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corps administratifs ne pourront requérir un commandanţ de place de la rendre, sous peine d'être traités comme des révoltés et des traîtres à la patrie. » Dans la loi militaire du 20 brumaire an v, une disposition spéciale punissait de mort << tout commandant qui, sans avoir pris l'avis ou contre le vœu de la majorité du conseil militaire, consentirait à la reddition de la place avant que l'ennemi y eût fait brèche praticable ou qu'elle eût soutenu un assaut (tit. 1, art. 2). » Elle était reproduite dans un arrêté du Directoire exécutif (16 messidor an vi), motivé par des redditions qui paraissaient avoir eu lieu sans la résistance que prescrit l'honneur français, « considérant la liaison qui existe entre les combinaisons de la guerre extérieure et de la résistance des places qui doivent appuyer les armées, et voulant donner satisfaction aux braves armées qui, malgré les vigoureux combats qu'elles ont rendus, n'ont pu réparer complétement les malheurs qui ont résulté des redditions prématurées. » C'était rappelé par le décret du 24 décembre 1811 sur les places de guerre, dont l'art. 110 disait : « Tout gouverneur ou commandant à qui nous avons confié l'une de nos places de guerre doit se ressouvenir qu'il tient dans ses mains un des boulevards de notre empire, ou l'un des points d'appui de nos armées, et que sa reddition, avancée ou retardée d'un seul jour, peut-être de la plus grande conséquence pour la défense de l'État et le salut de l'armée. Il se rappellera que les lois militaires condamnent à la peine capitale tout gouverneur ou commandant qui livre sa place, sans avoir forcé l'assiégeant de passer par les travaux lents et successifs des siéges et avant d'avoir repoussé au moins un assaut au corps de la place sur des brèches praticables. >>

Toutefois, il peut y avoir d'autres causes de force majeure pour la reddition. En conséquence, il était ajouté dans le décret et dans celui du 1er mai 1812: « Lorsque notre gou

verneur ou commandant jugera que le dernier terme de sa défense est arrivé, il consultera le conseil de défense sur les moyens qui restent de prolonger le siége. Le présent paragraphe y sera lu d'abord à haute et intelligible voix. L'avis du conseil ou les opinions de ses membres seront consignés sur le registre des délibérations. Mais le gouverneur ou commandant seul prononcera, et suivra le conseil le plus ferme et le plus courageux s'il n'est absolument impraticable. Dans tous les cas, il décidera seul de l'époque, du mode et des termes de la capitulation. Jusque-là sa règle constante doit être de n'avoir avec l'ennemi que le moins de communication possible et de n'en tolérer aucune. Dans aucun cas, il ne sortira lui-même pour parlementer, et n'en chargera que des officiers dont la constance, la fermeté, le courage d'esprit et le dévouement lui seront personnellement connus (décr. de 1811, art. 112) ». « La capitulation dans une place de guerre assiégée et bloquée peut avoir lieu si les vivres et munitions sont épuisés après avoir été ménagés convenablement, si la garnison a soutenu un assaut à l'enceinte sans pouvoir en soutenir un second, et si le gouverneur ou commandant a satisfait à toutes les obligations qui lui sont imposées par notre décret du 24 décembre 1811. Dans tous les cas, le gouverneur ou commandant, ainsi que les officiers, ne sépareront pas leur sort de celui de leurs soldats et le partageront (décr. 1er mai 1812, art. 4). » Il s'agit ici de réglementation. A raison des progrès opérés dans l'art militaire et des modifications qu'ont subies les lois militaires répressives, les dispositions réglementaires n'ont été reproduites qu'avec quelques changements, d'abord dans l'ordonnance royale du 3 mai 1832, art. 212-218, puis dans le décret impérial du 13 octobre 1863, dont l'art. 256 porte : « Lorsque le commandant supérieur juge que le dernier terme de la résistance est arrivé, il consulte le conseil de

défense sur les moyens de prolonger le siége. Les art. 254 et 255 du présent décret sont lus à haute voix : les opinions des membres du conseil sont ensuite recueillies et consignées au registre des délibérations. Le commandant supérieur, le conseil entendu et la séance levée, prend de luimême, en suivant l'avis le plus énergique, s'il n'est absolument impraticable, les résolutions que le sentiment de son devoir et de sa responsabilité lui suggère. Dans tous les cas, il décide seul de l'époque et des termes de la capitulation. Jusque-là, il a le moins de communication possible avec l'ennemi; il n'en tolère aucune. Il ne sort jamais lui-même de la place pour parlementer; il n'en charge que des officiers dont la fermeté, la présence d'esprit et le dévouement lui sont personnellement connus. Dans la capitulation, il ne se sépare jamais de ses officiers ni de ses troupes, et il partage leur sort après comme pendant le siége. Il s'occupe surtout du soin d'améliorer le sort du soldat et de stipuler, pour les blessés et les malades, toutes les clauses d'exception et de faveur qu'il peut obtenir. »>

Quant à la sanction pénale, d'après le Code de justice militaire de 1857, elle se trouve dans la combinaison de deux dispositions qui demandent explication. Au sein des commissions et du Conseil d'État préparant le projet, il y eut de graves discussions sur la question des conditions de jugement pour une capitulation de place. Plusieurs membres auraient voulu que le Code reproduisît toutes les règles inflexibles du décret de 1811; d'autres démontrèrent qu'elles comportaient une modification à raison des progrès de l'art militaire, qu'une loi répressive ne devait pas gêner le pouvoir d'appréciation qu'il fallait laisser aux chefs d'armée, pour que les règlements fussent mis en harmonie avec ces progrès, et même aux juges, pour l'examen de la question de culpabilité ou du degré selon les circonstances. On a donc

rendu obligatoire un préalable que nous expliquerons (no 8), et réservé au ministre le pouvoir de mise en jugement, qui, pour d'autres causes, est attribué aux généraux en chef. C'est ce qu'a fait observer le rapporteur de la commission du Corps législatif, disant sur l'art. 157: « Cette disposition comportait une exception lorsqu'il s'agit de capitulation. La capitulation est un fait de la plus haute gravité et offre un caractère tout spécial; les plus grandes questions d'intérêt public peuvent s'y rattacher. Votre commission a pensé que c'était le cas de déroger à la règle générale et de réserver le droit de poursuite au ministre de la guerre. » L'art. 157 contient cette réserve et l'art. 209 porte: « Est puni de mort, avec dégradation militaire, tout gouverneur ou commandant qui, mis en jugement après avis d'un conseil d'enquête, est reconnu coupable d'avoir capitulé avec l'ennemi et rendu la place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que prescrivaient le devoir et l'honneur 13. »

III

13

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7. Pour apprécier sainement des capitulations récentes, au point de vue spécial des actions personnelles et du jugement à porter selon les lois, il faut d'abord se bien pénétrer de cette vérité, qu'exprimait le rapport au Corps législatif sur l'article 209 du Code de justice militaire : « La capitulation avec l'ennemi et la reddition d'une place sont une chose licite ou bien un crime contre le devoir militaire, selon les circonstances. Reste la question de savoir où cesse le droit et où commence le crime. » On doit aussi se garder de tout jugement passionné, irréfléchi ou prématuré : la raison nous dit

13 Voir les procès-verbaux du Conseil d'État et du Corps législatif, l'art. 209 du Code de justice militaire et le commentaire par M. Victor Foucher.

qu'avant tout il faut une enquête par des notabilités militaires, avec impartialité; après quoi viendront des décisions éclairées et, s'il le fallait, un jugement régulier par des juges militaires institués avec garanties pour la justice. L'histoire décrira les événements extraordinaires qui, écrasant la France sous les coups redoublés d'une formidable invasion, ont amené successivement la capitulation d'armées et de forteresses rappelant et appréciant les fautes commises, jugeant chacun d'après ses œuvres et comparant les capitulations diverses, elle infligera aux uns la honte encourue et consacrera pour les autres la récompense que leur décerne la nation reconnaissante. Mais il en est une déjà jugée au tribunal de l'opinion, comme par l'Assemblée nationale: c'est la première, celle qui fut un désastre engendrant tous les autres et dont la flétrissure se trouve dans le mot de Sedan! Ce ne fut pas la faute de l'illustre maréchal qui, blessé dans une action des plus sanglantes, avait dû résigner le commandement, et dont la guérison tardive lui a permis de prouver encore avec sa valeur le plus grand dévouement au pays. Le jugement se trouve dans la déchéance solennellement prononcée après réflexion, ce qui peut être assimilé à la peine de mort politique contre les souverains (Voy. ch. iv, n° 9; ch. vn, no 18).

Un mois après le désastre de Sedan, des rigueurs extrêmes ont rendu forcées les capitulations de Strasbourg et de Toul, dont l'avis officiel disait : « Cinquante jours durant, ces deux héroïques cités ont essuyé avec la plus mâle constance une véritable pluie de boulets et d'obus. Épuisées de munitions et de vivres, elles défiaient encore l'ennemi. Elles n'ont capitulé qu'après avoir vu leurs murailles abattues crouler sous le feu des assaillants. » Ce n'est aussi qu'après une vigoureuse résistance qu'ont eu lieu les capitulations de Verdun, de Montmédy, de Soissons et d'autres places secondaires.

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