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au point de mériter une punition si rigoureuse que la perte de deux de ses provinces; qu'ainsi leur enlèvement ou leur cession forcée, outre les milliards exigés, a tous les caractères d'une conquête allemande.

Tous les essais de justification et d'excuse au besoin, d'où qu'ils viennent et malgré tant d'habiletés, sont impuissants devant l'évidence actuellement éclatante, devant la condamnation que prononcent tous les hommes éclairés et impartiaux, devant le jugement de l'opinion et devant celui de l'histoire, qui commence le procès. L'Alsace et la Lorraine étaient françaises et ne sont que conquises; la conquête est le produit de la force, appuyée de ruse, et la cession forcée n'est pas un meilleur titre, quand il y a contrainte envers la nation sans que les populations soient même consultées. Leur résistance persévérante, nonobstant les avantages proposés et les menaces faites tour à tour, réalise cette observation de Massillon: « Ses voisins deviendront ses ennemis, dès qu'ils pourront devenir sa conquête.» Loin de nous la pensée d'une nouvelle guerre, comme revanche ce n'est pas ainsi que nous entendons la revendication, qui ne doit jamais procéder que selon la justice. Tôt ou tard, avec de nouveaux progrès dans le monde civilisé, le droit reprendra sa place et il pourra y avoir des arbitres-juges. Ce n'est point la nation germanique entière, c'est la Prusse qui relève l'ancien empire d'Allemagne. La devise qu'elle reprend signifiait « toujours agrandisseur de l'empire », ce qui veut dire actuellement toujours envahisseur, pour dépouiller ses voisins. Le monde enfin se lassera de voir tant de conquêtes, opérées contre tout droit au jour solennel des revendications légitimes, la France et la justice recouvreront leurs droits séculaires.

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1. But légitime. Satisfaction ou transaction. Médiation possible. 2. Moyens divers. Cessation d'hostilités. Expulsion ou retraite. Préliminaires de paix.

3. Traité public. Conditions de pouvoir. Prince. Nation.

4. Conditions essentielles. Interdiction d'hostilités. Postliminie. Libé ration des prisonniers.

5. Amnistie. Distinctions. Excès. Infractions punissables.

6. Exécution de bonne foi. Question de consentement. Principes contemporains.

7. Anciens traités. Exécution prolongée. Confirmation et garantie par traités généraux.

8. Révocation ou modification. Mutuel consentement nécessaire.

9. Inexécution. Impossibilité. Rupture. Médiation ou arbitrage. 10. Résumé des atteintes aux traités. Infractions prussiennes.

11. Conditions de paix imposées par la Prusse Engagements énormes et dépossession.

12. Populations. Leur sort. Avenir de la France.

I

1. Ce sont les sauvages qui se font des « guerres à mort», et c'était dans les temps barbares qu'on admettait des «< guerres d'extermination ». Quoique le duel soit en certains pays ou toléré ou excusé, lorsqu'il a lieu loyalement, la justice n'hésiterait pas à y voir un crime, si l'offre de satisfaction ou la blessure d'un combattant était suivie de coups meurtriers. De même, dans une guerre entre États civilisés, il ne saurait plus être toléré que la force allât jusqu'à l'extermination du faible. S'il est permis à celui-ci de se défendre à outrance, les conseils de la prudence sont aussi à suivre par une nation ainsi menacée; son impuissance relative, étant

reconnue, interdirait à ses chefs d'entraver les vœux du pays pour la paix. Quant à l'envahisseur, ses pouvoirs sont limités par les principes actuels du droit international, qui veulent que la paix du monde ne soit pas indéfiniment troublée, qui réputent perturbateurs de la paix publique les conquérants ambitieux et n'admettent la continuation de la guerre, que jusqu'à ce que l'État lésé ou menacé dans son existence ait atteint un but légitime.

Vattel avait justement limité le but légitime de la guerre à la nécessité, soit d'obtenir une satisfaction due, soit de se défendre contre une violence actuelle ou imminente; et pour le cas où il s'agirait de droits incertains, obscurs ou litigieux, il n'admettait la guerre que comme moyen de «forcer à une transaction », en ajoutant: « C'est une erreur, non moins absurde que funeste, de dire que la guerre doit décider les controverses entre ceux qui, comme les nations, ne reconnaissent point de juge. La victoire suit d'ordinaire la force et la prudence plutôt que le bon droit. Ce serait une mauvaise règle de décision; mais c'est un moyen efficace, pour contraindre celui qui se refuse aux voies de justice; et il devient juste dans les mains du prince qui l'emploie à propos et pour un sujet légitime. » Puis l'éminent publiciste, lorsqu'il en venait à rechercher «jusqu'où on peut continuer la guerre», disait avec raison: « L'amour de la paix doit empêcher également, et de commencer la guerre sans néceзsité et de la continuer lorsque cette nécessité vient à cesser. Quand un souverain a été réduit à prendre les armes pour un sujet juste et important, il peut pousser les opérations de la guerre jusqu'à ce qu'il en ait atteint le but légitime, qui est d'obtenir justice et sûreté. Si la cause est douteuse, le juste but de la guerre ne peut être que d'amener l'ennemi à une transaction équitable, et par conséquent, elle ne peut être continuée que jusque-là. Aussitôt que l'ennemi offre

cette transaction, il faut poser les armes. » C'était exceptionnellement, pour ne pas favoriser la perfidie de certains peuples, que Vattel ajoutait : « Mais si l'on a affaire à un ennemi perfide, il serait imprudent de se fier à sa parole et à ses serments. On peut très-justement, et la prudence le demande, profiter d'une guerre heureuse, et pousser ses avantages jusqu'à ce qu'on ait brisé une puissance excessive et dangereuse, ou réduit cet ennemi à donner des sûretés suffisantes pour l'avenir. » Ce n'était aussi que pour faire triompher l'équité, qu'il disait comme moyen final: «Enfin, si l'ennemi s'opiniâtre à rejeter des conditions équitables, il nous contraint lui-même à pousser nos progrès jusqu'à la victoire entière, définitive, qui le réduit et le soumet1. » De Martens lui-même, d'accord avec Kant, reconnaissait que « le but légitime de la guerre n'est jamais d'exterminer l'ennemi, mais de l'obliger à une paix qui nous assure la satisfaction que nous réclamons; que les puissances civilisées proscrivent les guerres à mort, qui ne conviennent qu'aux barbares2 >>.

Les enseignements civilisateurs ayant été suivis, développés même par des œuvres modernes, et, d'un autre côté, certaines inventions ayant introduit dans la guerre des engins qui produisent rapidement d'épouvantables et irréparables malheurs, il y a plus de raisons encore aujourd'hui pour mettre fin aux hostilités réciproques, dès qu'on peut concilier les nécessités de l'honneur national avec les droits de la justice. L'accord devant faire cesser les maux de la guerre, les réparer même autant que possible, est un devoir de conscience et de bonne politique, pour tous ceux dont la position officielle leur permet d'y concourir, en préparant ou

1 Vattel, Le Droit des gens, liv. III, § 28 et § 38; liv. Iv, ch. 1er, § 6 (trad. de M. Pradier Fodéré, t. 2, p. 370 et 378, et t. 3, p. 170). 2 De Martens, liv. 1, chap. IV (édit. de M. Ch. Vergé, t. 2,

p. 221).

en sanctionnant cet heureux résultat. Quand les blessures reçues par une nation lui font désirer la paix, ses représentants ont le devoir impérieux de la proposer, en faisant des avances ou offres conformes aux exigences de l'équité, selon la situation. En présence d'une telle proposition, l'adversaire, fût-ce un envahisseur victorieux, ne saurait refuser d'entrer en négociations; et, s'il ne veut pas encourir une qualification flétrissante dans le jugement de l'opinion et de l'histoire, il doit éviter des exigences tellement exorbitantes, que ce serait vouloir une guerre à mort ou des sacrifices presque impossibles. Ce devoir de conscience et d'honneur incombe surtout à ceux qui, comme souverains ou représentants à un autre titre de leur nation, ont le pouvoir supérieur pour la conduite de la guerre au point de vue politique. Il existe aussi pour les ministres ou diplomates auxquels a été confiée, parallèlement aux pouvoirs des commandants, la direction politique de la guerre quant aux incidents ou difficultés qui comporteraient une décision, ou un accord plus large qu'une simple convention militaire : la bonne diplomatie gagnerait beaucoup à entrer dans cette voie, comme nous l'avons démontré d'accord avec d'éminents publicistes à l'égard des conflits d'où peuvent sortir la guerre et tous ses maux3. Relativement aux représentants des puissances neutres, nous ne croyons pas que le principe de nonintervention, qui s'est introduit comme un progrès dans le droit des gens volontaire, les condamne à rester spectateurs impassibles des luttes acharnées d'une guerre sans fin, quand il leur serait possible de proposer utilement leurs bons offices pour une conciliation. Que dirait-on d'individus qui, voyant deux hommes se battre ensemble avec des instruments meurtriers, examineraient de sang-froid la lutte,

3 Voy. notre chapitre sur la rupture de la paix et les mesures intermé◄ diaires (ch. II, no 2),

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