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riosité, mais comme le seul moyen de guérir les maux du pays et d'assurer son avenir: ce serait la réforme. >>

ou

M. DE LAMARTINE: «Vous déclariez vouloir la conservation du vieil empire Ottoman ; cela était conséquent, cela était facile; une note de vous, une escadre sur les côtes de Syrie, la Syrie entière s'insurgeant contre Ibrahim qu'elle abhorre, les troupes du sultan marchaient en avant appuyées par sa flotte et par les vôtres. Ibrahim, pris entre deux feux, reculait du premier pas jusqu'à Saint-Jeand'Acre, et Méhémet-Ali implorait votre intervention, était refoulé au moins en Égypte et peut-être dans le désert. Vous auriez un empire ottoman sur la carte; vous auriez fait un grand acte de politique conservatrice et ultraroyale; vous auriez enlevé à la Russie tout prétexte de tutelle exclusive à Constantinople, à l'Angleterre tout motif d'agression contre l'Égypte. Cette politique n'était pas la mienne, mais elle était belle et française; je l'aurais comprise, tout en la déplorant. Au lieu de cela, qu'avons-nous. vu? La bataille de Nezib est gagnée par Ibrahim la veille du jour où le capitaine Callier, envoyé par vous, va lui porter l'ordre de ne pas combattre. Au lieu de porter secours au sultan, vous allez négocier sourdement avec un rebelle, et lui promettre, quoi? Je n'en sais rien: l'hérédité de ses usurpations peut-être ! l'Égypte, la Syrie, l'Arabie entière, un petit empire grand comme trois fois la France! D'une telle politique que pouvait-il résulter? Le démembrement de la Turquie, des conflits inextricables et enfin la légitime animosité de toutes les puissances, qui, toutes menacées par vous, finiront par s'unir contre vous. A quoi une politique habile, quoique loyale, doit-elle tendre dans les transactions de l'Orient, dans la plus vaste crise qui puisse jamais remuer les bases des puissances? A

deux choses à résoudre la question orientale d'une manière profitable à toutes les puissances intéressées sur la Méditerranée, et à préparer en Europe, par des alliances fortes, des compensations qui assurent un jour ces agrandissements légitimes, qu'aucune puissance du continent ne nous garantira pour rien. Vous, au contraire, vous n'aboutissez en définitive qu'à démembrer l'empire ottoman, à réunir, dans une cause commune contre la France, des puissances dont les intérêts contraires entre eux devaient vous donner inévitablement des alliés en Orient et des amis en Occident. Eh! ne vous apercevez-vous pas que vous rivez aussi vous-mêmes ces traités étouffants de 1815, où vous devriez préparer une brèche à tout prix, et que toute la prévoyance des hommes d'état doit tendre à briser ou à élargir ? Quoi! nous qui trouvions naguère l'Europe trop étroite pour notre activité, nous trouvons aujourd'hui la France assez large, et nous refusons le champ que nous ouvre la chute de l'empire ottoman? Oui, heureuse l'heure où l'Orient s'écroulera plus complétement et laissera place à tant de populations opprimées, mais fortes et actives, que le poids du cadavre turc écrase, à la honte de la civilisation et des hommes, et où la France, leur tendant une main secourable entre les ambitions de la Russie et les susceptibilités de l'Angleterre, se placera entre ces deux puissances, au centre même de l'Asie-Mineure, les contrepèsera l'une par l'autre, laissera les Russes protéger les populations qui leur sont sympathiques, laissera les Anglais communiquer avec leurs Indes pour le bénéfice du monde, laissera l'Autriche dominer dans l'Adriatique, sa nouvelle mer; et au lieu de faire obstacle et empêchement à tout, faisant concours et assistance aux intérêts naturels de tous, trouvera son propre intérêt, sa propre influence, sa propre

richesse dans une nouvelle balance de l'Orient dont elle sera la tige en Europe et dont elle tiendra les contrepoids en Orient.

>> Voilà ma pensée, voilà mes vues et mes vœux, les vues et les vœux de tous ceux qui ont étudié la question sur place!

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M. VILLEMAIN, ministre de l'instruction publique : « On se trompe, si l'on ne voit pas ici une grande question; ce n'est pas la division entre deux forces inégales qui représentent l'empire turc, c'est la nécessité de maintenir ce qui reste de force et de vitalité musulmanes. Dans le système de M. de Lamartine, qui voulait le partage immédiat de l'empire ottoman, loin d'entretenir cette force, sans doute il fallait en hâter la destruction. Mais pour ceux qui croient que le partage immédiat était stérile pour la France, qu'une action, injuste pour tous, n'eût été qu'une décep→ tion pour la France, ce qui était utile et praticable, c'était de veiller au maintien de l'empire turc et à la conserva→ tion de toutes les forces qui se sont formées dans son sein. Est-ce la France qui aurait gagné le plus à cette exécution, indépendamment de ce que la justice et, pour ainsi dire, l'honneur européen en auraient souffert? M. Mauguin a peint avec force ces deux grandes puissances qui, de si loin, étendent leurs bras pour se saisir et s'étreindre l'une l'autre. Mais que résulte-t-il de là? C'est qu'on peut ne pas redouter la prétendue réunion d'intérêts, que tant de points de contact et de rivalités rendent définitivement inconciliables. Il y a dans les choses humaines de certaines nécessités d'instinct et d'honneur, d'insurmontables divergences qui peuvent rassurer, même contre les calculs des plus grandes et des plus accommodantes ambitions. Un homme d'état anglais, dont les paroles ne sont pas oubliées dans son pays,

a dit ces mots : « Celui qui aura la Baltique et Constantinople sera maître du monde. » L'Angleterre, comme nous, ne veut pas que personne soit maître du monde. »

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Séance du 13. M. DENIS: « Quel intérêt si grand, en dehors de nos vrais intérêts, portons-nous au pacha d'Égypte? Nos relations commerciales avec l'empire de Constantinople, et celles que favorise Méhémet-Ali, se sont maintenues jusqu'ici dans la proportion de vingt à trois. Comment se fait-il que le degré d'intérêt que nous témoignons à l'un et à l'autre de ces gouvernements, se manifeste dans une proportion précisément inverse? Vous prétendez soustraire complétement l'Égypte à la domination de la Porte; et, cette dislocation opérée, vous croyez pouvoir garantir à jamais l'intégrité des états du sultan. Eh quoi! vous ne pressentez donc pas les terribles déchirements auxquels va se trouver en butte l'empire ottoman, cet empire formé de provinces qui ont conservé le souvenir d'anciennes nationalités? Mais si vous laissez surgir un royaume d'Égypte, Bagdad se souviendra, elle aussi, qu'elle a été la capitale d'un état musulman: on vous demandera bientôt, et à autant de titres, un empire syrien, . druse ou maronite; un royaume de Chypre, une Arménie, que sais-je ? Pour qu'il en soit ainsi, et pour que les prétentions soient promptes à se révéler, vous aurez donné une assez belle prime aux tentatives des pachas puissants et ambitieux. ».

M. THIERS: « On a beaucoup parlé des divers systèmes que soulevait la question d'Orient. On a parlé du système turc, du système arabe, du système européen, du système du statù quo. Pour moi, tous les systèmes imaginés dans cette question se réduisent en réalité à deux : celui que j'appellerai la politique active, qui tend, plus tôt ou plus

tard, au partage de l'empire ottoman, et qui s'appuie sur la nation qui semble le plus disposée à ce partage, c'est-àdire sur la Russie; l'autre, celui de la politique de précaution, qui regarde ce partage comme possible, et cherche à prendre une position convenable, pour le cas où la catastrophe arriverait. J'approuve tout à fait le gouvernement d'avoir préféré le second système. Je crois que la Russie n'a pas de projets immédiats, et que par conséquent il n'y a pas lieu de s'entendre avec elle. Je crois que la Russie, comme tout le monde, est pour le statu quo; et quand tout le monde est attaché au statu quo, ne serait-il pas étrange que ce fût la France seule qui voulût bouleverser le monde dans des vues d'agrandissement ? Eh bien ! la politique de partage étant impossible aujourd'hui, que reste-t-il? La politique de précaution qui consiste à prendre une telle position dans la question d'Orient, que vous puissiez, au besoin et sur-le-champ, tenir la conduite que réclameraient vos intérêts et votre dignité. Quelle était, dans cette hypothèse, la nation avec laquelle il fallait prendre cette précaution? Pour moi, il n'y a pas de doute, cette nation, c'est l'Angleterre. Je ne rappellerai pas que, dans une question toujours pendante, la question des principes, l'Angleterre est votre alliée naturelle. Mais, dans la question d'Orient, pour la politique d'observation, l'Angleterre était votre alliée nécessaire, jusqu'au jour où cette politique changerait de caractère. Quelle est la puissance la plus intéressée à ce que Constantinople ne soit pas occupée par la Russie? C'est l'Angleterre. Quelle est la nation qui a toujours, au plus haut degré, les moyens efficaces d'empêcher que Constantinople ne soit occupée ? C'est encore l'Angleterre, parce que le danger est maritime et que l'Angleterre est maritime. Vous l'êtes comme elle; c'était une

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