Page images
PDF
EPUB

lement, suivant nous, il doit y avoir un certain rapport entre l'action où serait l'excès et celle qui serait autorisée comme représailles; un rapport de nature ou d'analogie tel, que l'action dite de représailles qui serait excessive trouve sa justification dans celle où l'on voit le grief. La guerre maritime et la guerre continentale ayant des règles différentes, dont quelques-unes sont même en contradiction flagrante avec les principes de celle-ci, nous concevons difficilement que ce qui s'est fait en mer puisse motiver une action sur terre que réprouverait la loi des guerres continentales. Si le décret de 1806, voulant user de représailles contre l'Angleterre à raison de ses pratiques sur mer, alla jusqu'à déclarer prisonniers de guerre les Anglais qui se trouveraient dans un pays occupé par des troupes françaises, c'était en supposant que « le droit de la guerre est un, et le même sur terre que sur mer. » Cette supposition étant erronée, aujourd'hui encore et malgré les vœux formés pour que les puissances maritimes elles-mêmes en viennent à concéder l'uniformité des principes, il nous paraît inadmissible que, à cause de captures en mer qui sont seulement contestables devant le juge des prises maritimes, un belligérant puisse exercer des représailles sur terre par enlèvement de choses et de personnes, tombant ou non sous le coup des lois de la guerre continentale. Ce qui est moins irrationnel, c'est de considérer un envahissement de territoire avec ses excès comme autorisant, à titre de représailles, un blocus maritime et les prises qui sont un droit en dérivant : ici, c'est encore la guerre, sur un autre point, avec application de ses règles et conséquences.

De sensibles différences existent aussi, quant aux violences diverses, entre les règles concernant les biens ou propriétés réelles et celles qui régissent ou protégent les personnes. Par exemple, tandis que certaines dévastations sont

permises comme conséquence de la guerre d'invasion du territoire ennemi, le droit des gens moderne veut qu'on respecte les propriétés privées et surtout qu'on s'abstienne de piller ou enlever les choses mobiles; et tandis que la guerre autorise différentes violences entre combattants, les principes nouveaux veulent qu'on s'abstienne en toute hypothèse de violences contre les personnes demeurant étrangères à la guerre, notamment contre les femmes, les enfants et les vieillards, contre les individus exerçant des fonctions civiles et même contre tous habitants paisibles. Si donc l'infraction reprochée ne se rapporte qu'à des choses matérielles, ce qui permettrait d'agir par représailles sur les biens de l'ennemi, nous doutons qu'elles puissent s'exercer sur des personnes, par homicide ou capture, sur celles entre autres qui doivent demeurer exemptes d'hostilités, à moins qu'elles ne soient coupables ou légalement responsables et que l'action de représailles n'ait le caractère d'une punition personnelle. Réciproquement, s'il n'y a eu qu'une infraction personnelle, imputable à quelque combattant, on ne saurait concevoir que des représailles soient exercées par dévastation de territoire ou d'habitations, et spécialement par incendie du village où aurait eu lieu l'infraction.

6. Les autres conditions de l'action en représailles, si elle est permise ou justifiable dans la guerre, tiennent aux responsabilités personnelles et à la mesure des peines. Ce sont des points d'une importance extrême, au regard surtout de la justice répressive.

Le principe fondamental est que, les délits étant personnels, nul ne peut être puni pour le fait d'autrui (comme nous l'avons expliqué dans les chapitres précédents). Les exceptions à ce principe sacré sont nécessairement spéciales et limitatives. Si le père et le maître ont été soumis par des lois à une responsabilité, pour les fautes de leurs enfants ou

serviteurs, elle est purement civile, motivée sur une forte présomption de négligence, et écartée par la preuve qu'ils n'ont pu empêcher le fait (art. 1384, C. civ.). Si les communautés d'habitants sont parfois responsables, pour de graves désordres ayant eu lieu sur leur territoire, c'est seulement dans les cas où les habitants réunis pouvaient et devaient empêcher le désordre dommageable (Voy, notre chapitre xu, n° 12 et 13). Les fautes d'une nation ou de son gouvernement peuvent aussi, à certains égards, engager les nationaux ou sujets, parce qu'ils étaient représentés par les dépositaires du pouvoir ayant failli; mais il en est autrement des fautes individuelles, car les individus ne se représentent pas les uns les autres. Si donc, dans la guerre, une infraction aux usages faisant règle a été commise, non pas par la nation entière ou son gouvernement, mais individuellement par quelque combattant, on ne voit pas comment la responsabilité pénale pourrait être infligée à tout autre qu'il plairait au belligérant plus fort de choisir pour victime. Sans doute il peut y avoir entre les membres d'un même corps une certaine solidarité, nécessitée par la double raison qu'ils se sont tous soumis aux mêmes éventualités ou périls et que l'adversaire, n'ayant pas sous la main l'auteur de l'infraction à punir, ne peut exercer son action de représailles que sur un autre des combattants, à sa portée. Mais la raison de solidarité exceptionnelle n'existe aucunement, vis-à-vis d'individus qui ne sont pas membres du même corps, surtout lorsqu'ils restent étrangers à toutes hostilités, et conséquemment doivent être exempts d'actions hostiles de l'ennemi. Pour trouver en pareil cas une obligation de solidarité, il faudrait créer arbitrairement quelque fiction nouvelle, allant jusqu'à faire réputer responsables tous membres de la nation.

Au nom des principes et du droit de l'humanité, d'accord avec les enseignements, même déjà anciens de Vattel, nous

protestons énergiquement contre une telle fiction, appliquée aux représailles. Si les combattants, tous ennemis, sont réputés solidaires et responsables, ce sont les seuls et ce doit être seulement selon les lois de la guerre civilisée, auxquelles ils se sont soumis en devenant défenseurs du pays : cela ne peut les exposer qu'aux périls et dangers d'une telle guerre, avec les immunités du belligérant, qui doit avoir la vie sauve lorsqu'il est mis hors de combat par blessure ou capture; cette fiction peut encore moins autoriser toutes rigueurs visà-vis d'individus non combattants, qui devraient même être exempts d'hostilité quelconque. Serait-il possible d'admettre que, parce qu'il aura été commis contre l'ennemi quelque infraction, telle que celle d'un acte de perfidie ou de meurtre de prisonniers, il pourra tuer les adversaires blessés ou capturés, ou bien des habitants par lui enlevés comme otages? C'était le cas prévu par Martens, qui supposait un tel droit parce qu'il admettait toutes violences dans l'état de guerre ; mais l'annotateur Pinheiro Ferreira lui a répondu, avec raison ainsi que le dit aussi M. Vergé, «que l'innocent ne doit pas être puni pour une action qu'il ne dépendait pas de lúi d'empêcher; qu'il serait injuste et barbare de se venger sur l'innocent du crime qu'aurait commis un scélérat contre lequel nous ne pouvons ou ne voulons pas sévir. » Aussi s'indignait-il, en ajoutant: «Comment des écrivains de sens et d'honneur peuvent-ils se ravaler au point de transmettre de si abominables doctrines à la jeunesse! Heureusement, la civilisation a fait assez de progrès, pour que nous devions nous flatter qu'à la honte de notre âge, elles ne seront lues qu'avec horreur par la génération nouvelle. >>

Un autre principe, aussi de tous les temps et de toute justice, pour la répression des infractions comme châtiment et même comme exemple dans l'avenir, est que la peine doit être proportionnée à l'infraction et ne jamais en excéder la

gravité. Depuis que Moïse et Solon eurent érigé en règle de châtiment public le talion, parfois cruel et dont on a dit que c'était « la justice de Pythagore», ce principe a été posé dans les lois qu'il suffit ici de rappeler en quelques mots : Pæna debet commensurari delicto (Dig. de pœnis, 1. 11); pœna non debet egredi delictum (C. Theod., lib. 9). Et même, depuis que Kant et Bentham ont conseillé le talion pour certains crimes, des tempéraments ont été apportés à son rigorisme mathématique par la civilisation progressive, par des législations de plus en plus douces. Si de nos jours encore il y a quelques dispositions pénales dont la proportionnalité paraît excessive, c'est surtout pour des infractions qui procurent un bénéfice illicite, les coupables devant d'autant plus craindre une répression de même nature. Appliqué à la guerre dans la supposition qu'un belligérant a droit de punir l'autre ou ses défenseurs, le système du talion sous le nom de représailles doit au moins conserver ses limites, sans quoi l'excès provoquerait des représailles encore plus excessives par le nombre ou les souffrances des victimes et il n'y aurait plus que cruautés de toutes parts.

La condition de proportionnalité est imposée par le droit des gens lui-même. Nous en voyons déjà le germe dans les anciens ouvrages de Victoria, de Polybe et de Grotius, où, pour mettre des tempéraments à la dévastation, ils disaient que dans la guerre le châtiment doit s'arrêter au point où les crimes sont expiés dans une juste mesure, qu'il ne faut pas que pour quelques maisons brûlées tout un royaume soit dévasté. Nous le retrouvons dans les principes généralement admis, quant aux représailles pouvant amener la guerre, qui sont ainsi posés et expliqués par M. Bluntschli: << La nature et la portée des représailles se déterminent d'après la gravité de l'injustice commise par l'adversaire. Les représailles hors de proportion avec le délit constituent

« PreviousContinue »