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<«< parle ici moins en historien révolutionnaire qu'en ministre du roi qui a restitué à Versailles une partie de sa splendeur monarchique, «< c'était rapprocher les gloires de Louis XIV de celles de la répu«blique, c'était rétablir la royauté du passé sans outrager le pré« sent, c'était en un mot toute la politique du premier consul sous << sa forme la plus noble et la plus touchante. » Cet hommage rendu aux cendres d'un grand homme de l'ancienne France a porté bonheur aux cendres de Napoléon, qui ont, elles aussi, après un long exil, reçu un tombeau national à côté de celles de Turenne, gardé par les vieux soldats de ses guerres. Peut-être avait-il rêvé pour sa dépouille impériale le caveau du temple où reposent les rois dont il releva le trône en s'y asseyant lui-même; et l'on dit qu'il l'eût obtenu du roi Louis-Philippe, sans le souvenir de la catastrophe de Vincennes. Le lendemain de la cérémonie de la translation des cendres de Turenne, le premier consul, accompagné comme la veille des autorités publiques, se transporta à la place des Victoires, pour y poser la première pierre du monument dans le style égyptien destiné à recevoir les restes mortels de Kléber et de Desaix, glorifiant ainsi en même temps les héros du siècle nouveau et celui du siècle passé. Mais Bonaparte accrut encore sa propre gloire comme chef de l'État, en consacrant ses soins aux routes publiques négligées pendant si longtemps, et infestées par des brigands qui répandaient la terreur dans plusieurs départements. La navigation intérieure appela son attention comme les routes, efforts louables qui, autant que ses victoires, tendaient à consolider sa puissance. Nous nous associons donc de grand cœur à ce que dit M. Thiers, qu'il légitimait aux yeux de tous ce qu'il pouvait y avoir eu d'irrégulier dans la manière dont il était arrivé à la première magistrature: << les patriotes lui devaient l'égalité civile; les acquéreurs des biens nationaux, l'exclusion des Bourbons; les royalistes modé

rés, la sécurité et le rétablissement du culte ; l'ordre, la justice et la grandeur nationale.

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Nous citerions volontiers le jugement de l'historien sur ces divers partis, car il est sévère sur toutes les exagérations et toutes les violences; mais notre article a ses limites: qu'il nous soit permis seulement, à la date des événements d'octobre 1800 où nous

sommes arrivés, de protester encore contre ce qu'avance M. Thiers, que Georges et ses complices assassins avaient les mains pleines de l'or venu d'Angleterre. Si cela signifie tout simplement que les royalistes français et les agents des princes français lui avaient envoyé de l'argent, nous n'avons rien à redire à cette assertion; mais si c'est que Georges aurait reçu de l'or du cabinet anglais ou du peuple anglais, rien de plus faux, et M. Thiers le sait mieux que personne.

Pour faire apprécier le charme du style de M. Thiers, nous devons citer au moins quelques-uns des portraits qu'il trace d'une plume si spirituelle. Tels sont ceux du prince de la Paix, de Charles IV, de la reine d'Espagne et de leur cour. Cependant peutêtre, sur ces personnages, préférerions-nous encore les piquantes esquisses du malicieux et versatile abbé de Pradt, tandis que nous ne connaissons rien de plus fini, de plus délicat et de plus ressemblant que le portrait de M. de Talleyrand. Ici encore le portrait de Fouché est artistement placé en contraste. Les voici donc tous les deux (Suit la citation.)

La mort tragique de Paul Ier termine le second volume de M. Thiers. M. Thiers s'est au moins abstenu de rendre la politique britannique directement complice de cet événement qui vint dissoudre la coalition des neutres. Paul était furieux contre l'Angleterre qui n'avait pas voulu lui livrer Malte; il avait mis un embargo sur tous les bâtiments anglais dans les ports russes, et fait saisir trois cents de ces bâtiments en ordonnant de couler bas tous ceux qui chercheraient à s'échapper. Il est certain que ce souverain faisait assez bien les affaires du premier consul; mais la bataille de Copenhague avait déjà dérangé un peu la ligue de la Russie, de la Suède et du Danemark. M. Thiers veut bien reconnaître que Nelson eut une intrépidité qui contraste un peu avec la timidité de ce malheureux amiral Villeneuve, contre lequel le premier consul avait tant de mouvements d'impatience; mais dans les détails de la bataille qui nous livra la capitale et la marine du roi de Danemark, nous devons relever quelques erreurs de chiffres. Selon M. Thiers, nous perdîmes 1,200 hommes tués ou blessés. Le fait est que nous n'eûmes que 234 morts et 644 blessés, en tout 878, tandis que

les Danois accusent eux-mêmes 1,800 morts ou blessés de leur côté. M. Thiers se flatte aussi d'avoir donné sur la catastrophe de Paul Ier le récit le plus authentique et en même temps le plus inconnu qu'on puisse se procurer. Nous n'y avons, quant à nous, trouvé aucun fait nouveau. Les dépêches de Savary et de Haugwitz contiennent à peu près tout ce que raconte M. Thiers, qui, s'il daignait lire les œuvres de son compatriote M. Capefigue, aurait pu remarquer dans son cinquième volume un récit plus abondant et plus dramatique que le sien, quoique nous convenions que le style de M. Capefigue n'ait ni la pureté ni l'élégance de celui de l'ex-ministre; enfin qu'il consulte le septième volume des Annales européennes de la chronique de Bredow, il se convaincra qu'en Allemagne on l'avait aussi devancé pour ces détails, dont il se flatte d'avoir eu la primeur.

Si nous poursuivions aujourd'hui l'examen de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, nous aurions à discuter avec M. Thiers les démarches que fit le ministère Addington pour réparer ce qu'il appelle les fautes de M. Pitt. Ce fut en avril 1801 que commencèrent les conférences de Londres entre lord Hawkesbury et M. Otto. On put croire enfin à la paix générale et espérer qu'une ère nouvelle allait s'ouvrir pour la civilisation. Ce n'était qu'un temps d'arrêt dans la lutte de l'Angleterre et de la France. Dans un second article nous reprendrons notre critique; mais en attendant nous persistons dans notre opinion sur M. Thiers et son ouvrage. Sans doute il mérite tous les éloges accordés à son style tour à tour brillant et vigoureux; il possède au plus haut degré l'art de grouper les faits dramatiquement; il semble avoir écrit ses pages de bataille au bruit d'une belle musique militaire, et c'est ce qui fera sa popularité chez un peuple comme les Français, dont Châteaubriand a dit : « La France n'est qu'un soldat. » Mais vainement avons-nous cherché dans ses premiers volumes des anecdotes ignorées jusqu'à ce jour; plus vainement encore aurions-nous voulu y trouver cette hauteur de vues ou cette profondeur d'observation, qui distinguent l'historien philosophe jaloux d'instruire les générations futures. M. Thiers est un homme de parti éloquent, un apologiste adroit, le peintre pittoresque d'une époque grande et glorieuse pour la France; mais historien philosophe... non. (Foreign Quarterly Review.)

Trois discours principaux de M. Thiers, depuis 1840, ont témoigné à la France que s'il s'est cru forcé de se ranger dans les rangs de l'opposition, à cause du système général de la politique, il en est sorti toutes les fois qu'il a cru que sa voix était réclamée par l'intérêt public. Ces trois discours sont relatifs :

1° Aux fortifications de Paris;

2o A la loi de régence, réclamée par la mort de l'infortuné duc d'Orléans, en 1842;

5o A la loi sur l'instruction secondaire.

Nous avons cru devoir donner à nos lecteurs l'analyse de ces trois discours, qui ont été pour la Chambre d'une influence décisive.

EXTRAIT DU DISCOURS DE M. THIERS SUR LES FORTIFICATIONS DE PARIS.

Après avoir fait l'historique des tentatives faites par Vauban sur cette grande entreprise, M. Thiers aborde en ces termes l'époque de l'empire:

Napoléon vint. On croit généralement que c'est en 1814 seulement, quand les illusions de la prospérité s'évanouirent, qu'il songea à défendre sa capitale : c'est une erreur. Il y pensa en 1806, lorsque, après avoir enlevé à Ulm la moitié de l'armée autrichienne,

il volait sur Vienne. Si cette capitale eût été défendue, le sort de la guerre était changé. Napoléon le craignit un instant; mais Vienne était restée ouverte, et il put la traverser en courant pour achever la guerre à Austerlitz. Cette grande circonstance de sa carrière lui fit faire un retour sur lui-même. Il songea au danger de laisser la capitale ouverte, et s'occupa de fortifier les environs de Paris. Il fit rédiger des projets; mais il dit lui-même, t. 9, p. 58 de ses précieux mémoires, que « la crainte d'inquiéter les habitants, et l'incroyable rapidité des événements, l'empêchèrent de donner suite à cette grande pensée. »>

Il laissa passer ainsi les temps de la prospérité, qui passent si vite, et, en 1814, lorsque seul, avec une poignée d'hommes, il défendait le sol de la France épuisée, il y pensa, mais il était trop tard.

On a beaucoup admiré, messieurs, les efforts qu'il fit à cette époque pour défendre notre sol envahi. Ils sont admirables, en effet ; mais le spectacle en est douloureux, car sans cesse on y voit la France sauvée si Paris avait été défendu; et la France perdue, parce que Paris était resté découvert. Placé entre deux armées qui marchaient toutes deux sur la capitale, Napoléon se jetait d'abord sur l'une, et se battait à outrance. Mais tandis qu'il battait l'une, l'autre marchait sur Paris. Il revenait sur celle-ci pour couvrir Paris; alors la première revenait de nouveau, et il était rappelé encore. Ainsi Napoléon, jamais libre de ses mouvements, parce que Paris était ouvert, Napoléon ne put jamais achever aucune de ses victoires; et lorsque, épuisé dans cette lutte inégale, il eut la pensée de courir à la frontière pour y ramener l'ennemi, il eût peut-être réussi dans cette manœuvre extraordinaire; mais cette fois encore il aurait fallu que Paris pût tenir dix jours. Paris ne le pouvait pas; et ce fut une raison de se rendre pour ces hommes qui ne surent pas ajouter dix jours de dévouement à vingtcinq ans de combats héroïques.

La France succomba avec Paris; et, ce jour-là, Napoléon dut bien regretter ces grandes pensées conçues au retour d'Austerlitz, et emportées par le torrent de la prospérité.

La leçon des événements est telle, messieurs, que nous serions impardonnables si nous ne profitions pas de la durée de la paix,

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