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conditions, M. Bluntschli pose cette règle : « Les capitulations peuvent avoir lieu conditionnellement et sous certaines réserves, par exemple, sous la condition que les troupes de renfort ne seront pas arrivées avant telle date, ou que la garnison pourra se retirer librement avec les honneurs de la guerre (r. 697). » On trouve une condition inverse dans la convention de Versailles du 28 janvier, qui débutait par un armistice et disait qu'à défaut de prorogation du terme, Paris livrerait des forts et canons et que ses soldats se constitueraient prisonniers de guerre (voy. notre ch. xvш, n° 9). M. Bluntschli ajoute: «Le commandant des troupes qui menacent ou assiégent une ville, a le droit de faire insérer dans la capitulation des conditions relatives soit aux opérations militaires, soit à la personne ou aux biens des soldats de la garnison et des habitants. Mais il ne peut rien stipuler quant à la constitution politique et à l'administration de la place qui capitule (r. 699). » Ceci constate, d'une part, l'étendue des pouvoirs du commandant qui accorde la capitulation, pour tout ce qui tient aux opérations militaires, et, d'autre part, l'interdiction de toute stipulation qui trancherait une question politique ou de gouvernement, stipulation ou promesse qui aurait besoin d'une ratification : or, ainsi que le dit M. Bluntschli en note, « l'honneur et le crédit d'un État seraient gravement compromis, si les promesses politiques d'un général en chef n'étaient pas ratifiées par le gouvernement. >>

Comme toute convention licite, la capitulation conclue dans les limites des pouvoirs respectifs doit être exécutée loyalement, de part et d'autre. Si le pouvoir de l'un des contractants avait été excédé, s'il fallait une ratification ou s'il y avait quelque réserve analogue, la capitulation ne serait que conditionnelle, la condition qui défaillirait devrait être réputée destructive, il y aurait lieu de remettre les choses

dans l'état primitif. Seulement il surgirait des difficultés d'exécution, dont on a vu des exemples dans la capitulation des Romains aux fourches caudines et dans le cas que cite ainsi, d'après Phillimore, M. Bluntschli : « Lord Bentinck promit, en 1814, de reconnaître la liberté et l'indépendance de Gênes; le Gouvernement anglais sanctionna cependant quelques mois plus tard l'annexion de cette ville au royaume de Sardaigne..... Violation de la parole donnée (note sur la règle 699). » Mais lorsqu'il y a plus qu'une simple sponsion, quand la capitulation est parfaite et obligatoire, il ne saurait être permis ni au promettant, ni même à son gouvernement, d'en refuser ou entraver l'exécution complète. Ici encore M. Bluntschli dit avec raison: « Le droit international et l'honneur militaire exigent que ces dispositions soient respectées en toute bonne foi (r. 697). L'histoire nous rapporte malheureusement plusieurs cas où le vainqueur n'a pas respecté les conditions de la capitulation. Mais l'opinion publique a réprouvé, à toutes les époques, cette violation de la parole donnée (note). » Quand il y a eu reddition d'un vaisseau, d'une troupe ou d'une place, l'exécution consommée d'un côté laisse à l'adversaire tout l'avantage et parfois la possibilité d'éluder ses promesses: c'est une des causes qui ont fait imposer aux commandants d'impérieux devoirs, sanctionnés par le droit public ou criminel du pays, qu'il convient d'expliquer ici.

II

4. Si la capitulation opérant reddition est régie par le droit des gens ou international, c'est en tant que convention entre belligérants, au point de vue des pouvoirs nécessaires pour conclure, des stipulations ou conditions admissibles et des effets d'un tel pacte, devant recevoir exécution selon

les lois de la guerre. Mais il appartient avant tout au droit public et à la législation militaire, dans chaque pays, de fixer et sanctionner les devoirs imposés à tout commandant par la confiance de l'Etat, comme par l'honneur militaire, ne fût-ce que pour la responsabilité personnelle. C'est même essentiellement du domaine des lois pénales militaires du pays qui aurait à subir la reddition; car l'idée dominante est celle-ci : au-dessus des soldats, auxquels des armes ont été confiées par le pays pour sa défense, se trouve un chef ou commandant militaire, qui a reçu une mission de confiance, contenant mandat et dépôt, dont il ne pourrait sans déshonneur négliger ou violer les conditions; son devoir strict est de donner tous ordres nécessaires pour une défense soutenue, tant qu'elle est possible; il ne lui appartient pas alors de vouloir que ses officiers et soldats cessent la résistance, toute capitulation lui serait imputée à crime s'il ne prouvait pas avoir employé tous moyens commandés par l'honneur et par le salut du pays.

La marine militaire fournit des exemples mémorables de résistance jusqu'à la mort, qui auraient pu dispenser sa législation pénale d'édicter des peines pour les cas de capitulation. Un historien cite notamment ceux-ci, empruntés à la bataille navale d'Aboukir: «Le jeune Casa-Bianca, enfant de neuf à dix ans, et qui avait montré une constance au-dessus de son âge, fut englouti dans les flots à côté de son père, qu'il refusait de quitter. Thévenard, commandant de l'Aquilon, cruellement déchiré par les boulets, ne cessa d'encourager les siens jusqu'au dernier soupir. Blanquet-Duchayla, frappé à la figure par un coup de mitraille, et apprenant qu'il ne lui restait plus que trois pièces en état de servir, disait: tirez, notre dernier coup peut être funeste à l'ennemi. Du PetitThouars eut les deux cuisses emportées, et voulut mourir à son poste, comme Bruyes. Un autre boulet lui emporte un

bras; ainsi mutilé, il s'écriait: Equipage du Tonnant, ne vous rendez pas! coulez bas plutôt ! clouez le pavillon' ! » Ces traits d'héroïsme sont dus au profond sentiment de l'honneur, bien plus qu'aux sévérités menaçantes de la loi pénale militaire, qui ne saurait en exiger autant. Cependant elle a dû prévoir, pour les prévenir ou les punir s'il en survenait, des fautes de négligence ou faiblesse qui seraient imputables au commandant d'une force navale. Le matelot et même l'officier, quand arrive le moment suprême d'un combat, comptent sur les encouragements et la vigilance du commandant, placé sur son banc de quart et disposant du pavillon comme des forces réunies. En laissant flotter le pavillon, il dit par cela même : combattez! s'il abaissait le pavillon, cela voudrait dire: « nous sommes vaincus, ne combattez plus..... » Aussi le Code de justice militaire français, pour l'armée de mer, contient-il cette disposition aussi prévoyante que sévère, art. 268: «Tout commandant d'une portion quelconque des forces navales coupable d'avoir amené son pavillon lorsqu'il était encore en état de se défendre, ou d'avoir abandonné son commandement dans une circonstance périlleuse, est puni de mort avec dégradation militaire. >>

Dans les combats sur terre, en rase campagne notamment, il y a encore plus de facilités pour la défense, surtout depuis les progrès considérables de l'art militaire et des combinaisons stratégiques. Sans doute il peut arriver qu'une troupe, attaquée de près et décimée, soit réduite à la dure nécessité de mettre bas les armes pour avoir quartier: c'est même dans les prévisions des lois de la guerre civilisée, qui veulent qu'en pareil cas les troupes aient la vie sauve et deviennent prisonnières de guerre. Mais la question actuelle concerne

9 De Norvins, Histoire de Napoléon, p. 151,

une capitulation que souscrirait le commandant d'un corps d'armée entouré, avec ordre à ses troupes de mettre bas les armes au lieu d'essayer une percée, qui pourrait sauver une partie et porter secours ailleurs. Les combinaisons stratégiques étant multiples et comportant même des moyens nouveaux selon les circonstances, il n'y a pas ici place pour l'idée d'une capitulation, qui serait une défaite collective par l'ordre du commandant. Suivant les enseignements de l'histoire et de l'honneur, des souverains eux-même se sont défendus les armes à la main jusqu'au moment où ils étaient faits prisonniers; en rendant les armes dans une telle situation, il n'y a ni conditions stipulées ni déshonneur encouru. Autoriser les officiers et même les commandants à faire poser les armes en vertu d'une capitulation particulière, ce serait créer des dangers, détruire l'esprit militaire d'une nation et en affaiblir l'honneur. La situation est tout autre que celle du commandant d'une place assiégée, qui pourtant ne peut impunément capituler que selon les prévisions spéciales de la loi militaire du pays. En France, le Code de justice militaire, mettant à profit les leçons de l'expérience, a posé des règles salutaires avec distinctions. Nous allons les expliquer, en divisant.

5. En rase campagne, un général ou commandant de troupe, cerné par des forces supérieures et sommé de se rendre, doit résister encore et essayer de percer avec une partie de ses soldats, en se souvenant de la réponse du vieil Horace et en imitant les exemples donnés par tant de braves, par Ney, par Cambronne : il n'y aurait aucun déshonneur à être pris les armes à la main, comme le fut François Ier, parce qu'alors on ne fait aucun traité avec conditions et que la seule qui soit sous-entendue est celle qu'impose le droit des gens concernant les prisonniers de guerre; et fallût-il mourir, la résolution serait salutaire et digne pour l'honneur

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