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de son occupation militaire avec menace de famine, pour mettre cette condition si onéreuse à la paix demandée (Voy. notre ch. xxi, no 6).

7. Ayant à émettre notre opinion sur ce problème, grave et complexe, nous dirons qu'il faut distinguer, non-seulement selon l'objet principal et les conditions du traité, mais aussi et surtout selon les temps et les principes contemporains, qui n'étaient pas autrefois ce qu'ils sont ou doivent être aujourd'hui ; et cela, d'autant plus que les anciens traités avec exécution prolongée ont fondé des droits et possessions irréfragables, ainsi qu'on l'a vu au précédent chapitre. Pour les traités conclus en temps de paix, chaque Etat contractant est présumé avoir l'indépendance inhérente à sa souveraineté, agir avec une liberté suffisante pour le consentement et obtenir, en retour des engagements qu'il souscrit, un avantage par lui trouvé équivalent: donc, à moins de violences exercées envers la personne même du représentant de l'État engagé, son obligation est parfaitement valable, de telle sorte qu'il faut toujours exécution avec bonne foi. La situation pourrait être différente pour un traité de paix entre belligérants, s'il y avait abus excessif de la victoire et ainsi de la force, si le vainqueur imposait au vaincu des conditions tellement onéreuses, qu'il lui fût plus que difficile de les exécuter ou qu'il dût perdre une partie de son territoire. Mais il n'y aurait pas nullité de plein droit, en vertu des principes du droit commun sur le consentement nécessaire, qui sont ici écartés par les plus hautes raisons pour la paix et, d'ailleurs, admettent le maintien de toute convention par confirmation ultérieure ou par expiration d'un certain délai. L'État obligé ayant obtenu le bienfait de la paix, qu'il a dû apprécier et utiliser pour lui particulièrement, les conditions imposées seraient réputées acceptées et obligatoires, jusqu'à preuve contraire irrésistible en temps utile; aucune revendi

cation ne serait admissible, lorsqu'il y aurait eu exécution consommée, et moins encore s'il y avait confirmation par de nouveaux traités, qui eux-mêmes auraient été exempts de violences coercitives. Que s'il peut y avoir lieu à rupture ou modification, c'est seulement à l'égard d'un traité qui, conclu depuis que le droit des gens a voulu faire prévaloir les principes de justice, serait manifestement une violation de ces principes ou de droits acquis et garantis.

Suivant l'ancien droit public, dans les monarchies absolues surtout, le chef de l'État était réputé avoir seul le droit de guerre et de paix, la souveraineté territoriale et le pouvoir de céder un territoire comme celui d'en conquérir un sur son adversaire la cession qu'il faisait, dans un traité de paix, devait être tenue pour légale et obligatoire absolument, sans qu'il pût méconnaître son engagement sous prétexte de contrainte pour la paix, hors le cas exceptionnel d'une véritable violence envers lui ou son représentant au traité. Si le pacte fondamental du royaume lui avait interdit de démembrer la couronne, alors la nation intervenait, soit pour ratifier le traité, soit pour le déclarer nul, auquel cas le traité de paix était non avenu ou remplacé par un autre moins onéreux : c'était une exception, dont les historiens et Vattel ont trouvé un exemple dans l'improbation du traité de Madrid que Charles v avait obtenu de François 1er 13. Après exécution complète des engagements, tandis que le souverain dont le consentement n'aurait pas été libre trouvait dans ses pouvoirs absolus le moyen de s'y refuser ou de la contredire même par les armes, il y avait une sorte de ratification par lui et une possession prolongée pour le co-contractant, qui devaient être considérées par le droit des gens comme exclusives de toute réclamation ou revendication ultérieure. L'interdiction

13 Voy. Mézeray, Histoire de France, t. 2, p. 458; Vattel, liv. 1a, ch. XXI, § 265, et liv. Iv, ch. 1, § 10.

a été fortifiée, d'abord par l'assentiment que donnaient les autres nations à l'état de choses qu'avaient créé le traité et son exécution; elle l'a été de plus par les rapports respectifs de tous États intéressés, sur la foi du traité exécuté et de son irrévocabilité pour toujours; bien plus encore, elle a acquis le caractère d'une règle absolue de droit international, selon les principes du droit des gens moderne, lorsque des traités généraux et des déclarations en congrès ont proclamé le respect de tout traité qui n'était pas modifié d'un commun accord, le maintien des possessions autres que celles qui étaient illégitimes comme usurpations récentes et l'irrévocabilité des limites territoriales qui étaient déterminées avec garanties, enfin l'engagement solennel par toutes les grandes puissances de respecter entre elles et faire respecter au besoin les principes adoptés comme règles entre toutes nations civilisées.

Les anciens traités se trouvent ainsi protégés, tout à la fois, par le droit contemporain, par celui qui a consolidé les possessions prolongées et enfin par les principes nouveaux interdisant toute prétention rétroactive. Il y a plus de raisons encore que pour le respect des possessions d'origine ancienne, qui presque toutes n'étaient que le produit d'une conquête par les armes, sans traité de paix avec cession plus ou moins volontaire, et qui cependant sont maintenues avec garantie, comme nous l'avons démontré (ch. xxIII, no 3). Que pourrait-on, aujourd'hui, contre des traités exécutés et ratifiés, avec consolidation de tous droits par là conférés? Il y aurait des empêchements de toutes sortes, à moins de violences pour tout briser. Alléguerait-on qu'il n'y avait pas eu consentement assez libre? Mais d'abord, il y aurait à démontrer péremptoirement le vice prétendu, en opposant des historiens à ceux qui ont approuvé. Puis il faudrait rétablir les choses dans leur état primitif, ce qui serait un

bouleversement général. Enfin, il y aurait à tenir compte des sacrifices, antérieurs et postérieurs, qu'a faits la nation ayant obtenu le traité qu'on voudrait briser par une sorte d'annulation, de résiliation ou de dénonciation rétroactive. Tout cela est impossible, après tant de traités successifs, de relations internationales s'étant fondées sur ces traités et de dispositions nouvelles ayant constitué des droits pour des nations tierces. C'est de toute impossibilité, surtout contre les traités de paix antérieurs aux traités généraux que nous rappelons brièvement.

L'Europe étant fatiguée des luttes armées après celles qui, pendant vingt-cinq ans, avaient tour à tour démembré plusieurs États, les grandes puissances européennes ont profité de la défaite et de la chute d'un empereur qui y avait eu sa grande part, pour restituer à chacune et aux autres ce qui avait été usurpé. Leur but politique était d'assurer autant que possible une paix solide et durable, but fort louable assurément. Un des moyens a été de chercher une juste répartition des forces entre les puissances, ce qui s'appelait l'équilibre européen s'il n'a pas réussi, cela tient à des événements ultérieurs dont le concours et l'impétuosité déjouaient les meilleures combinaisons. On leur a justement reproché certains morcellements, dont le profit était surtout pour la Prusse; mais à part cette faute, il n'y avait que justice dans les autres délimitations, avec garanties. La France, particulièrement, a été renfermée dans les limites qu'avait son territoire avant l'origine des guerres ainsi terminées; mais du moins les puissances lui ont conservé ce qu'elle possédait légitimement et lui en ont garanti la conservation. Les traités de 1814 et 1815, fixant les frontières de la France, ont expressément déclaré lui « garantir l'intégrité de ses limites, telles qu'elles existaient à l'époque du 1er janvier 1792. » C'était exclusif de toute revendication ultérieure, contre elle aussi bien que

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par elle. Cette convention solennelle, avec les stipulations du congrès de Vienne, est devenue la base du droit public européen, comme le fait observer M. Wheaton, qui a joint les textes à son livre estimé sur le droit des gens; elle était reconnue même par la République de 1848, déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères, qu'elle en acceptait les conséquences et consentait à n'en jamais demander la modification qu'avec le concours des co-signataires; elle a encore été visée dans un récent traité en congrès, celui de 1856; la Prusse elle-même la tenait pour subsistante avant la guerre de 1870, qui lui a servi de prétexte pour s'affranchir de toute règle. Si les traités de 1814 et 1815 ont reçu de graves atteintes en 1830 et plus tard, c'est d'abord par l'effet de révolutions qui sont des événements de force majeure, puis par des violences de souverains qui ne sauraient s'en faire un titre pour d'autres usurpations. Récemment encore, lorsqu'il fut question d'un congrès de la paix, le cabinet de St-James déclara expressément << que la majeure partie des stipulations des traités de 1815 n'ont nullement été ébranlées et que c'est sur ces fondements que repose l'équilibre de l'Europe ». Tout cela prouve, avec la déclaration si connue du traité d'Aix-laChapelle de 1818, que les États européens reconnaissent valables et subsistants les anciens traités de paix, sauf les modifications dûment opérées par les nouveaux.

8. Un autre principe encore protége les traités qui n'étaient pas nuls de plein droit, ceux surtout qui ont eu le concours ou la garantie de puissances tierces. Celui-ci, quoiqu'il soit exprimé dans le droit civil pour les conventions entre particuliers ou sociétés civiles, n'en existe pas moins en droit international, parce que, sans exiger pour son application un examen de circonstances variables, il se trouve dans la raison écrite et dans la nature même des

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