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Voilà tout ce que j'ai fait; dites-le au gouvernement. Il m'a rapporté mes réponses écrites, je les ai examinées. J'affirme aujourd'hui que ce qui est imprimé de ces déclarations est la vérité. »

Six jours suffisent pour ces débats; à la dernière audience, après ses défenseurs, Fieschi se lève. Ce qui enivre cet homme, c'est le prestige de la cour, c'est le bruit de la célébrité... Dans sa vanité implacable, il n'a pas reculé devant ce crime monstrueux; et plus la cruauté est immense, plus il se fait une réputation qui a quelque analogie avec celle que donnerait la gloire. Dès ses premières paroles, on voit l'homme qui prend son échafaud pour un piédestal. Il demande pardon aux honorables pairs pour les fautes de langage qu'il va commettre! Il est heureux d'avoir vécu jusqu'à ce jour, demain... il peut mourir!... Lui! blanchir son affaire! comme il dit, non, il ne le cherchera pas.

Il ne cherchera même pas à se sauver de la honte de l'échafaud: « Voyez-vous, messieurs les pairs, ditil, cette main brisée, voyez-vous ma tête? Certes, si j'avais voulu, j'ai un moyen de dormir lorsque je veux. Je serais mort, malgré tous les efforts, sans m'empoi

sonner. »

Écoutons-le dans son langage trivial et grossier; suivons les phases de cette reconnaissance qui, dans cette âme noire, est comme la lumière scintillante d'une étoile au milieu d'un ciel orageux qui contient la foudre.

« Il était là (M. Lavocat), dit Fieschi, devant moi. Je ne le voyais que d'un œil. Je crois que je l'aurais

reconnu quand même je n'aurais vu que de la moitié de la moitié d'un œil. Il m'a dit : Fieschi, tu es reconnu : tu n'es pas Gérard. J'espérais qu'il ne me reconnaîtrait pas, car j'étais un cadavre. M. Lavocat dit : Qu'on me laisse seul; il vient, il s'asseoit à côté de moi, il prend ma main, il me demande mon nom; je lui dis que je ne le connaissais pas. J'étais dans l'impossibilité de me débarrasser; il me demanda si j'étais de Lodève. Il me dit: Je suis Lavocat. Malheureux que je suis! Allez vous-en; dites que vous ne me connaissez pas; ignorez que vous m'avez connu; un grand coupable comme moi, un homme dans le tombeau n'a pas besoin de visites.

« Il ne m'écoute pas.

cours.

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-Je suis celui qui vous ai fait du bien, dit-il. Je le sais. Je viens à votre seVotre secours, vos efforts sont tous inutiles. Je me vis forcé de verser des larmes : toutes les fois que je me trouve devant lui, je suis ému; je ne suis pas délicat, et cependant cet homme me fit pleurer... Je dis que si j'avais quelque chose à dire, je le dirais à M. Lavocat. J'ai eu le front, car il faut dire comment ça a été, de dire à M. Thiers que je le regardais comme un homme d'État à grands moyens, mais qu'il ne m'inspirait pas de confiance... Enfin !... j'ai trouvé sur mon chemin deux embranchements, j'ai pris le mauvais; c'est cela qui m'entraîne dans quarante-huit heures à l'échafaud. Je connais mon crime, et je mendie la vie, la grâce de mes complices... >

Bon mouvement de cet homme bizarre, qui bientôt, cherchant à amoindrir ses complices, se met à plai

santer amèrement Pépin sur sa couardise. Écoutons-le :

« Pépin est bien heureux d'avoir eu un père qui est venu au monde avant lui, qui lui a donné quelques sous. Un ouvrier fainéant qui est patriote, républicain, Droit de l'homme!... il voit qu'on le soulage, qu'on lui donne de l'argent... Voilà comment Pépin s'était fait un nom... Il est décoré de Juillet!... que le d. que le bon Dieu me punisse! (je voulais dire un mauvais mot) s'il est allé aux barricades... Il n'y a pas de danger. »

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Puis, cet homme, ce baladin sanglant, qui joue la comédie après avoir mis en action un drame monstrueux, termine en daignant lever les yeux vers le tròne sur lequel il a failli jeter son voile de mort :

« Il me reste deux mots à dire... le crime que j'ai commis... je ne suis pas digne de prononcer un nom, celui de Sa Majesté. Les Français aiment l'homme qui est courageux: Sa Majesté a courage... je l'estime, comme j'ai estimé Napoléon... Elle m'a donné un exemple: elle ne s'est pas plus dérangée qu'après une décharge de mousqueterie; rien du tout ses enfants couvraient son corps; Sa Majesté a eu le courage de rentourner sur ses pas, sur le terrain qui était ensanglanté par les mains de l'assassin.... que c'est moi!... »

Après avoir prononcé ces paroles, Fieschi se retire; et, avant de descendre dans le cachot où il va entendre l'arrêt de mort du parricide, il trouve encore dans sa vaniteuse reconnaissance une ressource nouvelle de publicité.

M. Parquin, son avocat, avait obtenu de M. le président Pasquier la permission de se faire accompagner par son fils dans la prison de Fieschi. Celui-ci a conservé le souvenir de la visite qu'il a reçue, et pendant cette suprême audience, il a remis à M. Parquin la lettre suivante, que nous publions textuellement, qui portait la suscription de M. Parquin fils, avec la plume d'argent dont s'était servi Fieschi pour prendre des notes dans les débats.

« Monsieur.

A vous fils de l'honorable M. Parquin, mon dé«fenseur, pour une cause si grave et sans avoir cher« ché me joustifier; car se moyens serais être inutille; mais votre digne père en a senti la force des consé<quence et à ce soujet a gardé le silence à cet égard.

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<< Mais il n'a pas oublié me rendre joustice de mon «< caractère en général en peu de mots; il a achevé sa <«< noble défence, que je peut vous dire que des hono<«<rables paires se sont précés pour lui présenter son <«< homage. Vous, monsieur, à votre âge, vous force fisiques sont le guide de vottre nature par lage; mais «< comme fils de celui qu'il a blanchi ses cheveux sur « sa tête dans la carrière la plus honorable de bar« reaux, je vous en conjure à suivvre les traces de <«< ceslui qui daccord avec la nature, vous mict au << mond; je sui persuadé d'avance que vous le vénéré «si noble père comme vottre respectable mère. Je « vous ecris à la hast. Je vous laisse en triste souve« nir mon port-plume.

« Vous prierez Dieu pour moi; car bientôt je n'en

<< serais plus. Jattend cette mort à piet ferme. Adieux, << nous nous reverrons dans l'autre monde.

<< Fait en la cour des paires le 14 février 1836.
« FIESCHI. >>

Cet homme, qui prit l'assassinat pour instrument de renommée, fut jusqu'à ses derniers moments le type de l'insouciance la plus vaniteuse et du sangfroid le plus extraordinaire, si cela n'eût été joué.

Le 17 février, le greffier de la cour des pairs, accompagné de son adjoint et du directeur de la prison, s'étant introduit dans sa cellule, pour lui lire son arrêt, Fieschi était en chemise. Ah! dit-il, en voyant entrer ces messieurs, jamais homme surpris n'a fait vaillantise et il leur demanda la permission de s'habiller pour les recevoir plus convenablement.

En s'habillant, il causa fort tranquillement de l'objet de la visite, et demanda si l'on avait ménagé ses complices. Quand il eut appris le sort réservé à Morey et à Pépin Tant pis, dit-il, Morey est un vieillard, et - Pépin un père de famille. Ils sont coupables, mais ma tète suffisait.

Il s'étonna des précautions qu'il voyait prendre pour éloigner de lui tout objet avec lequel il eût attenté à ses jours: quand on s'empara des mouchettes qui se trouvaient dans sa cellule : « Vous pourriez bien, dit-il, laisser ici des faisceaux d'armes, que je n'y toucherais pas. Je sais comme je dois mourir; je vous en ferai une mort comme vous n'en avez jamais

vu. D

Morey avait reçu l'annonce de sa condamnation

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