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et exige de sa part une attaque régulière. Alors il ne sera pas assez insensé pour risquer un coup de vigueur qui ne le mène à rien; alors, il est obligé de procéder méthodiquement de prendre d'abord les forts, d'en enlever un ou deux, ou trois même, pour ouvrir la route qui conduit à l'enceinte, et pouvoir, sans obstacle, établir et dresser contre elle ses ouvrages d'attaque. Les forts ne deviennent donc tout ce qu'ils peuvent être qu'appuyés sur une enceinte, dont ils sont le premier, l'inévitable obstacle, qu'il faut nécessairement détruire avant d'arriver à elle.

L'enceinte, à son tour, reçoit des forts extérieurs une valeur tellement supérieure à celle qu'elle aurait si elle existait seule, qu'on ne saurait sans danger s'en priver volontairement. La disposition de ces ouvrages est telle qu'il est impossible d'établir les travaux nécessaires à une attaque régulière entre les forts et le corps de la place. Il faut donc prendre ces forts: c'est un premier siége après lequel il faut faire celui de l'enceinte. C'est donc la durée de deux attaques régulières qu'on se donne pour la défense. Ce n'est là qu'une première utilité des forts extérieurs. Ils en ont une bien plus grande encore. Combinés avec les obstacles naturels du terrain, ils constituent, autour et au delà de l'enceinte, une première ligne de défense d'un immense développement. Cette ligne, passant au delà de Sant-Denis, Pantin, Vincennes, Charenton, Ivry, Issy, Meudon, le Mont-Valérien; coupée par des bois, des rivières, des hauteurs, représente une étendue de plus de vingt lieues qu'aucune armée au monde ne pourrait bloquer sans se disséminer à tel point qu'elle pourrait être partout battue.

Cette ligne, distante depuis 2,000 jusqu'à 7,000 mètres de l'enceinte continue, qui, elle-même, est déjà très-loin des quartiers habités de la capitale, rend absolument impossible l'action des projectiles incendiaires. Paris ne peut plus être bombardé : or, c'est le plus menaçant danger pour une grande population. Tel qui voudrait bien se défendre à outrance quand il serait exposé de sa personne seulement, n'en aurait plus la force quand il saurait sa femme, ses enfants, exposés aux éclats des bombes et des obus. Cette ligne, sous ce second rapport, est donc indispensable. Enfin, elle l'est encore pour nourrir Paris. L'unique et véritable difficulté

de l'approvisionnement, comme nous vous l'avons dit, c'est le bétail. Or, il est impossible de le placer dans l'enceinte; il y a, au contraire, un champ fermé et inaccessible, depuis le canal SaintDenis jusqu'au bois de Boulogne, entre le canal, la Seine et l'enceinte. Enfin, il faut supposer que vous aurez une armée ou repliée, ou en formation autour de Paris. Il faudrait se garder de l'enfermer dans l'enceinte, elle y perdrait l'habitude de voir l'ennemi en face; elle s'y affaiblirait d'ailleurs, il est difficile de faire sortir une armée nombreuse, infanterie, artillerie, cavalerie, par trois ou quatre portes. Il faut donc la placer au delà de l'enceinte, entre l'enceinte elle-même et la ligne des forts intérieurs, toujours en vue de l'ennemi, toujours prête à manœuvrer et à profiter des faux mouvements de l'assiégeant, sur un champ de bataille accidenté, et fertile en fautes pour celui qui ne le connaît pas complétement.

Ces deux lignes nous ont paru indispensables, n'avoir de valeur suffisante qu'appuyées, renforcées l'une par l'autre. Les forts sans l'enceinte seront brusqués; l'enceinte sans les forts sera immédiatement abordée, incendiée, bloquée, condamnée à une sorte d'étouffement; car la population, l'armée, les hommes, le matériel y seront emcombrés, paralysés, compromis.

Cette double ligne, en un mot, nous a paru répondre à la pensée de Vauban, quand il proposait deux enceintes : la première, pour couvrir immédiatement la population; la seconde, pour tenir à distance les batteries à bombes; les deux, pour former un vaste espace intermédiaire dans lequel seraient placées l'armée, la population agricole réfugiée, le matériel, en un mot, de la défense. Or, deux enceintes possibles du temps de Vauban, quand Paris n'était pas le quart de ce qu'il est aujourd'hui, seraient maintenant impossibles. L'enceinte continue que nous proposons passe justement sur la ligne qu'aurait occupée la seconde enceinte de Vauban. Dans ce système si simple, qui n'est que la reproduction de ce qu'on a fait partout, sauf l'étendue, la garde nationale et la troupe de ligne ont leur place naturelle et indiquée: la garde nationale est sur l'enceinte près de ses foyers, pouvant les rejoindre à toute heure; la troupe de ligne est au delà à la seconde ligne, dans les forts et dans l'espace qui les relie, toujours prête à se jeter sur l'ennemi.

Voilà, messieurs, ce qu'après longue discussion, soutenue par les hommes compétents, écoutée par nous, hommes politiques, avec une religieuse attention, nous avons considéré comme le meilleur des systèmes.

Ainsi, messieurs, cette grande difficulté du système à adopter pour défendre Paris disparaît comme les autres devant un examen attentif et consciencieux.

Puis M. Thiers termine ainsi :

Au nom de tous les collègues auxquels vous aviez confié l'examen de cette grande question, nous vous adressons, messieurs, une prière instante. L'Europe et le monde nous regardent; car jamais plus grande entreprise ne fut proposée à un grand peuple. Ceux qui ne nous souhaitent ni vertu ni force disent que nous reculerons devant la grandeur de cet effort, devant même la dépense qu'il pourrait entraîner. Ils disent surtout que, voués à l'éternelle division des esprits, nous ne saurons pas aboutir à un vote efficace, et que de tristes querelles feront encore avorter la tentative patriotique de fortifier Paris.

Certes, messieurs, ce serait un grand malheur s'il pouvait en être ainsi; mais nous avons la conviction que nous ne mériterons pas le jugement porté par nos ennemis; nous avons la conviction que nous nous ferons les uns aux autres le sacrifice de préoccupations sans fondement, et que nous donnerons enfin à ce Paris, à ce Paris que Vauban appelait le cœur de la France, cette puissante ceinture qui le rendra inaccessible à tous les traits des ennemis de notre patrie.

En conséquence, messieurs, la commission, avec le gouvernement, vous propose d'adopter le projet de loi.

Le rapport sur la loi de régence avait été présenté par M. Dupin M. Thiers s'empresse dans la discussion de monter à la tribune et s'exprime ainsi :

Messieurs, j'ai besoin de toute l'indulgence de la chambre. Jamais, depuis dix années, vous n'avez traité une question aussi grave, et, pour mon compte, je ne me suis jamais senti dans une situation plus pénible, plus délicate.

Je me suis dit ce que déjà je m'étais dit dans les occasions difficiles de ma vie : c'est que plus la situation était délicate, plus il fallait consulter ce que je regarde comme la véritable boussole des hommes publics: c'est le devoir, quelque difficile qu'il soit à remplir. (Très-bien !)

Messieurs, la chambre sait que depuis deux années je siége sur les bancs de l'opposition. Ce n'est pas le cas aujourd'hui de réveiller de vieilles querelles, et de dire pourquoi je siége sur ces bancs.

Je suis l'adversaire du cabinet; des souvenirs pénibles m'en séparent, et je crois qu'il y a même mieux que des souvenirs pour m'en séparer il y a des intérêts du pays, peut-être mal compris par moi, mais des intérêts vivement sentis. Je suis donc l'adversaire du cabinet; les partis peuvent me calomnier, mais les hommes intelligents qui ont la connaissance des affaires savent la vérité de ce que je dis ici; ils savent aussi que je n'ai d'adhésion pour quelques-unes de mes idées que sur les bancs de l'opposition. Malgré cela, malgré cet intérêt très-grave de ma position, je viens appuyer aujourd'hui le gouvernement, je viens combattre l'opposition. (Sensation.)

Je n'ai pas en ma vie rempli de devoir plus difficile et plus pénible. (Ahı! ah!) Je suis profondément monarchique, et rappelez-vous que certains hommes m'ont reproché, ce que je ne me reprocherai jamais, d'avoir voté pour l'hérédité de la pairie. Je parlais dans un temps où il était difficile, je ne dirai pas périlleux, car l'ordre était maintenu dans les rues par un ministre puissant, dans un temps où il était difficile de parler comme je le faisais; j'ai parlé pour l'hérédité de la pairie cela doit vous dire à quel point je suis monarchi

que dans mes convictions. Quand je vois cet intérêt de la monarchie clair et distinct, j'y marche droit, quoi qu'il arrive, fussé-je seul, entendez-vous? (Très-bien! très-bien!)

On parle des intérêts d'ambition. Qu'il me soit permis de le dire, ce sont des hommes étrangers au pouvoir, ne l'ayant jamais occupé, qui peuvent croire que, dans de grandes situations, un homme de gouvernement, qui a été placé haut dans son pays, est plus sensible au plaisir du pouvoir qu'au plaisir de céder à sa propre pensée, de dire ce qu'il pense, tantôt en présence du trône, tantôt en présence des partis, tantôt en présence de ses amis. (Approbation au centre.) Tous les esprits élevés me comprendront: le plus grand des plaisirs humains, c'est de satisfaire sa propre pensée, c'est de dire ce qu'on pense, c'est de le dire devant tout le monde; s'il y a quelque difficulté, quelque péril, j'ose l'assurer, le plaisir est encore plus grand pour ceux qui sentent comme moi. (Très-bien! très-bien !)

Dans cette question de la régence, je n'ai pas hésité un instant, pas un seul instant; cependant mes amis, ceux avec lesquels j'avais l'habitude de me concerter, étaient loin de moi.

Nous n'avons pas vu de prince de Galles, entendez-vous; il n'y a pas de prince de Galles dans ce pays; je sais bien (M. Thiers regarde M. de Lamartine) que vous avez désavoué l'allusion; je veux croire que votre intention n'y était pas; mais les allusions qu'on est exposé à désavouer, il vaudrait mieux ne pas les faire. (Trèsbien! très-bien!)

Messieurs, mes forces physiques ne me permettent pas aujourd'hui de traiter la question de la régence tout entière, comme je le voulais d'abord; je vais brièvement résumer les idées que je me suis faites sur ce sujet, pour arriver à la véritable question politique, c'est-à-dire à la situation actuelle.

Je dois cependant commencer par dire quelques mots sur la loi; je serai bref. Je ne veux pas faire un discours aujourd'hui, je veux faire un acte. (Très-bien! très-bien!)

Messieurs, en présence de la situation, quelque parti qui fût au pouvoir, je me suis demandé ce qu'il aurait fait.

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