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libre de Strasbourg, dont M. Pasquale Fiore a dit avec raison: « Il n'est pas de province française qui ait plus que Strasbourg un sentiment plus vif, plus chaleureux de l'honneur français. » Inutile de démontrer quels sont aussi les titres spéciaux, tant de fois reconnus, pour les différentes parties de la Lorraine, également françaises. Donc l'invasion prussienne et ses prétentions, appuyées sur la force, n'ont été que de la violence, qu'une méconnaissance flagrante du grand principe qui impose à tous le respect du droit d'autrui 26.

Si la Prusse eût eu une cause quelconque de prétention soutenable à la possession soit de l'Alsace, soit de la Lorraine, en tout ou partie, elle n'eût pas attendu, pour la faire valoir, le long espace de deux siècles et plus, pendant lequel il s'est présenté pour elle tant d'occasions assez favorables: elle l'eût certainement fait, soit lorsqu'elle pouvait aller jusqu'à prendre un morceau de la malheureuse Pologne, soit en insistant dans les conférences ou congrès qui morcelaient différents pays pour établir l'équilibre européen en vue d'une paix durable, soit dans l'une ou l'autre des combinaisons, insinuées par sa diplomatie, pour les remaniements de la carte de l'Europe qui agrandiraient ou régulariseraient son territoire. S'il était vrai que ces deux provinces fussent allemandes, soit comme race ou à raison de l'ancienne origine, soit par une communauté de langage et de mœurs, le roi de Prusse et ses alliés auraient été accueillis, sinon comme des libérateurs, du moins avec sympathie et tout au moins avec indifférence au lieu de cela, ils ont cru nécessaire de commencer par un bombardement destructeur, tant il y

26 L'invasion de l'Alsace et de la Lorraine, par M. A. Mézières (Revue des Deux-Mondes, 1er et 15 octobre 1870). Le respect du droit d'autrui. Conférence à l'École de droit, par M. Beudant, professeur (Revue des cours littéraires, 7 janv. 1871).

avait de résistance; et, comme les jeunes gens valides fuyaient l'envahisseur pour rejoindre le drapeau français au péril de leur vie, il a été jusqu'à décréter contre tous absents la peine du bannissement pendant dix ans avec confiscation de tous leurs biens, présents et futurs, et annulation des dispositions qu'ils auraient faites ou feraient. Enfin, si l'Allemagne eût eu droit à quelque sympathie dans les deux provinces qu'elle voulait s'annexer, elle n'eût pas refusé de souscrire à une proposition, qui est d'ailleurs dans les principes du droit international actuel, d'après laquelle on consulterait les populations pour savoir si elles voulaient rester françaises, ou si elles consentaient à l'annexion demandée. Or il y a tout autre chose dans la cession obtenue par force, qui réserve seulement à chacun individuellement la faculté de ne pas devenir Allemand, en lui imposant alors des conditions difficiles, ainsi qu'on le verra bientôt. Donc, au lieu d'une revendication jugée légitime, il y a conquête par la puissance des armes, avec contrainte pour un consentement apparent de la nation.

10. Un autre système allemand, appuyé par toutes sortes de stratagèmes, est celui d'une offense personnelle au roi de Prusse et d'une agression française, d'une responsabilité encourue par la France ou impériale ou républicaine, d'une punition à lui infliger pour le passé et de garanties territoriales à exiger pour l'avenir. Il a été mis en œuvre par le plus habile des diplomates, organisant un jeu si compliqué que lui seul pouvait le connaître, trompant à la fois et successivement les uns et les autres, amis et adversaires, pour créer partout des apparences et une opinion factice. Le premier acte a été cette sorte de comédie, aboutissant à un conflit, à l'allégation d'une offense reçue et à des publications qui échaufferaient les Allemands en tous lieux. Alors sont venues celles d'un savant attaquant la France, avec des malices

peu ordinaires, et d'un autre, dissuadant l'Italie de prendre parti pour les Français, présentés comme indignes; puis un troisième a publié, dans le journal anglais le plus répandu, une série de lettres tendant à démontrer que la France était coupable et responsable, pour avoir engagé une guerre qui allait ébranler le monde entier; et même un publiciste belge, rédacteur en chef d'une revue de droit international, s'est laissé entraîner à publier des appréciations sur les incidents de la guerre, en mettant presque toujours les torts du côté de la France. C'est ainsi que l'opinion a été trop longtemps égarée, tout au moins indécise. Mais les abominations commises par les envahisseurs ont fait ouvrir les yeux, partout où elles ont pu être connues. Puis ont paru des publications de documents officiels, qui montrent d'un côté que le souverain français avait été entretenu par le diplomate allemand dans des illustons trompeuses, et révèlent clairement des manœuvres dont la connaissance, ainsi acquise, permet de dire avec certitude « qui est responsable de la guerre ».

Dès 1869, après les insinuations relatives à la Belgique et à la Hollande dont chacun répudie la priorité, le diplomate prussien avait préparé la candidature d'un prince allemand au trône vacant d'Espagne, qui est devenue la cause occasionnelle du conflit. L'Empereur en était informé par une lettre de M. Drouyn de Lhuys, du 17 novembre, disant : « J'ai l'honneur de placer sous les yeux de Votre Majesté une lettre confidentielle et deux documents qui traitent des diverses candidatures au trône d'Espagne. L'auteur demande un prince quelconque, majeur et capable; mais, en réalité, c'est le prince Léopold de Hohenzollern qui semble avoir ses préférences. L'Empereur trouvera peut-être utile de se faire rendre compte de ces pièces.» L'ambassadeur de France fut seulement chargé de faire une demande verbale, non

pas même au ministre dirigeant, mais à son suppléant intérimaire. Celui-ci répondit simplement qu'il ne fallait pas s'arrêter à ces « vaines rumeurs ». Le cabinet des Tuileries n'insista pas et n'avait fait aucuns préparatifs, lorsque le public, en juin 1870, fut informé de la candidature du prince allemand, dont l'avis parut être le premier et arriva comme un coup de tonnerre: donc il ne songeait nullement à une guerre contre la Prusse. C'est la réflexion faite en ces termes par le journal belge qui, en 1871, a publié la lettre ci-dessus «Se réservait-il, en prenant acte de cette dénégation, d'exiger de la Prusse, par la force des armes, le respect d'une parole si légèrement acceptée ? Songeait-il à en faire un casus belli? Mais alors, quelles mesures a-t-il prises? Comment s'est-il préparé à une guerre éventuelle ? La capitulation de Sedan, la prise de Strasbourg, la reddition de Metz et le bombardement de Paris répondent à cette question "7. >>

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Du côté de la Prusse, c'est aujourd'hui manifeste, il y a eu préparatifs entretenus pendant 20 ans, espérances fortifiées par les succès contre le Danemark, convoitises augmentées par l'écrasement de l'Autriche, qui faillit amener la guerre franco-prussienne. C'était prémédité par le fameux diplomate et par ceux qu'il avait besoin de mettre dans sa confidence, comme on le sait par les exploits de cette nuée d'Allemands ayant fait en France le métier d'espions et devenus nos adversaires armés. La provocation est partie de la Prusse, de sa diplomatie et de ses adhérents : on en trouve des preuves irrécusables, avec démonstration convaincante, dans l'ensemble des documents publiés depuis la guerre, dans la récente brochure sous le pseudonyme Scrutator, qui émane d'un très-haut fonctionnaire du Foreign

27 L'Indépendance belge, 3 février 1871.

Office, ayant vuet lu toutes les communications diplomatiques relatives aux incidents 28. Quand on connaît tout cela, il y a certitude que la provocation à la guerre vient de la Prusse et d'elle seule ; que la déclaration de guerre, si imprudente, n'a été qu'une conséquence de cette provocation; que la France n'était donc pas coupable et responsable, du moins

28 Les documents fournis par cette brochure concourront à l'enquête parlementaire, ordonnée par l'Assemblée nationale d'après la proposition de M. Haëntjens. Leur publication a été une réfutation péremptoire des allégations que M. Marx-Müller, linguiste allemand, publia dans le Times en octobre 1870. Ils démontrent que le jeu de M. de Bismark a été celui-ci : Susciter la guerre, pour dominer les tendances au libéralisme en satisfaisant les idées hostiles à la France; rendre la guerre inévitable, en brouillant les cartes, en persuadant à chaque souverain et à chaque nation qu'il y avait offense grave; mettre les torts du côté de Napoléon ou de la France, pour déterminer le roi de Prusse et l'Allemagne à vouloir la guerre, et pour que les États neutres leur fussent favorables; amener l'Empereur à déclarer la guerre, pour qu'il y eût enthousiasme en Allemagne, neutralité complète de ces États et vœux contre la France. Les moyens étaient ceux-ci Bâtir sur quelque légère apparence des allégations vraisemblables; conduire l'intrigue avec les yeux ouverts sur toutes les conséquences; s'éloigner lorsque le roi de Prusse serait engagé par l'autorisation de la candidature du prince allemand, et qu'il y aurait des complications ne pouvant être aplanies sans lui; revenir quand il y avait à en tirer parti; supposer que l'ambassadeur français a manqué aux égards envers le roi de Prusse, faire croire à l'Empereur que son ambassadeur a été blessé et aux Allemands que leur honneur national est engagé. Dernier acte: après l'incident aux eaux d'Ems, distribution gratuite, immédiate, d'un supplément spécial de la Gazette d'Allemagne, donnant un récit arrangé, pour surexciter l'Allemagne entière et provoquer explosion de hurrahs au Rhin!

On lit dans cette brochure: « Le comte de Bismark s'est décidé à saisir une portion du territoire français, pour avoir un irrésistible argument contre le libéralisme naissant de l'Allemagne. L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine ne sera jamais pardonnée par la France; et c'est la raison pour laquelle il l'exige avec insistance. Il prétend tenir la menace des vengeances françaises suspendue comme un sujet de terreur sur les libéraux de l'empire allemand... Ce que je reproche à la Prusse, c'est que, en prétendant s'annexer des territoires français sans consulter les populations, elle fait reculer de plusieurs siècles la civilisation de notre âge... L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine sera une tache sur l'écusson du nouvel empire allemand, tache qu'un déluge de sophismes ne suffira pas à laver. »

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