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en se disant que cela ne les regarde point? S'il n'y a pas dans cette assistance passive une complicité punissable, au moins doit-on y voir un manquement aux devoirs de conscience et d'ordre moral; à plus forte raison peut-on dire que les gouvernements neutres ont pour devoir, selon la morale et l'intérêt public, d'offrir leur médiation pour un accord possible, et qu'il serait exorbitant qu'un belligérant la refusât par l'unique motif que les deux parties ont des comptes à régler entre elles seules.

2. La guerre peut finir de plusieurs manières, dont la meilleure est un traité de paix et d'amitié. Il y en eut autrefois qui se terminèrent, au moins pour un long temps, par la simple cessation des hostilités sans traité définitif, soit en ce que des deux côtés on était las de la guerre, soit parce qu'aucun des belligérants ne voulait reconnaître le droit prétendu par l'adversaire, scit enfin parce que des croyances religieuses semblaient à l'un s'opposer à ce qu'il contractât avec l'autre plus qu'une trêve, indéfinie ou pour tant d'années (voy. notre ch. xviii, no 1). Actuellement, un tel mode n'aurait pas toute l'efficacité qu'exige l'état de la civilisation. Un point de départ fixe est nécessaire pour la cessation respective des hostilités, dont la continuation d'un côté paraîtrait provoquer leur reprise de l'autre. Il faut fixer les droits respectifs, au moins quant à l'objet litigieux ou aux causes de la guerre, qui sans cela subsisteraient pour une guerre nouvelle. Quand et comment reprendraient les relations pacifiques, qui sont nécessaires de nos jours entre Etats n'étant plus en guerre? Quel serait enfin le sort du territoire qu'occuperait l'ennemi se bornant à cesser les hostilités, s'il n'intervenait pas de convention définitive? M. Bluntschli, dans sa première règle sur la fin de la guerre (r. 700), dit simplement : « La guerre peut prendre fin sans traité, par suite de la cessation des hostilités et de la reprise des relations pacifiques entre les

belligérants. Ceux-ci conservent les territoires qu'ils occupaient à la fin de la guerre. » Mais dans sa note il reconnaît lui-même qu'alors le moment auquel la guerre a cessé est incertain, que la question qui avait amené la guerre n'est pas élucidée et que chaque partie conserve ses anciennes prétentions; qu'à défaut d'accord spécial quant aux possessions, il faudrait faire concourir la règle statu quo post bellum res sunt et en partie celle statu quo ante bellum. Ce serait aussi injuste que d'une difficile exécution.

S'il est un cas où nul traité n'est nécessaire, c'est celui de l'expulsion ou de la retraite de l'envahisseur. Alors sa cause est perdue et son invasion doit être réputée injuste. Tout le territoire qu'il avait momentanément occupé est définitivement affranchi, avec les effets entiers du droit de postliminie qui efface même le fait intermédiaire, ainsi que nous l'avons expliqué quant à l'occupation temporaire (ch. xx, n° 7 et 8). L'État ayant subi l'invasion se trouve avoir un grief actuel, qui l'autoriserait à poursuivre l'ennemi jusque sur le territoire de celui-ci, mais qu'il pourra plus justement réserver, pour le faire valoir autrement en temps et lieu. C'est comme au cas où, dans un duel, l'un des combattants a désarmé son adversaire, qui l'avait provoqué. Ici, à la vérité, des conditions préalables ont dû être arrêtées, et il y a des témoins présents, de telle sorte que l'adversaire mis hors de combat est réputé avoir fait réparation. Mais, de ce que le droit à une réparation ultérieure subsisterait, vis-à-vis de l'envahisseur au profit du pays ayant subi une invasion momentanée, il ne suit pas que l'état de guerre doive être maintenu après cessation des hostilités effectives, par cela seul qu'il n'intervient pas dès à présent un traité de paix formulé. Une nation magnanime ou généreuse peut ne pas vouloir user de représailles : en s'abstenant de poursuivre l'adversaire jusque chez lui, elle manifeste sa volonté de mettre fin à la guerre elle

même, qu'il y ait ou non pardon. Mais ce cas est fort rare, soit à raison de ce que l'invasion aura été préparée et appuyée de forces supérieures, soit parce que celle qui serait repoussée légitimerait une poursuite ou attaque préventive, profitant du succès pour obtenir des garanties dans l'avenir.

Ordinairement et régulièrement il faut, pour mettre fin à la guerre, un traité définitif qui fixe les droits respectifs avec conditions ou stipulations réciproques. Aussi Vattel disait-il, après avoir limité les causes de continuation d'une guerre engagée : « Lorsque l'un des partis est réduit à demander la paix, ou que tous les deux sont las de la guerre, on pense enfin à s'accommoder; l'on convient des conditions. La paix vient mettre fin à la guerre. » Et M. Bluntschli lui-même n'entendait sa première règle que comme une possibilité exceptionnelle; car il dit plus loin : « La guerre se termine dans la règle par un traité qui fixe les conditions et les bases nouvelles sur lesquelles doit reposer la paix (r. 703). La paix ne peut faire disparaître immédiatement les antipathies nationales et engendrer la confiance en l'ordre des choses qu'elle a créé, mais elle établit clairement la position et trace une limite certaine entre l'état de guerre et l'état de paix (note). » Le plus difficile, c'est d'obtenir la modération d'un vainqueur sans générosité; c'est aussi de faire accepter ses dures conditions par une nation qui ne se reconnaît pas coupable pour être plus faible que l'autre. Il faut des négociations, où le droit lutte péniblement contre la force et la ruse. Pour qu'elles puissent aboutir, il faudrait aussi un armistice avec conditions équitables, ce qui même s'obtient difficilement du belligérant ayant conquis les meilleures positions. Enfin il est utile que l'accord sur l'armistice soit accompagné d'un préalable, comme base des négociations

4 Vattel, loc. cit., liv. iv, ch. 1er, $7.

finales, qui s'appelle « préliminaires de paix » et devrait être modéré plutôt qu'aggravé par la convention définitive, ainsi qu'il est arrivé récemment (voy. notre chap. viii, no* 3 et 5, et n° 8 et 9, et infrà, no 11).

II

3. Tout traité de paix entre belligérants a les caractères d'une transaction, plus encore qu'une convention internationale sur simple conflit, puisque la lutte engagée aggravait le litige et a fait naître des prétentions respectives, sur lesquelles il faut certaines concessions. Pour sa légalité parfaite et obligatoire, le droit des gens a dû exiger des conditions analogues à celles du droit civil, concernant les plus sérieux engagements, et surtout des conditions de capacité personnelle de la part de chaque contractant, lesquelles sont réglées par le droit public ou politique du pays qui serait engagé. Pacte solennel entre nations, pour un objet dont l'importance n'admettrait pas une simple sponsion, le traité de paix tient la première place parmi les traités publics, pour lesquels, avant tout, chaque représentant ou organe doit avoir un pouvoir conféré et vérifié, qui oblige irrévocablement son pays.

A qui appartient-il de conclure un traité de paix? Ce pouvoir semble inhérent à celui de déclarer la guerre, puisqu'il s'agit d'opter pour sa continuation ou sa mise à fin. Dans les monarchies absolues, il s'exerce par le souverain qui croit pouvoir dire : « L'État, c'est moi. Dans une monarchie constitutionnelle ou un gouvernement représentatif, il faut le concours des chambres législatives. Et là où domine le principe de la souveraineté nationale, la nation ne peut être obligée que par ses représentants élus, qui même ont en certains cas le devoir de la consulter spécialement.

Tels sont les premiers éléments de discussion, pour une thèse de droit public ou constitutionnel qui est des plus controversées, ainsi que nous l'avons déjà exposé (Voy. notre ch. IV, no 6 et 7; et ch. xxш, no 7).

Les publicistes sont loin de s'accorder sur la question du pouvoir quant au traité : c'est qu'elle dépend, pour chaque État, de ses principes sur l'origine et l'assiette de la souveraineté, de son organisation politique actuelle et de sa constitution ou de l'interprétation qui prévaut au cas de contradiction entre différents textes. S'abstenant de préjuger toutes ces difficultés, M. Bluntschli dit seulement : « La constitution de chaque État décide à qui appartient le droit de conclure la paix. On présume, en droit international, que cette faculté appartient à la personne revêtue du plus haut pouvoir, en vertu de son droit de représenter l'État. Mais si cette personne ne peut, d'après la constitution, conclure la paix sans le consentement des chambres ou de tout autre corps politique, cette restriction doit être respectée en droit international; le traité ne sera valable et exécutoire que si la ratification est accordée, ou si, par suite du changement de constitution, elle n'est plus requise (r. 705). » Une autre éventualité, qui s'est réalisée, était aussi prévue par le publiciste allemand dans ses annotations, disant: « Un prince que la guerre a forcé de quitter son pays et qui, en fait, ne possède plus aucun pouvoir, n'a plus le droit de représenter l'État; il ne pourra donc participer aux négociations du traité de paix qu'en ce qui concerne ses droits dynastiques ou ses prétentions à être rétabli sur le trône. Il pourra être désirable ou utile pour le vainqueur de s'entendre avec le prince détrôné pour éviter des complications ultérieures; mais le rétablissement de la paix ne dépend nullement de la renonciation de ce prince à ses droits (note 1). » Dans la règle posée par M. Bluntschli se trouve encore cette juste recom

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