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détiendraient des habitants du pays qui ne doivent pas combattre. Un chef d'armée doit se borner à publier et appliquer ces règles, sans les étendre arbitrairement par des lois pénales improvisées pendant la lutte. Une telle extension se trouve dans des ordres qui édictent la peine mort, indistinctement, pour des faits de nature différente et en termes vagues ou indéfinis, de telle sorte qu'il y aura nécessairement condamnation et exécution capitales, dans des circonstances pourtant sans gravité intentionnelle ni danger réel".

Une grave question de justice militaire se présente ici, relativement aux excès punissables: nous essayons de la préciser et de la résoudre. D'accord avec la loi naturelle et la morale, les lois criminelles dans tout pays civilisé veulent la punition du meurtre, ainsi que des blessures volontairement faites. Les nécessités de la guerre font accorder une excuse, même justificative, à l'homicide et aux blessures dans les combats; mais, la guerre s'étant civilisée, les publicistes modernes s'accordent à proscrire certaines cruautés, réputées inutiles, et spécialement les homicides ou blessures qualifiées de tueries. Ce sont des actions coupables, qui doivent être tenues pour telles par les deux belligérants, par l'armée dont quelque soldat compromet son honneur, et par celle dont un membre a été victime. Outre la réprobation qui se trouve dans le droit international, chacune des lois pénales militaires a des dispositions contre l'homicide et les blessures autres que celles qui sont excusées ou justifiées par les nécessités de la lutte ne sont-elles pas applicables ici, et la répression ne peut-elle pas être exercée là où est pris le coupable? Le règlement américain dit textuellement, art. 71: « Quiconque blesse intentionnellement l'ennemi déjà réduit complétement à l'impuissance, le tue ou ordonne de le tuer,

20 Voy. notre chap. xi, n° 9 et n° 14, note 15.

ou encourage ses soldats à le tuer, sera mis à mort si sa culpabilité est démontrée, soit qu'il appartienne à l'armée des Etats-Unis, ou qu'il soit un ennemi capturé après avoir commis son crime. » Remarquons-le bien il y a ici présomption de crime capital, mais il faut vérifier la culpabilité, ce qui ne peut se faire qu'en jugement et que par un tribunal militaire; la répression du crime intéresse les deux armées, dont chacune a sa loi pénale contre le meurtre et les blessures volontaires. Quels seront les juges de répression? La priorité appartient à ceux de l'armée dont fait partie le coupable, de même que s'il avait commis quelque autre crime contre la discipline. Mais si le coupable s'échappe, ou bien s'il est capturé après son crime par des troupes de l'armée dont fait partie la victime, la disposition précitée reconnaît la compétence du tribunal militaire de cette armée. Où serait l'obstacle? Il ne doit pas y en avoir plus que pour la condamnation d'un espion ennemi, d'un prisonnier de guerre ayant violé sa parole et qui est repris les armes à la main car la répression s'exerce ici, non contre la nation ou contre un combattant ayant immunité, mais contre un individu personnellement coupable d'un crime selon toutes les lois.

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La solution doit être la même contre les pillards ou maraudeurs, quand ils sont pris avec preuves. La plupart de ces gens sans aveu n'ont guère de patrie, leur métier étant de suivre les armées pour faire de la rapine partout où ils le peuvent aussi chaque armée a-t-elle des juridictions spéciales, prévôtés ou Cours martiales, pour la condamnation des coupables de quelque pays qu'ils viennent. Mais il y a difficulté, relativement aux militaires commettant des vols, qui sont punissables selon la loi pénale ordinaire et la loi pénale militaire. Quand le vol a lieu dans un pays occupé par l'ennemi, la répression appartient au tribunal militaire de l'armée d'occupation dont l'honneur se trouve compromis par un membre

de cette armée et par un justiciable de ce tribunal; elle ne saurait être exercée par la justice ordinaire du lieu, puisque l'occupation militaire exclut une telle juridiction contre l'ennemi. Mais s'il arrive que l'occupation cesse par expulsion ou retraite, si le voleur est arrêté avant d'avoir pu rejoindre son corps ou s'il est capturé et amené dans un lieu où la justice du pays peut fonctionner librement, pourquoi ne pourrait-il pas y être jugé et condamné, alors même qu'il serait en flagrant délit ou porteur des objets volés? Sa qualité d'étranger ne s'y oppose nullement, puisque son crime ou délit est régi par la loi territoriale et puisqu'il y a compétence à raison du lieu. Trouverait-on l'obstacle dans la qualité de militaire ou combattant? Mais, loin qu'il s'agisse de délit militaire ou de combat, le vol est une infraction à toutes les lois et un fait réprouvé même par les lois de la guerre civilisée ou le droit international actuel. Donc la seule condition pour une répression par les juges du lieu, est que le pays ne soit plus occupé par l'ennemi et que le voleur s'y trouve après capture; il n'y a plus qu'à choisir entre le tribunal ordinaire et le conseil de guerre, si un tribunal militaire se trouve dans le lieu redevenu libre. A défaut de capture du voleur, demeuré inconnu, le complice non militaire peut être condamné par les juges ordinaires, avec constatation du vol dont est auteur principal le militaire étranger: c'est ce que la Cour de cassation vient de juger, à notre rapport".

IV

10. La juridiction militaire, étendue par l'état de guerre, l'est encore plus par l'état de siége, mesure extrême qui

21 Voy. le jugement et l'arrêt de condamnation (chap. x, no 7, note 12); l'arrêt de la Cour de cassation, du 15 décembre 1871, et notre rapport préalable (Journ. du Droit crim., 1871, art. 9180).

donne tous pouvoirs de police à l'autorité militaire et rend toutes personnes justiciables des conseils de guerre. Quelles sont en France les règles principales, à cet égard? Suivant un décret impérial du 14 décembre 1811 et la loi organique du 9 août 1849, on reconnaît d'abord l'état de siége effectif, qui ne peut guère exister què pour les places de guerre et postes militaires, comme résultat de l'investissement prévu par la loi de 1791, dont les dispositions sont résumées dans le décret précité, ce que nous avons expliqué au chapitre du blocus et de l'investissement (chap. xvi, no 3 et 4). Il peut y avoir aussi état de siége fictif, résultant d'une déclaration dans les conditions légales, comme moyen défensif contre un péril apprécié, ce qui a fait l'objet d'une première disposition dans la loi précitée de 1849, portant: « L'état de siége ne peut être déclaré qu'en cas de péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure (art. 1o). » Le pouvoir d'émettre une telle déclaration, qui aura pour effet de suspendre des garanties constitutionnelles, tient à la souveraineté comme une sorte de dictature temporaire; aussi la seconde disposition de la loi organique dit-elle : « L'Assemblée nationale peut seule déclarer l'état de siége, sauf les exceptions ci-après. La déclaration de l'état de siége désigne les communes, les arrondissements ou départements auxquels il s'applique et pourra être étendu (art. 2). » Si un sénatus-consulte, sous l'Empire, autorisa la déclaration par décret impérial, c'était sous la condition d'un référé au Sénat, ayant à en donner acte. Ce n'est qu'une déclaration provisoire, ayant besoin d'une ratification qui pourrait être refusée, qu'ont autorisée les art. 3 et 6 de la loi, pour les cas de prorogation de l'Assemblée nationale, de déclaration par un gouverneur de colonie et de déclaration par un commandant de place de guerre ou poste militaire. Quant aux places non classées, le pouvoir dont

nous parlons n'appartient pas au commandant : c'est ce qui a été reconnu pour la mise en état de siége de Paris, la déclaration étant faite par décret impérial avec référence au Sénat et la Cour de cassation ayant proclamé comme son procureur général qu'il n'y avait pas à appliquer les règles des places de guerre ".

Le premier effet de la mise en état de siége, suivant l'art. 7 de la loi organique, est de donner à l'autorité militaire tous les pouvoirs de l'autorité civile pour le maintien de l'ordre et de la police, ce qui comprend avec la police préventive même la police judiciaire, de telle sorte que des agents militaires peuvent faire des perquisitions et saisies, des arrestations et des informations préjudiciaires, ce que l'art. 9 autorise avec extension en ces termes : « L'autorité militaire a le droit : 1° de faire des perquisitions de jour et de nuit dans le domicile des citoyens; 2° d'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l'état de siége; 3° d'ordonner la remise des armes et munitions, et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement; 4° d'interdire les publications et les réunions qu'elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre. » L'effet quant à l'extension de la juridiction. militaire, pour le jugement même des infractions imputées, est celui que fixe ainsi l'art. 8: « Les tribunaux militaires peuvent être saisis de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la constitution, contre l'ordre et la paix publique, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices. » Cela comprend, d'une part, une foule de crimes et délits prévus soit par le

22 Voy. l'arrêt de la Cour de cassation, du 2 septembre 1870, et le remarquable réquisitoire de notre regretté collègue et ami Paul Fabre (Journ. du Droit crim., 1870, p. 340, note 41; Dalloz, Jurispr. gén., 1871.1.76-78). Voy. aussi notre chap. xvi, no 2.

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