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Les motifs de décision, pour la compétence de la juridiction militaire française vis-à-vis des habitants du pays occupé, ont été reproduits et plus amplement formulés dans des arrêts postérieurs, en ces termes :- «< Attendu que sur le territoire pontifical, le crime d'association de malfaiteurs est essentiellement attentatoire à la sûreté de l'armée, alors surtout qu'il a été accompagné du crime connexe de blessures faites avec intention de donner la mort à des soldats de notre armée agissant pour l'exécution des lois; attendu qu'en pays étranger, tous les faits criminels impliquant une atteinte à la sûreté de notre armée rentrent dans la spécification de l'art. 77, § 3, du Code de justice militaire, et sont essentiellement de la compétence des conseils de guerre; qu'ainsi l'exigent impérieusement les règles supérieures du droit public et des gens, l'armée qui occupe le territoire étranger devant pouvoir trouver en elle-même tous éléments de puissance qui lui sont nécessaires pour pourvoir à sa sûreté'. » — «Attendu que T..., sujet italien, était traduit devant le 1 conseil de guerre de l'armée d'occupation de Rome, comme prévenu 1° d'avoir fait partie d'une association de malfaiteurs envers les personnes et les propriétés et d'avoir eu dans cette bande un commandement en sous-ordre; 2° d'avoir, le soir du 8 mai 1865, commis, en réunion de plus de huit bandits armés, une attaque contre la troupe française agissant en vertu des ordres de l'autorité, et d'avoir, dans cette rébellion, tiré sur ladite, troupe des coups de fusil, avec intention de donner la mort, d'avoir ainsi, comme coauteur,

10 mai 1865; Décision du conseil de révision, 16 mai; Arrêt de la Cour de cassation, 23 juin 1865 (Bull. crim., n° 133; Journ. du Droit crim., art. 8125).

9 Jugement du 2o conseil de guerre de la division d'occupation à Rome, 10 octobre 1865; Décision du conseil de révision permanent de cette division, 25 octobre; Arrêt de la Cour de cassation, 30 novembre 1865 (Bull. crim., n° 214).

commis 1° l'homicide du voltigeur C.; 2° une blessure d'arme à feu au pied du voltigeur F., avec cette circonstance que l'homicide volontaire et la tentative ont été commis avec préméditation dans cette rébellion séditieuse...; que sur le territoire pontifical occupé par l'armée française, le crime d'association de malfaiteurs est essentiellement attentatoire à la sûreté de l'armée; qu'il en est de même, et à plus forte raison, du crime d'avoir commis, en réunion de plus de huit bandits armés, une attaque contre la troupe française, agissant en vertu des ordres de l'autorité, et d'avoir, dans cette rébellion, tiré sur la troupe des coups de fusil qui ont tué ou blessé des soldats de l'armée; que ces derniers faits constituaient en outre le crime prévu par les art. 217 et 225 du Code de justice militaire 1o. »

Au Mexique, où l'armée française avait combattu pour une cause alors discutée (que nous déplorons), c'est aussi en vertu des lois françaises que les conseils de guerre ont fonctionné contre des Mexicains. Une poursuite présentait même cette particularité, que la nature des crimes à punir, empoisonnement de soldats, exigeait le concours du Code pénal ordinaire; on le voit par l'arrêt ayant repoussé le pourvoi. «< Attendu, y a-t-il été dit, que l'empoisonnement reproché à Manuel Gonzalès, crime puni de mort par le Code pénal ordinaire, devait nécessairement tomber sous le coup d'une juridiction répressive; que le seul tribunal de répression régulièrement organisé était le conseil de guerre et que l'armée française était en territoire entemi; que le crime qui a fait mourir trois soldats français devait d'autant moins rester impuni, qu'il compromettait à un plus haut degré la sûreté

10 Jugement du 1er conseil de guerre de la division d'occupation à Rome, 30 août 1865; Décision du conseil de révision, 5 septembre; Arrêt de la Cour de cassation, 14 décembre 1865 (Bull. crim., no 225; Journ, du Droit crim., art. 8148).

et la conservation du corps expéditionnaire; que dans des circonstances aussi impérieuses, les règles supérieures du droit naturel, comme celles de la morale publique, voulaient que le conseil de guerre eût compétence pour juger le prévenu, et assurer ainsi à l'armée française une protection légitime; qu'en outre et quoique le fait incriminé ne soit pas prévu textuellement par le Code de justice militaire, il résulte suffisamment de l'ensemble des dispositions de ce Code, et notamment de la combinaison de l'art. 63 et de l'art. 77, §3, que quand il s'agit de crime commis en territoire ennemi, par un étranger, contre l'armée française, le conseil de guerre est compétent pour en connaître ". » C'est aussi selon notre Code de justice militaire qu'ont été jugés, au Mexique et avec des officiers de l'armée auxiliaire du général Marquez, plusieurs fournisseurs habitant le pays, coaccusés pour manquements dissimulés par des faux, dont plusieurs ont été condamnés et d'autres acquittés, ce qui a soulevé de graves contestations sur lesquelles a statué en dernier lieu le Conseil d'État 12.

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7. La Prusse, avec ses alliés, a une législation et un système de justice militaire qui sont à remarquer. Nous citons seulement pour ordre son ordonnance sur les Cours d'honneur, du 20 juillet 1843: c'est un règlement souverain, analogue à ceux qui existent en France pour l'enquête que doivent subir des officiers généraux, après une perte de vaisseau ou une capitulation de place. Il existe dans ce pays un Code pénal militaire et un Code d'instruction criminelle militaire, tous deux en date du 3 avril 1845, que l'art. 6 de la constitution germanique déclare applicables à toute l'armée allemande, nord et sud, en attendant la promulgation d'une loi militaire

11 Jugement du 1er conseil de guerre du quartier général à Mexico, 3 juin 1865; Arrêt de la Cour de cassation, 24 août 1865 (Bull. crim., no 179). 12 Voy. notre chap. x, no 12.

générale pour le nouvel empire. Ces deux Codes n'ont disposé qu'à l'égard des militaires prussiens, quant aux juridictions et pénalités, avec relation au Code pénal ordinaire de la Prusse, du 14 avril 1851, dont l'art. 5 porte : « Les lois pénales générales sont applicables aux militaires prussiens, à moins que les lois militaires ne disposent autrement. » Le Code pénal militaire n'a même aucune disposition directe pour les cas de guerre en pays ennemi, si ce n'est celle qui exige une autorisation spéciale pour butin ou pillage, d'accord avec cette règle du Code général ou civil allemand, relevée par Heffter : « L'État seul peut accorder l'autorisation de faire du butin. Le pillage des sujets ennemis, étrangers à l'armée, ne doit avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation du chef de l'armée. » Avec les prévisions de ces lois militaires, les tribunaux de guerre qui accompagnaient les armées allemandes, ayant envahi la France, auraient pu réprimer les vols et pillages qu'ont si souvent commis des soldats, des chefs inférieurs et d'autres pourquoi y a-t-il eu impunité pour presque tous? Vis-à-vis des Français, la justice militaire allemande a été étendue en ces termes par des proclamations de chefs d'armée, dont l'une était publiée à Reims le 5 novembre 1870: « D'après les ordres de S. M. le roi de Prusse, commandant en chef des armées allemandes, les crimes, délits et contraventions commis contre les puissances alliées, leurs armées et les personnes de leur suite, en outre les crimes, délits et contraventions commis par des personnes qui font partie de ces armées ou qui les suivent, sont jugés par les tribunaux de guerre d'après la loi pénale militaire. » Quelles ont été les incriminations et pénalités?

Les chefs des armées allemandes, exagérant la rigueur des lois de la guerre, ne se sont pas bornés à ordonner des violences extrêmes, que nous qualifions de cruautés, et jusqu'à la mise à mort sans jugement, pour des faits qu'ils supposaient con

traires aux lois de la guerre civilisée et qui pourtant n'étaient que l'exercice du droit de défense: ce sont des mesures arbitraires et odieuses, contre les personnes et les propriétés, que nous avons flétries là où elles étaient à indiquer (Voy. ch. v, n° 9 et 10; ch. x, n° 15; ch. xi, n° 13 et 14; ch. xi, n° 9 et 10, 14 et 15). Outre les pénalités diverses que créaient et faisaient exécuter certains chefs, des condamnations capitales, sans garanties ni délais, pour des faits susceptibles cependant d'appréciations modérées, ont été ordonnées par de prétendues lois pénales, au moins draconiennes, créant le crime et la peine, autorisant la création arbitraire d'une sorte de juridiction et prescrivant l'exécution immédiate, ce qui est un outrage à la justice et peut s'appeler assassinat juridique. Nous transcrivons le texte de l'ordonnance, émise dès le début de l'invasion, qui a été publiée et exécutée par les commandants de corps 13. On le voit, le cercle des faits

13 Proclamation publiée en août par les commandants en chef:

«< 1° La juridiction militaire est établie par la présente. Elle sera appliquée, dans toute l'étendue du territoire français occupé par les troupes allemandes, à toute action tendante à compromettre la sécurité de ces troupes, à leur causer des dommages ou à prêter assistance à l'ennemi. La juridiction militaire sera réputée en vigueur et proclamée pour toute l'étendue d'un canton, aussitôt qu'elle sera affichée dans une des localités qui en font partie;

2° Toutes les personnes qui ne font pas partie de l'armée française et n'établiront pas leur qualité de soldat par des signes extérieurs, et qui : — a) Serviront l'ennemi en qualité d'espions; — b) Égareront les troupes allemandes quand elles seront chargées de leur servir de guides; —c) Tueront, blesseront ou pilleront des personnes appartenant aux troupes allemandes ou faisant partie de leur suite; — d) Détruiront des ponts ou des canaux, endommageront les lignes télégraphiques ou les chemins de fer; rendront les routes impraticables, incendieront des munitions, des provisions de guerre, ou les quartiers des troupes; e) Prendront les armes contre les troupes allemandes ; Seront punies de la peine de mort. Dans chaque cas, l'officier ordonnant la procédure instituera un conseil de guerre chargé d'instruire l'affaire et de prononcer le jugement. Les conseils de guerre ne pourront condamner à une autre peine que la peine de mort. Leurs jugements seront exécutés immédiatement.

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3o Les communes auxquelles les coupables appartiendront, ainsi que celles

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