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crimes communs, et protéger avec plus de soin la personne et les biens des citoyens (note sur la règle 711). » Puisque cela doit être, pourquoi ferait-on tout le contraire, par la promesse d'une amnistie?

III

6. Un traité de paix, conclu avec pouvoir, participe à la fois du caractère des conventions régies par le droit commun, de celui des traités internationaux qui se font en temps de paix et plus encore de celui des conventions entre belligérants. Suivant un principe de morale et de justice, exprimé dans les lois qu'on appelle la «< raison écrite », toute convention légalement formée fait loi entre les contractants et doit être exécutée de bonne foi, hors les cas exceptionnels qui comportent une révocation et que nous examinerons. Ce principe régit même les conventions faites entre ennemis, tellement que Cicéron avait déjà dit : Est autem etiam jus bellicum, fidesque jurisjurandi sæpe cum hoste servanda. L'exécution de bonne foi est un devoir impérieux, surtout pour les traités de paix, se concluant ordinairement sous l'invocation de la Divinité, qui tendent à rétablir les règles du droit et de la justice, avec la concorde, dans les relations entre les deux Etats précédemment ennemis; car, disait avec raison Vattel, «< ces traités intéressent et obligent les nations entières; ils sont de la dernière importance, leur rupture rallume infailliblement la guerre : toutes raisons qui donnent une nouvelle force à l'obligation de garder la foi, de remplir fidèlement ses promesses. » Cependant l'histoire du monde est pleine d'exemples contraires; il n'est pas de siècle qui n'ait vu des traités méconnus, et récemment encore les infractions ont été multiples. Serait-ce autorisé par le droit des gens, par le droit moderne lui-même ? Nul n'oserait le soutenir, si ce

n'est pour des cas exceptionnels, ceux par exemple où l'excès dans les conditions imposées serait tel, qu'il y aurait certainement contrainte exclusive de tout consentement ou bien impossibilité d'exécution sans destruction de l'État engagé. Mais la possibilité d'exceptions a engendré des systèmes divers, d'où sont nées de graves controverses avec reproduction d'abus, tellement que c'est un sujet plein d'incertitudes et de difficultés, dont l'examen exigerait des volumes. Limité par notre cadre, nous ne pouvons ici que résumer les principales opinions et indiquer quelques distinctions nécessaires.

Grotius et Vattel recommandaient la foi des traités sans admettre ni l'exception de contrainte, sauf dans quelques cas très-rares, ni la faculté de rupture, quand elle n'avait pas été réservée au moins virtuellement. Puffendorf ayant émis une thèse contraire quant aux traités entre belligérants, Burlamaqui et Dupin aîné l'ont réfutée, en invoquant la maxime de Cicéron avec d'autres raisons; mais, s'attachant à la question de nullité pour absence de consentement ou pour excès dans les conditions, ils ont dit en sens inverse: « Si le traité que le vainqueur impose au vaincu renferme en lui-même des conditions d'une injustice qui aille jusqu'à la barbaric, et qui soient tout à fait contraires à l'humanité, on ne saurait refuser au vaincu le droit de se soustraire à ces engagements et de recommencer la guerre pour s'affranchir, s'il le peut, des conditions dures et inhumaines auxquelles on l'a voulu assujetir, en abusant de la victoire contre les droits de l'humanité...... Dans le cas où l'injustice d'un traité de paix est de la dernière évidence, et que le vainqueur abuse de sa victoire au point d'imposer au vaincu les conditions les plus dures, les plus cruelles et les plus insupportables, le droit des nations ne saurait autoriser de semblables traités ni imposer aux vaincus l'obligation de s'y soumettre soigneu

sement..... Ajoutons encore que, bien que le droit des gens ordonne qu'à l'exception des cas dont nous venons de parler, les traités de paix soient observés fidèlement et ne puissent pas être annulés sous prétexte d'un crainte injuste, il est néanmoins incontestable que le vainqueur ne peut pas profiter en conscience des avantages d'un tel traité, et qu'il est obligé par la justice intérieure de restituer tout ce qu'il peut avoir acquis dans une guerre injuste R. »

Distinguant entre le droit civil, qui trouve dans la contrainte un vice du consentement, et le droit des gens conventionnel, qui veut surtout la paix, M. Wheaton donne cette solution : « Dans les principes de la jurisprudence civile reconnue par la plupart des pays civilisés, si ce n'est par tous, un contrat obtenu par la violence est nul. La liberté de consentement est nécessaire à la validité de tout engagement, et les contrats obtenus par la force sont nuls, parce que le bien-être général de la société exige qu'il en soit ainsi. S'ils étaient obligatoires, les faibles seraient constamment forcés, par les menaces ou la violence, à se départir de leurs justes droits. La notoriété de la règle que de tels engagements sont nuls, range les efforts pour les extorquer parmi les crimes les plus rares de l'humanité. D'un autre côté, la conservation de la société veut que les engagements contractés par une nation sous l'empire de la force, qu'impliquent la destruction de ses forces militaires, l'occupation de son territoire par l'ennemi, soient tenus pour obligatoires. En effet, s'il n'en n'était pas ainsi, les guerres ne pourraient se terminer que par la soumission et la ruine totales du parti le plus faible, et l'imperfection des considérations ou l'inégalité des conditions d'un traité entre nations, qui suffiraient pour faire rompre un contrat entre parti

8 Burlamaqui, Principes du droit de la nature et des gens, édit. revue et orrigée par Dupin aîné, 3e part., ch. x, § 6, et ch. xi, § 2.

culiers sous prétexte d'une grossière inégalité ou d'une lésion énorme, n'entraînent pas une raison suffisante pour refuser l'exécution d'un traité'. » Quant à M. Bluntschli, sa règle. sur les traités de paix est la même que pour tous autres traités internationaux. D'abord il avait dit : « On admet qu'un État conserve sa libre volonté, lors même qu'il est forcé, par sa faiblesse ou par la nécessité, de consentir au traité que lui dicte un autre État plus puissant (r. 408). Le droit public reconnaît aussi la nécessité des faits accomplis; il n'est au fond que la réglementation de l'ordre public reconnu nécessaire. Si donc ce qui est nécessaire se présente sous une forme comminatoire, cela ne saurait avoir pour conséquence la nullité du traité. Ce principe est spécialement applicable aux traités de paix; s'il était permis d'en attaquer la validité parce que l'un des États contractants n'aurait pas eu sa libre volonté et n'aurait signé que par crainte ou à la suite de menaces, les conflits entre les nations n'auraient pas de fin et la paix ne serait jamais assurée (note). » C'est pourquoi M. Bluntschli, dans sa règle spéciale pour les traités de paix (r. 704), se borne à dire «Le fait que la puissance du vainqueur était beaucoup plus considérable que celle du vaincu, et l'inégalité des conditions de la lutte n'entraînent pas la nullité du traité; la contrainte ou la violence envers le plénipotentiaire chargé par une des parties belligérantes de négocier la paix, entraîne par contre la nullité des engagements contractés par celui-ci 1o. »

La dernière des opinions exprimées est de M. Pasquale Fiore, qui tend le plus à faire prévaloir les principes de droit et de justice. Elle s'attaque surtout à celle de Klüber et de

9 Wheaton, Éléments du droit international, 3o part., ch. 11, § 7. 10 Bluntschli, Le Droit international codifié, liv. vi, Des Traités, § 1, Conditions essentielles des Traités, règle 408 et note; livre viu, La guerre, § 9, Fin de la guerre, conclusion de la paix, règle 704.

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Heffter, qui n'admet d'exception à l'obligation d'exécuter que dans le cas exceptionnel de violences personnelles et se formule ainsi : « Le traité de paix conclu entre les plénipotentiaires des États belligérants est obligatoire dans toutes les circonstances, quand même il serait imposé par la prépondérance de l'une des deux parties qui contractent et impliquerait un renoncement à des droits incontestables. Il suffit, à cet égard, qu'il ne soit pas le résultat de violences personnelles, faites contre la personne du souverain et de ses représentants. En outre, il importe peu que la guerre ait été justement ou injustement entreprise par la puissance victorieuse ".» Ayant combattu dans plusieurs parties de son ouvrage les anciennes idées sur lesquelles repose ce système trop absolu, M. Pasquale Fiore se réfère à ses précédents arguments et ajoute : « C'est la nécessité de légitimer les faits accomplis, pour terminer la guerre, qui a induit en erreur les publicistes. Ne voyant aucune limite au droit de la force, ils ont conclu, d'après ce que dit Klüber, que, chaque partie pouvant renoncer à ses droits, lorsqu'elle y a effectivement renoncé et que sa renonciation est acceptée, le traité stipulé oblige aussi la partie qui a sacrifié ses droits incontestables, même quant aux dispositions imposées par la force. Mais ces contradictions doivent disparaître du droit des gens, et nous espérons que le règne de la force finira par être renversé par l'opinion publique, qui, éclairée par la science, obligera la diplomatie à marcher dans la voie de la rectitude et à ne plus fouler aux pieds les principes de la justice 2. » Dès à présent, ce publiciste si bien inspiré proclame, comme principe acquis, qu'il y a nullité de la cession de territoire qu'imposerait au vaincu le vainqueur, abusant

11 Heffter, Le Droit international public de l'Europe, liv. 1, § 180; Klüber, Droit des gens, § 325.

12 Pasquale Fiore, loc. cit., t. 2, p. 10.

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