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qu'on est très-disposé à n'accomplir jamais, et qu'on ne pourroit même souvent accomplir sans une singularité toujours odieuse, et quelquefois répréhensible, à cause du trouble et des scandales qu'elle pourroit

exciter.

Il n'est pas toujours sûr pour la conscience, de regarder comme n'étant plus en vigueur, un statut qui cesse d'être observé par la plus grande partie d'une communauté. Dans les choses qui regardent Dieu, il ne suffit pas de s'autoriser de l'exemple de la plus grande partie, si elle n'est en même temps la plus saine; elle peut bien être présumée telle dans le for extérieur; mais le for de la conscience est celui qu'on doit le plus consulter, quand il s'agit de choses aussi essentielles que le serment et le parjure.

Des causes qui exceptent de l'obligation du Serment.

DEUX sortes de causes exceptent de l'obligation de garder un serment. Il y en a qui empêchent de contracter cette obligation en jurant. Il y en a qui font cesser l'obligation qu'on avoit contractée par le jurement.

I. Les premières viennent ou du côté de la personne qui jure, ou du côté de la matière du jurement, qui est la chose promise.

Il peut arriver en différentes manières de la part de la personne qui jure, qu'elle ne soit pas obligée de garder son serment. 1. Lorsque celui qui jure n'a pas l'usage de la raison, parce qu'il n'est pas libre et capable de délibérer. 2. Lorsque celui qui a juré a été surpris par quelque erreur, ou par quelque fraude; s'il a été trompé sur la substance et le fond mème de la chose promise par serment; parce qu'en

ce cas, le jurement n'est pas volontaire; car il est contre l'intention et le consentement de celui qui a juré, et qui a promis tout autre chose que ce qu'il vouloit promettre : ainsi, celui qui a promis de donner un vase qu'il a cru par erreur être d'airain, n'est pas obligé de tenir sa promesse si ce vase est d'or. Nous disons, s'il a été trompé sur la substance et le fond même de la chose promise par serment; parce que s'il ne l'a été que sur des circonstances accidentelles, cette erreur ne rend pas nul son serment; à moins que celui qui a juré n'ait eu tellement en vue ces circonstances, qu'il ait été déterminé en jurant, à ne pas s'engager par serment si elles n'étoient pas telles qu'il les croyoit. Il faut néanmoins observer que nous ne parlons ici que de l'erreur positive; car si elle n'étoit que négative, c'est-à-dire, si elle ne consistoit qu'à ne pas connoître toutes les difficultés de ce qu'on promet par serment, quoiqu'on en connût bien d'ailleurs le fond et la substance, ainsi que les principales qualités, cette erreur n'empêcheroit pas la validité du serment. 3. Lorsqu'on fait un serment contre la défense des lois, parce qu'alors le serment a pour objet une chose mauvaise. Telle est la défense du concile de Trente (Sess. 25. c. 16. de Regular.), sur les renonciations ou obligations, faites avant la profession religieuse, méme avec serment, et en faveur de quelque œuvre pieuse que ce soit; lesquelles ce concile a declarées non valables, si elles ne sont faites avec la permission de l'évéque, ou de son grand vicaire, dans les deux mois précédant immédiatement la profession.

Il faut remarquer qu'il y a dans les sermens, des conditions ou restrictions sous-entendues, et supposées de droit, ou selon la coutume. Quoiqu'elles n'aient point été exprimées en jurant, le serment n'oblige pas au-delà de ces restrictions; parce que celui qui a juré, est censé avoir limité son intention suivant ces conditions.

La

La première de ces conditions ou restrictions est, si on peut faire la chose; car un homme sage ne prétend point s'engager à l'impossible.

La seconde, si la promesse faite en faveur de quelqu'un est acceptée; car elle doit l'être pour l'obliger; et jusqu'à ce que cette acceptation ait été faite, on est toujours en droit de la révoquer, parce qu'on ne peut pas être obligé envers quelqu'un qu'il ne le veuille. Si la promesse a été faite à Dieu, elle n'a pas besoin d'être acceptée.

La troisième, si la chose se peut faire, sauf les droits d'autrui; car on ne peut promettre que ce qui est à soi, et dont on est maître. Si donc on avoit juré de faire quelque chose qui fit tort aux droits du prochain, ce serment n'obligeroit pas. Selon le pape Innocent III, dans le chap. Venientes, de jurejurando, le serment fait contre le droit du supérieur est nul, si le supérieur s'y oppose. Les supérieurs peuvent annuler les sermens que les inférieurs font, à l'égard des choses dans lesquelles ces derniers dépendent de l'autorité des premiers. On doit même sous-entendre dans le jurement, si la chose n'est point nuisible au prochain: car si elle l'étoit, on ne doit pas tenir son serment.

On doit sous-entendre encore dans le jurement, toutes les autres conditions particulières propres à la matière du serment, et qu'elle suppose de droit, ou par la coutume; parce que le serment n'en étant que Taccessoire, doit suivre la nature du principal. C'est pourquoi celui qui a contracté des fiançailles avec jurement, n'est pas tenu d'accomplir son serment, s'il veut se faire religieux. Pareillement celui qui a juré de résider dans un bénéfice, peut s'en absenter dans les cas permis dans le droit.

A l'égard des causes qui viennent de la matière du serment, et qui empêchent de contracter aucune obligation en jurant, elles ont lieu dans les cas Tome IV.

suivans:

N

1. Lorsqu'on a juré de faire une chose mauvaise, parce que le serment, qui de sa nature est un acte de religion, n'a pu être établi pour être un lien d'iniquité, et pour déshonorer Dieu; c'est cependant ce qui arriveroit, si pour l'accomplir on étoit obligé de faire le mal auquel on a paru vouloir s'engager. Aussi trouve-t-on dans le droit cette règle: Non est obligatorium contrà bonos mores præstitum juramentum. Un pareil serment est un péché; non-seulement on n'est pas obligé, mais ce seroit encore un autre péché de l'accomplir. Nous l'avons déjà remarqué en disant qu'on doit jurer avec justice.

On ne peut donc pas dire que celui qui par serment se seroit engagé à faire un péché véniel, un mensonge officieux, par exemple, devroit plutôt faire ce peché et mentir, que de manquer à son serment, pour ne pas faire un parjure. Car, pour être parjure, il faut manquer à une promesse qu'on peut remplir, et dont Dieu, duquel on a interposé l'autorité, a été en quelque sorte rendu garant: or, on ne peut pas dire que Dieu soit garant de l'iniquité, et qu'il interpose son nom pour la confirmer. Il n'y a donc que du mal à accomplir une telle promesse, et que du bien à aller contre.

Sans examiner ici les différentes raisons qui partagent les théologiens sur la question: Si celui qui jure de faire un péché véniel péche mortellement; nous remarquerons seulement en passant, qu'il y a bien de l'imprudence et du danger dans ces sortes de juremens; et que pour les excuser de péché mortel, il faut faire bien des précisions qu'on ne fait guère en pareil cas, surtout si on a l'habitude de jurer. C'est pour cette raison, que, quoi qu'il en soit du fond de la chose, un confesseur éclairé doit traiter les pénitens qui ont eu la témérité de faire de tels sermens, comme gens très-suspects d'une faute qui n'est pas légère.

2. Lorsqu'on a juré de faire une chose indifférente

en tout sens, qui ne contribue en aucune manière ni par elle-même, ni par sa fin, ni par ses circonstances, à la gloire de Dieu; ce seroit alors jurer de faire une chose réellement mauvaise, puisqu'elle seroit vaine, oiseuse, et entièrement inutile: or, comme nous venons de le dire, le serment ne peut obliger à rien de mauvais.

Il faut cependant remarquer, que le serment d'une chose indifférente par rapport à Dieu, mais qui ne l'est pas par rapport à un homme à qui on l'a promise, oblige en conscience, pourvu qu'on puisse l'exécuter sans péché. Par exemple, celui qui a juré à Titius qu'il n'achetera qu'à sa boutique, ne peut acheter ailleurs la liberté qu'il s'est interdite, ne peut régulièrement être la matière d'un voeu; mais elle peut être celle d'un serment. De même si on a proinis avec serment de servir un malade chez lui, ce ne seroit pas accomplir son serment d'aller servir à la place de ce malade les pauvres de l'hôpital, quoique cela valut mieux en soi-même.

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3. Lorsque ce que l'on a juré empêche de faire un plus grand bien, par exemple, si l'on a juré de ne pas pratiquer les conseils évangéliques. On péche en faisant ce serment, parce que par-là on met obstacle, autant qu'il est en soi, aux inspirations du Saint-Esprit. On ne péche cependant pas en gardant ce serment, dit saint Thomas (2. 2. q- 89.), mais on feroit mieux de ne pas le garder. Par le même principe, si la promesse confirmée par serment étoit incompatible, non avec une action, mais avec un état plus parfait, on ne seroit pas obligé de la remplir absolument. C'est pourquoi on peut entrer en religion après des fiançailles jurées, parce qu'on ne les peut jurer que sous condition qu'on sera toujours libre de suivre sur ce point l'esprit de Dieu, s'il vient à se déclarer. Mais après des fiançailles jurées, on ne pourroit sous prétexte d'un plus grand bien, vouloir garder le célibat; parce que le célibat n'est point un état fixe.

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