ou délits prévus par le titre п du livre iv du présent Code (article 63). >>

Cette disposition, développant les précédentes, a une portée considérable, qui doit être ici précisée. Ailleurs, le Code, pour le cas de guerre et la protection de l'armée française sur son territoire en présence de l'ennemi, a étendu la juridiction militaire à tous individus, même étrangers, qui seraient auteurs ou complices de l'un des crimes prévus comme attentatoires à la discipline ou à la sûreté de l'armée. L'extension était plus nécessaire encore pour ceux de ces crimes qui seraient commis ou provoqués en pays ennemi, là où le danger est plus grand et où la répression n'aurait

pas d'autres tribunaux que les conseils de guerre de l'armée. Elle a donc lieu pour tous les crimes et délits compris dans les prévisions spéciales des nombreux articles auxquels se réfère l'art. 63; et cela, vis-à-vis de tous prévenus comme auteurs ou comme complices, parce que ceux de ces crimes qui ne peuvent être commis que par des militaires comportent cependant la complicité punissable par provocation caractérisée, ou par instructions données, ou par aide et assistance, selon les prévisions des lois pénales, combinées. L'attribution aux conseils de guerre comprend notamment : la trahison, l'espionnage et l'embauchage (ch. 1o, art. 204 à 208); les crimes ou délits contre le devoir militaire, susceptibles de complicité dans certains cas (ch. 11, art. 209 à 216); la révolte, l'insubordination et la rébellion, crimes s'aggravant par les moyens concertés et dont il faut punir sévèrement les instigateurs, militaires ou étrangers (ch. ш, article 217 à 225); l'insoumission et la désertion qui, quoique étant des délits militaires, comportent une sorte de complicité par provocation ou par recèlement (ch. v, art. 230 à 243); la vente, le détournement, la mise en gage et le recel d'effets militaires, faits qui présupposent le concours avec un militaire d'un non-militaire intéressé (ch. vi, art. 244 à 247); le vol, qui peut être commis soit par un militaire, soit par des habitants du pays au préjudice de l'armée ou d'un soldat (ch. vii, art. 248 et 249); le pillage, la destruction et la dévastation d'édifices, faits pouvant être perpétrés soit par des militaires, soit au détriment de l'armée (ch. vii, art. 250 à 256); le faux en matière d'administration militaire, qui pourrait être concerté entre un militaire et un fournisseur (ch. IX, art. 257 à 260).

Ici encore, toutes garanties sont données à tous droits et intérêts légitimes. Les conseils de guerre dont la compétence est ainsi étendue, ont une organisation et une composition

législativement réglées, qui les distinguent complétement des commissions militaires, justement réprouvées; ils sont soumis par le Code de justice militaire lui-même aux formes essentielles de la procédure judiciaire, ainsi qu'à l'obligation impérieuse de respecter les limites de la loi pénale à appliquer, sans quoi le jugement de condamnation serait à annuler sur le recours en révision; la voie du pourvoi en cassation est seule interdite aux condamnés, qui toutefois pourront profiter de l'annulation qu'aura provoquée le ministre de la justice (Voy. C. de just. mil., art. 38 à 41, 72 à 74, 80 et 81; C. d'instr. crim., art. 441).

6. Avec des lois et juridictions militaires telles que celles qui viennent d'être indiquées, l'État dont une armée occupe un territoire ennemi se trouve investi de tous pouvoirs nécessaires pour la sûreté de l'armée d'occupation, relativement à la répression des infractions qui pourraient la compromettre. L'occupation militaire, qu'elle produise ou non des effets allant jusqu'à l'exercice de la souveraineté territoriale en tout ou partie, autorise cet État à introduire sur ce territoire sa loi militaire et ses conseils de guerre, d'autant plus qu'il le faut pour assurer la discipline de son armée par la répression soit des délits militaires qui y seraient commis, soit même des infractions que commettraient des soldats au préjudice d'habitants du pays occupé; et cela, sans exception pour les crimes ou délits qui seraient à punir selon le Code pénal ordinaire, puisque la loi militaire s'y réfère quant à ceux qu'elle n'a pas prévus spécialement. De la sorte, et comme cette loi est complète pour toutes infractions qui seraient réputées attentatoires à la discipline ou à la sûreté de l'armée d'occupation, les chefs de cette armée n'ont pas besoin d'émettre des lois pénales nouvelles, qui créeraient des crimes ou des peines pour augmenter le cercle ou la rigueur de la répression: ce qu'il leur faudrait au

delà se trouvera dans les lois de la guerre, fixées par le droit international actuel; mais ce qu'ils feraient ne devrait être que l'application de ces lois, spéciales pour les combats, ou que la réglementation de leurs règles, sans rigueurs allant jusqu'à la cruauté. Aussi, dans ses dernières guerres ou expéditions militaires en pays ennemi ou étranger, la France n'a-t-elle fait punir par ses conseils de guerre, d'ailleurs soumis à des formes essentielles sous le contrôle des conseils de révision, que des infractions prévues et punies par ses lois, sans aggravation par aucun règlement de chef d'armée. Nous relevons comme preuves et comme exemples les juge ments qui ont été l'objet de recours en révision, et même déférés à la Cour de cassation sous prétexte d'incompé

tence.

Avant le Code de justice militaire, qui n'existait pas encore lors de l'expédition française à Rome, la loi du 3 brumaire an v, art. 4, déférait aux conseils de guerre permanents, outre les militaires et les individus attachés à l'armée et à sa suite, «<les embaucheurs, les espions et même les habitants du pays ennemi occupé par les armées de la République, pour délits dont la connaissance est attribuée au conseil de guerre. » Et celle du 21 brumaire an v punissait de mort, art. 4 du tit. vi, « la révolte, la sédition ou la désobéissance combinée, de la part des habitants du pays ennemi occupé par les troupes de la République, soit que la désobéissance se fût manifestée contre les chefs militaires, soit que la révolte ou sédition eût été dirigée contre tout ou partie des troupes de la République, ainsi que l'excitation à la révolte, sédition on désobéissance par un habitant du pays ennemi. « C'est en vertu de ces deux lois que le 1er conseil de guerre permanent de la division d'occupation d'Italie, en 1851, par des jugements qu'ont maintenus le conseil de révision et la Cour de cassation, a condamné: 1° le nommé

Moretti, habitant les États romains, pour excitation à la révolte contre une partie de l'armée française; 2° le nommé Hilaire, sergent infirmier-major, et une fille Rambaud, pour détournement d'effets d'un hôpital français à Rome, «attendu. que, si elle ne peut être assimilée aux militaires à raison de ses fonctions, puisqu'elle n'en remplissait aucune dans les hôpitaux militaires français à Rome, elle rentrait dans la catégorie des habitants du pays occupé par les armées de la République, dont les délits sont attribués à la compétence des conseils de guerre de ces armées par l'art. 9 de la loi '.» Suivant le Code de justice militaire de 1857, art. 63 et 225 combinés, un autre habitant de Rome, le nommé Graziani, a été reconnu justiciable du même conseil de guerre permanent et condamné par lui pour rébellion en bande armée de plus de huit personnes, avec violences et usage d'armes ; le jugement a été maintenu par décision du conseil de révision permanent et par arrêt de la Cour de cassation". C'est aussi en vertu du Code de justice militaire, art. 63 et 248, que deux habitants de Rome, les nommés Mariani et Rosati, ont été condamnés pour vol des bijoux et de l'argent que portait sur lui un capitaine français en garnison à Rome, par un jugement du 2o conseil de guerre permanent de la division d'occupation, qu'ont maintenu une décision du conseil de révision permanent et un arrêt de la Cour de cassation *.

6 Jugement du 1er conseil de guerre permanent de la division d'occupation en Italie, 28 mai 1851; Décision du conseil permanent de révision, 5 juin 1851; Arrêt de la Cour de cassation, 14 août 1851 (Bull. crim., no 339 ; Journ. du Droit crim., art. 5313). Jugem. de ce cons. de guerre, du 10 fév. 1852; Décis. de ce cons. de rév., du 21 fév.; Arr. de la Cour de cass., du 22 mai (Bull. crim., no 167).

7 Jugement du 1er conseil de guerre de la division d'occupation à Rome, 7 décembre 1864; Décision du conseil de révision, 15 décembre; Arrêt de la Cour de cassation, 19 janv. 1865 (Bull. crim., no 14; Journ. du Droit crim., art. 7978).

8 Jugement du 2 conseil de guerre de la division d'occupation à Rome,

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